FAUST À L’OPÉRA

FaustFaust, Dorian Gray, Thor ou Superman, l’immortalité a toujours fasciné l’humanité, chacun de nous sans doute ayant envie de se désaltérer à la Fontaine de Jouvence, même s’il faut pour cela pactiser avec le diable. C’est sans doute pour cette raison que Gounot choisit de construire son œuvre sur cette impossible transaction.  Aujourd’hui Faust revient en force à l’Opéra Bastille dans une mise en scène juste à se damner… et, comme son nom l’indique, Faust s’le faire 😈

FaustPar Jean-Christophe MARY

« Je veux un trésor, qui les contient tous ! Je veux la jeunesse ! » Frustré par la quête futile du savoir, le vieux savant Faust vend son âme au diable en échange de la jeunesse éternelle et de la belle Marguerite…

Le Docteur Faust, vielle homme désabusé, songe à en finir une bonne fois pour toutes, lorsque Méphistophélès, le Diable, lui apparaît en chair et en os : il lui fait  alors signer un pacte qui lui garantit une nouvelle jeunesse en échange de son âme. Séduit par l’image de Marguerite, que Satan lui a fait apparaître pour le convaincre, Faust part à la conquête de la belle. Méphistophélès l’accompagne dans son voyage pour anticiper ses moindres désirs. Séduite et aussitôt abandonnée par Faust, Marguerite tue l’enfant qu’elle a eu de lui. Emprisonnée pour son crime, elle donnera sa propre vie pour sauver son âme, malgré les efforts contraires du Diable pour en faire – comme Faust – sa propre créature.

FaustDonnée seulement deux soirs et à huits clos en 2021 en raison de la pandémie, cette nouvelle production signée Tobias Kratzer succède à celle de Jorge Lavelli (1975) qui fût jouée près de trois décennies à l’Opéra Garnier puis à l’Opéra Bastille. La création du metteur en scène allemand nous embarque dans une vision féérique de l’œuvre de Gounod où le mythe de l’éternelle adolescence oscille trois heures durant, entre rêve et réalité, le tout à grand renfort de nombreux décors et d’un dispositif vidéo surprenant, truffés d’effets spéciaux à couper le souffle. Au cours des 5 actes, le spectateur assiste à la fuite en avant du héros en quête de sa jeunesse éternelle. On assiste à une succession de tableaux plus étonnants les uns que les autres. Pour notre plus grand plaisir, Tobias Kratzer a pris quelques libertés bienvenues. Et des surprises, il y en a partout. À commencer par le premier tableau lorsque le rideau se lève sur l’intérieur cossu d’un appartement parisien. L’aube naissante dévoile Faust, en homme âgé visiblement déçu de sa nuit passée avec une jeune prostituée. En prise avec les affres de la vieillesse, cette nuit lui renvoie que ses meilleures années sont derrière lui. Seul l’écho des voix de jeunes filles au loin, le retiennent de se suicider. C’est alors qu’un mystérieux étranger surgit dans son appartement, accompagné de six démons que l’on retrouvera régulièrement au cours du spectacle. Vêtu de noir, cheveux long, barbe finement taillée et cape noire sur les épaules, le Méphistophélès de Tobias Kratzer est à mi-chemin entre Batman et Satan. Les scènes où Méphistophélès et Faust s’envolent dans les airs sont assez cocasses.

FaustAutre liberté dans la mise en scène, Valentin, le frère de Marguerite et ses amis n’apparaissent pas au début comme des soldats mais comme des jeunes de banlieue jouant au basket. Marguerite vit elle dans un logement HLM, rencontrera Faust sur le dancefloor d’une boîte de nuit où elle se trémousse, portable à la main. Autre effet de surprise, le sort jeté n’est pas permanent. Faust retrouve ses traits de vieillard notamment à la fin de l’acte du jardin alors qu’il s’apprête à monter dans le studio de Marguerite pour lui faire l’amour. Le diable prend alors sa place et la jeune femme se retrouve enceinte… du diable. On apprécie ce petit clin d’œil au film « Rosemary’s Baby » de Roman Polanski. Surprise encore, la chambre de Marguerite est transposée dans un cabinet de gynécologie. Marguerite découvre avec horreur ce que révèle l’échographie … mais on n’en dira pas plus.  On y entend le magnifique air « Il ne revient pas », la réponse de Siebel « Versez vos chagrins dans mon âme ! ». La scène de l’église avec Satan, terrifiante, est transposée dans une rame du métro parisien. Voilà un petit aperçu de cette mise en scène rythmée qui va de surprises en rebondissements. La prestation des solistes est aussi impressionnante que jubilatoire. Dans le rôle-titre, on retrouve le ténor franco-suisse Benjamin Bernheim, déjà présent à la création en 2019, qui excelle durant toute la soirée.

FaustPuissance et raffinement, le chanteur empli le volume de l’Opéra Bastille avec aisance et dévoile des trésors de sensibilité quand il s’agit de rendre hommage au génie de Gounod, notamment dans le fameux « Salut demeure chaste et pure » (où le redoutable contre ut est d’ailleurs émis sans difficulté). Il campe un Faust éperdu, souvent dépassé par les événements, totalement soumis. Des qualités que l’on retrouve également chez Christian Van Horn dans le rôle de Méphistophélès, qui habite l’espace sonore d’un beau timbre baryton basse. Son charisme et son jeu rendent son personnage très convaincant, plein de fantaisie et d’humour. Angel Blue fait une entrée réussie à l’Opéra National de Paris dans le rôle de Marguerite. La soprano californienne donne une belle interprétation de la ballade du « Roi de Thulé » et de « L’air des bijoux » (« Ah ! Je ris de me voir si belle en ce miroir ! ») avec beaucoup de retenue et d’émotions. Florian Sempey, lui aussi présent à la création en 2019, campe un Valentin très investi, protecteur de sa sœur et particulièrement émouvant dans l’air « Avant de quitter ces lieux ». La scène dans laquelle Faust lui enfonce une lame dans le torse est particulièrement poignante. On apprécie aussi l’interprétation de la mezzo soprano Emily D’Angelo dans le rôle Siebel, jeune garçon amoureux transi de Marguerite. On salue le travail des Chœurs de l’Opéra National de Paris notamment « Gloire immortelle de nos aïeux » sans oublier la prestation de l’excellent Jean-Yves Chilot en comédien mime, dans le rôle de Faust âgé. La direction d’orchestre confiée à Thomas Hengelbrock est une des véritables valeurs ajoutées de ce show exceptionnel. Très expressif, le chef allemand met en lumière la sonorité extraordinaire de l’Orchestre de l’Opéra de Paris et dévoile toute la palette de couleurs de la partition. Si on ajoute à cela la musique majestueuse de Charles Gounod, les splendides costumes et décors signés Rainer Sellmaier, ces six nouvelles représentations raisonnent déjà aux airs de triomphe. Inutile pour autant de vendre votre âme au diable pour assister à ce Faust puisqu’il se joue à l’Opéra Bastille jusqu’au 13 juillet.

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