BLANCMANGE VS EYELESS IN GAZA
Voici 42 ans dans BEST GBD se tournait vers ces nouveaux duos sur canapés de la New Wave. Car après OMD et Soft Cell, l’offensive synthétique se poursuivait outre-Manche avec les underground Eyeless In Gaza et les nouveaux Toppers Of the Pops au nom de dessert sucré comme leur pop avec Blancmange originaires de Harrow. Dans un challenge de duos supersoniques. Flashback…
Décidément, cette nouvelle vague made in England n’en finissait pas de s’abattre sur notre Hexagone. La preuve par les Eyeless In Gaza, découverts sur la scène du fameux Bains-Douches, et par les ex-étudiants d’art, les Blancmange repérés par le vigilant Stevo, le manager de Soft Cell et du label Some Bizarre propulsés au sommet des charts par leur « Feel Me »…qui triomphent alors sur la scène du mythique Rose Bonbon…
Publié dans le numéro 175 de BEST sous le titre
DUOS SUR CANAPÉS
Soft Cell, Orchestral Manœuvres in the Dark ( Voir sur Gonzomusic ORCHESTRAL MANOEUVRES IN THE DARK: « Crush », ORCHESTRAL MANŒUVRES IN THE DARK : AU CREPUSCULE DE LA NEW WAVE, ORCHESTRAL MANŒUVRES IN THE DARK À LA CIGALE et aussi ORCHESTRAL MANŒUVRES IN THE DARK « Bauhaus Staircase » ), Yazoo ( Voir sur Gonzomusic POP MUSIK 1983 Première Partie et aussi YAZOO « Upstairs at Eric’s » ) : les années 80 et la sophistication des synthétiseurs ont déboulonné la structure traditionnelle de la cellule « groupes de rock » pour la remplacer par des rapports de couple. Peu à peu, les duos synthétiques se taillent la part du lion. Le rock traverse-t-il une crise de croissance ou avons-nous sauté le pas d’une évolution ? Blancmange et Eyeless in Gaza giguaient à Paris, et je suis allé flairer !e fait de société l’espace de deux entretiens où ces deux duos m’étaient servis sur canapés. Martyn Bates et Peter Becker ont aiguillé Eyeless In Gaza sur la voie du minimalisme. Leur musique très dépouillées s’articule en en titres express où l’on ne perd pas de temps à tourner sa langue sept fois dans sa bouche. Eyeless pratique une sorte de beauté sauvage, qui exclut les artifices pour présenter l’intensité brutale des émotions. Sur la scène des Bains-Douches, les morceaux s’enchaînent sans nous laisser le temps de souffler. J’avoue que je ne ferais pas d’ Eyeless in Gaza mon lot quotidien, mais cette musique m’intrigue suffisamment pour me brancher. Marlyn et Peter me font l’effet d’intellectuels, de théoriciens d’un nouvel ordre musical Sont-ils aussi sérieux qu’ils en ont l’air ? Le meilleur moyen de s’en assurer étant la provocation, j’attaque dans le débile :
« Heu… lequel est Eyeless lequel est Gaza ? »
Ils éclatent de rire en stéréo.
Peter Becker : Bravo c’est une question qu’on ne nous a jamais posée, tu as gagné cette boîte d’allumettes ». C’est vrai, le nom du groupe n’a absolument aucun rapport avec la bande Gaza au Moyen-Orient. En fait, c’est juste le titre d’un roman d’Aldous Huxley dont le nom a su les accrocher_
Martyn Bates: On découvre tout juste notre public français car nous ne jouons pas trés souvent, une manière de refuser le mercenariat imposé par la scène. Chaque concert doit être une expérimentation. Pour atteindre l’intensité maximale il faut savoir laisser une place à la spontanéité’,
PB : Au minimum ce que nous attendons d’un public, c’est qu’il sache écouter notre musique. Ensuite, il peut en faire ce qu’il veut. Nous n’espérons pas le plonger dans une transe, car nous ne voulons pas de sclérosés dans leur bulle. La fuite de la réalité n’est hélas qu’un mythe. De toute façon, je ne crois pas qu’on ait envie d’accrocher tout le monde.
