EDDY DE PRETTO « À tous les bâtards »
C’est le second CD d’Eddy de Pretto, et ce « À tous les bâtards » fait incontestablement battre nos cœurs juste un peu plus fort. OVNI aussi bien visuel que sonique, le jeune Cristolien prouve à nouveau, avec ces 12 titres, qu’il domine de tout son talent une scène musicale hexagonale exsangue. À 27 ans Eddy apporte donc un sang neuf, c’est un nouveau géant qui nous fait du bien. Son parlé-chanté, son feeling de soul blanche, sa voix parfois si haute sont si cool que, du coup, nous sommes tous fiers d’être des bâtards.
Si d’aventure vous jugez que de Pretto n’est pas pretty, attendez de l’avoir écouté avant de le juger à son look improbable. Séduit par son écriture si perso, et sa manière de faire danser les mots, j’avoue, j’avais fondu comme neige au soleil, dès la publication du premier album d’Eddy de Pretto ( Voir sur Gonzomusic https://gonzomusic.fr/eddy-de-pretto-cure.html ), le comparant à Solaar et à Nougaro. Deux ans plus tard, le natif de Créteil lance son nouveau manifeste « À tous les bâtards » et ses mots électro-choqués frappent de taille et d’estoc, tranchants comme une épée, pour un feeling illimité d’écorché vif. Dès le premier titre « Bateaux mouches » Eddy met en plein dans le mille. Il se souvient de ces années où il chantait des reprises pour les touristes baladés à bord de ces bateaux qui sillonnent la Seine. Une mélodie qui vous rentre dans la tête, un refrain qui donne envie de vocaliser avec lui, sur ses vibes positives « je me voyais en haut et c’était beau » chante-t’il : le rêve d’Eddy s’est matérialisé et c’est un hit. Porté par ses instruments acoustiques « Parfaitement » est un irrésistible slow mélancolique et, sous son air guilleret, le chanteur nous fait à nouveau partager ses terribles doutes. Eddy de Pretto a l’art d’exorciser sa tristesse, en la travestissant sous de jolies mélodies sucrées-salées et cette superbe chanson en est la parfaite illustration. Retour à la case Nougaro avec la suivante « Val de larmes » au lyrisme qui rappelle incroyablement le jazz méridional enflammé du héros de Toulouse. Avec « Freaks », Eddy d’adresse à nouveau à ceux qu’il qualifie de batards, tous ces déclassés qui comme lui refusent le carcan des normes et c’est sans doute une des plus belles chansons de l’album. Portée par son lyrisme et ses chœurs gospel, avec sa splendide utopie, « Freaks » me donne le frisson. « Désolé Caroline » sur un thème qui lui est cher, celui de la rupture, offre à Eddy l’occasion de retrouver ce parler-chanter, gorgé de soul blanche, qui nous avait tant séduit sur son précédent « Cure ».
Référence directe à la ville et au quartier de la banlieue parisienne qui l’a vu naitre, « Créteil Soleil » ressemble à la fois musicalement et thématiquement, de manière hallucinante, au « Viens faire un tour dans les cités » sur le CD « Liaisons dangereuses » de Doc Gyneco en 1999… simple coïncidence, pourtant Eddy décrit sa ville-dortoire en 2021 et rien n’a changé depuis Gyneco en 1999. Funky léger, sur un petit groove électro cool, « Nu » est une craquante love-song forcément … dépouillée 😛 Sur «Rose Tati » Eddy cite Piaf et Dalida, Barbès et Montmartre, pour mieux s’inscrire dans une tradition française immortelle comme le message craquant enregistré par sa vieille tante, qui nous fait monter les larmes aux yeux à la fin du titre. Funky cold « Neige en aout », sur un thème déjà abordé par Prince (« Sometimes it Snows in April »), et les mots scandés d’Eddy véhiculent toute l’utopie, dont il sait faire preuve. Des mots qui sonnent comme un combat de boxe filmé au ralenti, c’est beau et puissant. Autre joyau, certes pas joyeux, mais éblouissant, avec cet « À quoi bon », qui sonne comme un cri d’alarme. Avec ce fils spirituel de « Kid » sur son album précédent, Eddy joue et gagne au pari des allitérations canons, alliant avec art, émotion et mélodie si percutante. Sombre « La fronde », quasi a capela « Qqn », fulgurante complainte, ou plus guillerette sur le funky tropical insouciant « Si seulement » pourtant dédié à un amour contrarié, encore un joli brin de tube, décidément Eddy nous en fait voir de toutes ses couleurs et elle se révèlent éblouissantes. Harmonies gorgées de soleil, comme un « In My Room » des Beach Boys, rien de moins, « La zone » joue à fond le paradoxe entre son texte sombre et sa musique si lumineuse, pour mieux nous séduire. Enfin, cet album sucré-salé s’achève sur un dernier clin d’œil Nougaresque intitulé « Tout vivre », impétueux comme un tourbillon émotionnel. Dans l’immense vacuité de la musique française actuelle, comme il est rassurant de savoir qu’il y a des Gaëtan Roussel ( Voir sur Gozomusic https://gonzomusic.fr/gaetan-roussel-est-ce-que-tu-sais.html ) ou des Eddy de Pretto pour nous ménager un peu d’espoir en l’avenir.