DANS LES COULISSES DU SHOW PINK FLOYD
Voici 30 ans pour BEST, GBD s’improvisait passager clandestin du plus spectaculaire vaisseau spatial sonique de l’été 1989 : le grand show live de Pink Floyd. Embedded au Palais Omnisport de Paris-Bercy, en compagnie du photographe Jean Yves Legras, et avec la complicité du producteur Jean Gemin, il a tout le loisir d’explorer les coulisses pour rencontrer tous les marionnettistes qui tirent les ficelles de ce show aussi mégalo qu’épique de la formation superstar conduite par David Gilmour. Flashback…
Pas facile de s’improviser dompteur de cochon géant. Et pourtant ! Lorsque Pink Floyd décide d’investir le POPB parisien durant cinq soirs, Christian Lebrun décide de me missionner en compagnie du fidèle Jean Yves Legras pour raconter la Grande Machine Floyd du vécue de l’intérieur. Heureusement, en plus de notre casquette BEST, Jean Yves et moi étions chaudement recommandés par un vieil ami de la famille, un habitué de cette face cachée de la Lune que nous devions justement explorer, Philippe Constantin, pote et éditeur français du Floyd depuis toujours. Et c’est ainsi que, deux jours durant, nous avons pu assister au montage de la scène colossale, la mise en place des lumières et des effets spéciaux, rencontrer les techniciens de génie qui sont à la manœuvre et, de coursives en couloirs, découvrir le ventre de la bête. Coïncidence, voici quelques jours, je publiai une news sur la dernière diatribe de Roger Waters à l’encontre de son ex-camarade de groupe David Gilmour ( Voir sur Gonzomusic https://gonzomusic.fr/waters-dezingue-gilmour-pour-lavoir-banni-du-site-pink-floyd.html ) et en décembre 2014 je republiais mon interview du génial concepteur graphiste des innovantes pochettes du groupe anglais, le brillant Storm Thorgerson (Voir sur Gonzomusic https://gonzomusic.fr/storm-thorgerson-le-visionnaire-du-floyd.html ), c’est dire si depuis l’adolescence, comme beaucoup dans ma génération, nous avions succombé au pouvoir hypnotique du Floyd. Certes, le fait que ce groupe d’ex-étudiants des Beaux-Arts était à peu près le seul à nous confectionner des slows qui s’étiraient parfois tout le temps d’une face de vinyle, à l’instar d’ « Atom Heart Mother » (23’ 54’’), « Time » et « Us and Them » (près de 8’ tout de même) ou « Echoes » ( 23’ 32’’) nous motivait aussi, car ils laissaient tout le loisir de « conclure » avec sa cavalière d’alors. Mais il y avait bien plus dans la musique du Floyd que ce simple avantage technique : le rock du Floyd incarnait alors la quintessence du style qu’on qualifiait de « planant ». En 1973 après sa publication, nous avions tous dans nos discothèques un exemplaire du LP de « Dark Side of the Moon », côte à côté avec « Let It Be », « Sticky Fingers », « Abraxas », « Machine Head », « Ziggy Stardust », « Aladdin Sane », « Transformer », « Band on The Run », « Imagine » et quelques autres. Alors, nonobstant le départ de Roger « la râle » Waters, en 1989 Pink Floyd jouissait toujours d’une puissante aura. La preuve, pour célébrer l’évènement, le Journal de Tintin va carrément inventer et scénariser la rencontre du Floyd et du célèbre journaliste sur le « côté obscur de la Lune ». Preuve de sa spectaculaire puissance, le groupe aux fameux cochons volants pouvait s’offrir le luxe de remplir CINQ Bercy sans avoir publié AUCUN album depuis DEUX ans, « A Momentary Lapse of Reason », premier 33 tours enregistré SANS Roger Waters. Et, comme on dit si justement, cochon qui s’en dédie 🐷
Publié dans le numéro 253 de BEST sous le titre :
DARK SIDE OF THE FLOYD
« Petit tour dans les coulisses du Pink Floyd show, ambulante superproduction, performante comme il y a vingt ans. Avec juste un peu de technologie en plus… » Christian LEBRUN
Résumé de I’épisode précédent, après leur capture chez les Soviets par les agents du KGB, les Pink Floyd échappent a leurs ravisseurs à bord du requin-sous-marin piloté par… Tintin. Quelle saperlipopette de surprise ! En fait, cette rencontre historique aurait dû se produire des années auparavant. Souvenez-vous, dans « On A Marché Sur La Lune» les Dupont(d) découvrent des traces de pas non identifiées. Et les Floyd d’expliquer a Tintin: sur la face cachée de l’astre, on the dark side of the moon, qui d’autre qu’eux pouvait précéder la mythique fusée lunaire à damier rouge et blanc ? D’ailleurs les Dupont(d) ne s’y trompaient pas lorsqu’ils prophétisaient dans la BD: « On verra bien a qui l’avenir donnera raison… » « Mais avec le sabotage de Wolff, la fusée a pris du retard et nous n’avons pas pu vous attendre », explique David Gilmour au célèbre reporter en pantalon de golf. Publiée dans la nouvelle formule de notre confrère, le magazine Tintin, à l’occasion de la venue du Floyd en France, cette aventure imaginaire illustre bien l’aspiration du groupe anglais à faire rêver de 7 a 77 ans. Mais seize ans après sa sortie, la X° interprétation live de « Money » apporte-t-elle quelque chose à l’édification du monument Pink Floyd ? Les ados qui se pressent sur l’un des cinq Bercy étaient tout juste nés a I’époque. Gilmour pourrait tout aussi bien se reposer et compter ses dollars en paix dans le ranch de ses rêves sans jamais plus sacrifier au rite de la scène. Mais le live ne perpétue-t-il pas dans sa grande messe baroque de lumières et de fumigènes la rage mégalo aux confins de la folie qui sert depuis toujours de kérosène au spaceship Floyd ?
Cet hiver 65, lorsque Syd Barrett s’inspire d’un LP de blues ripou de Pink Anderson et Floyd Council pour baptiser son nouveau groupe, il n’a pas encore ingurgité assez de LSD pour lui imaginer un tel futur. En grandissant avec le Floyd, on a vu Barrett perdre les pédales et se métamorphoser peu à peu en Lunatic jeu de mots — british entre les mots folie et lunaire — et Waters prendre la relève en signant la plupart des tubes que Gilmour sait si bien façonner avec son feeling inné pour les arrangements. Et enfin Acte Ill scène 1 de la tragédie classique, Gilmour évince Waters, tout en conservant l’usage exclusif de la marque Floyd. Deux ans de tournées intensives et l’album live « Delicate Sound of Thunder » n’ont pas assouvi l’incroyable appétit de Docteur Gilmour-Mister Pink qui s’exprime dans un français parfait. « Tu repasseras bien nous voir dans la semaine, non ? », envoie-t-il d’un ton familier à SON public sur cette scène de Bercy, où quelques instants auparavant l’implacable machine son et lumière de Pink Floyd balançait encore sa sauce sidérante. Comme le Buffalo Bill du Wild West Show, le guitariste chanteur est un incroyable Monsieur Loyal, dans un grand cirque quadriphonique de lasers, colour-rays, fumigènes, rétro-projections et autres effets spéciaux de la génération « Guerre des Étoiles ».
Le syndrome du Pink nombrilisme est incontestable, mais d’autres n’auraient-ils pas sombré a jamais dans les marais mirages de Las Vegas en troquant leur chemise à fleurs hippie pour un smoking d’occase ? Derrière son cinéma, Gilmour orchestre sa folie avec le sang-froid d’un commandant de sous-marin atomique. Pour tenter d’en savoir plus, je m’y suis glissé, dans la peau d’un passager clandestin du Floyd. Dans ses bureaux de Lesly Productions a deux pas de la Nation, Jean Gemin, le promoteur de la tournée hexagonale, règle au téléphone un deal de sponsor pour la date du Stade-Vélodrome de Marseille. Ex-comédien sur les planches, à la télé, au ciné – « La Scoumoune » avec Belmondo, par exemple – il n’a jamais perdu sa fibre théâtrale. Mais en business, on lui prête une droiture yankee du sens de la parole donnée. À la fin des sixties-début seventies, il fait ses premiers gigs chez KCP en montant les premières tournées Pink Floyd, dont la légendaire prestation soixante-huitarde de la fête de I’Huma.
« C’était la toute première grande machine avec décors et effets spéciaux », se souvient Jean Gemin. « Avec les prémices de la quadriphonie et une qualité de son que n’avait aucun autre groupe, Pink Floyd projetait le rock vers son plus proche futur. Quelques années plus tard, pour la tournée sponsorisée par Gini de 74, ils avaient déjà la taille mastodonte. Mais a I’époque, le climat était extrêmement tendu. La délivrance viendra dans la séparation avec le départ de Waters, un créateur fabuleux, mais un caractère de cochon ( volant ? NDR). II s’est isolé lui-même, car il était le seul à cultiver ce côté grosse tête-vedette de I’ancien Pink Floyd. Gilmour, au contraire, reste très humain et très proche de son équipe. »
Après la tournée de 77, le promoteur récidive avec une fidélité quasi conjugale et orchestre de toutes pièces la superproduction du groupe l’an passé a Versailles. Les élus locaux qui avaient pourtant refusé le site à Bowie, Springsteen et aux Stones donnent leur feu vert au Pink sous le blitzkrieg de garanties apportées par Gemin. Et 175 000 quidams se pressent sur le pavé historique de Versailles a 2 000 F TTC l’unité(300€ tout de même, une fortune pour l’époque: NDR). Si l’un des trente semi- remorques avait égratigné le portail central, la (Pink) Lloyd aurait dû débourser un chèque de deux cents plaques à l’ordre du conservateur. Mais à Versailles, en plus des 175 000 billets et des 5 000 invitations, on déplorera plus de 5 000 faux billets. Cette année, pour casser la baraque des faussaires potentiels, Jean a dû prévoir quatre protections différentes — gaufrage, filigrane, encre fluorescente et brins de laines dans la trame du papier. Sur la tournée italienne, le promoteur local, pour enrayer les vagues persistantes de billets de singes, a carrément doté chaque ticket d’une puce avec un numéro aléatoire pour les huit shows sold-out de 60 000 places, un record.
« Voir un concert de Pink Floyd, ça marque une vie », explique Jean en s’engouffrant dans le parking souterrain du POPB. À trente heures du show, les semi vomissent un flot ininterrompu de fly-cases soulevées puis roulées par des roadies. Un chapeau noir sur les cheveux roux, en short et Lacoste, harnaché comme un commando avec son casque-micro émetteur, un Rambo vole d’un fly a l’autre, en activant le déchargement. Jean me présente Maurice Lyda, maitre d’équipage survitaminé du vaisseau Floyd. L’ancien tour manager de Wings, Bowie, Blues Brothers et Genesis file au pas de course dans les entrailles de Bercy pour débouler dans une salle où la scène n’existe pas… encore. Du plafond charpente de métal une jungle de chaines descend jusqu’au sol. Le PA et les éclairages seront hissés dans les limbes pour quelques litres de sueur… avant de passer a tous les effets spéciaux. « De ce côté-la, on est verni. Nous avons tout ce qui a été jamais conçu et bien plus encore », rigole nôtre Speedy Gonzales texan. « En fait, Pink Floyd a imaginé toute son idée du show et, pour la concrétiser, une armée d’ingénieurs a retroussé ses manches pour se mettre au boulot. Pour matérialiser le rêve Pink Floyd, nous avons dû concevoir puis construire de toutes pièces une foule d’équipements. Car tu ne vas pas aux Galeries Lafayette du Rock avec un caddy pour te servir en matos; des mois et des mois de conception ont été nécessaires pour créer tout ce qu’on voit sur scène. Quarante sociétés ont été mobilisées par le développement du show. Et si l’on compte les sous-traitants, on dépasse largement la centaine. Ce show est vraiment inédit, car la plupart des effets spéciaux sont sortis droit de l’imagination du groupe à la scène via la planche à dessin et tout le cursus.
Mais le résultat est à couper le souffle, comme ces jeux de lumière télécommandés sur rail et câble qui se déplacent aussi bien à la verticale qu’à I’horizontal. Pour ce petit truc, une firme de New York s’est cassée le cul durant des mois. Les lasers sont sidérants. Au lieu d’un système à faisceau unique, nous en avons quatre, ce qui est quatre fois plus que la plupart des groupes en tournée. Le système optique des « Colour-Rays », ces néo-lasers dont I’avantage est l’absence de risque de lésion sur les yeux des spectateurs est tout aussi insensé et développé exclusivement pour Pink Floyd et à leurs frais. Prenons un effet simple comme le cochon géant qui survole le public ; avant même de voler, cette bestiole pèse déjà 60 000 dollars – 400 000 F à l’époque… 50.000€ aujourd’hui – d’études et de conception. Sans compter les socles hydrauliques et robotisés qui supportent les éclairages spéciaux, l’informatisation complète du système, les gadgets comme le lit qui traverse la salle ( clin d’oeil à la pochette de « A Momentary Lapse of Reason » ou la boule tango mutante, nous avons dû expérimenter une technologie insensée simplement parce que Dave et Nick nous ont dit « voilà, ce que nous avons imaginé, débrouillez-vous pour que ça marche ». Ce show est gratifiant, car il n’est pas facile. C’est un vrai spectacle, total, pas un gig léché par quelques spots. Avec Pink Floyd, la véritable vedette c’est la mise en scène. The show must go on, voilà pourquoi nos grimpeurs jouent aux hommes volants pour réparer des trucs pendant que le groupe joue vingt mètres plus bas. Certains jours, j’ai vraiment l’impression qu’on est en train de construire une voie de chemin de fer en plein pays Comanche. »
Le casque de Maurice grésille, l’opération prise de Bercy a déjà deux heures de retard sur l’horaire prévu. Speedy a déjà filé aux antipodes de la salle pour que les fly volent encore un peu plus vite. Le lendemain a huit heures du matin le montage reprend dans la valse des Fenwicks. Sur le squelette de métal de la scène, dans les limbes et les coursives, deux cents personnes s’activent pour vous jusqu’au soir. Et lorsque Bercy s’emplit de ses seize mille locataires, la Floyd machine démarre au quart de tour. Radeau électronique de la méduse dans une marée humaine, la console son où je me trouve est un véritable PC de commandement. Casque émetteur sur la tête, chaque opérateur d’effet spécial pilote ses machines par la queue ordinateur de la souris d’un Apple II. L’ingénieur des « Colour-Rays » télécommande ses R2D2s de lumières en tapant la mesure. À ses ordres les robots dociles réintègrent leur trappe souterraine, avant d’être instantanément relayés par une rétro-projection 35 mm de vertigineuses images aquatiques. Là-haut, sur les passerelles ou dans les airs, d’invisibles Spidermen font tourner la machine. Devant moi, papa et maman Gilmour ont les yeux rivés sur la scène. À quoi peuvent-ils bien songer ? Rescapé de la génération acide, leur fiston assagi n’a manifestement pas exorcisé tous ses vieux démons. Mais que penserait le docteur Freud du grand show Pink Floyd ?
Publié dans le numéro 253 de BEST daté d’aout 1989