L’idée d’être détesté ou ignoré par certains vous parait-elle séduisante ?
PB : Je n’essaye jamais de dicter aux gens leur conduite : aimes-nous ou détestez nous ! Si des individus ne font pas l’effort de rentrer dans notre musique, moi je ne rentre pas chez moi en larmes : c’est leur choix, un point c’est tout.
Vous êtes des intellectuels ou des esthètes ?
PB : Je ne suis resté à l’école que jusqu’à mes dix-huit ans. Après avoir décroché mon A Level (BAC), j’ai commencé la fac, mais je n’étais pas du tout motivé. On essayait de me pousser dans des matières scientifiques mais pour moi c’était du chinois. Après la fac, j’ai trainé l’espace de deux ou trois jobs, avant de me retrouver dans une boite de textile. J’ai travaillé durant neuf années sans passion ni excitation. Voilà deux ans, j’ai rencontré Martyn et ma vie s’est bouleversée dès que nous avons commencé à jouer ensemble.
MB : Il existe plus d’une sagesse. Moi j’ai quitté l’école à seize an Et Eyeless in Gaza nous a permis de tracer notre propre vision de la réalité au lieu de nous laisser imposer celle de la société
Comment expliquez-vous l’absence ou la quasi absence de batterie dans vos morceaux ?
PB : Il n’y a pas que le rock ou la musique à danser sur Terre. Ce qui importe avant tout c’est la communication, la spontanéité. Notre musique naît d’une certaine alchimie entre nous deux.
Donc, vous êtes exactement comme un couple ?
PB : C’est une excellente une définition. Mais nous conservons chacun un espace qui nous est propre c’est le seul moyen de préserver notre Identité.
MB : À la base, notre but, c’est la communication.
P.B: Si les chansons sont directes et rapides, c’est pour éviter les répétitions inutiles. Il faut cracher ce que tu as dans les tripes une bonne fois ; cela ne sert à rien de tergiverser deux ou trois minutes supplémentaires. En allant droit au cœur, nous sommes assurés de préserver notre honnêteté ; nos disques ne sont pas des bluffs énormes et impressionnants. Nous préférons enregistrer en une seule prise, ainsi, notre sensibilité reste impulsive et naturelle ».
Peter et Martyn regagnent Eaton et leurs Midlands par premier ferry, mais Eyeiess reviendra bientôt sur le continent…si le couple n’a pas divorcé d’ici-là.
Blancmange ou Blancmangé ? Le groupe ou le dessert anglo-normand inventé par des moines au 14e siècle ? Le duo synthétique ou te mélange de maïs, de sucre et de lait ? Lorsque Neil Arthur et Stephen Luscombe se sont rencontrés voilà quatre ans, au Harrow College, ils avaient chacun leur propre groupe : The Viewfinders pour Neil et Music Improvisation Research Unit pour Stephen qui se livrait à des manipulations diverses sur des instruments aussi étranges que les Tupperware. Blancmange, le duo, se synthétisera pour Stevo et sa compilation Some Bizzare. « Sad Day » est enregistré sur un quatre pistes. Le manager de Soft Cell n’a pas manqué de flair, Blancmange signe chez Decca et les deux premiers simples se classent avec aisance dans les charts. Et « Feel Me devient bientôt la coqueluche de Top of the Pops. Neil, au fond de sa voix, cultive une intensité qui rappelle étrangement David Byrne. Longiligne dans ses fringues de fripes, il domine sans peine au Rose Bonbon sa batterie de percussions diverses. Steve, plus ramassé, maîtrise ses claviers dans l’uniforme World’s End signé Vivienne Westwood : t-shirt à • trous-trous » et pantalon flottant. Avec B!ancrnange, l’art de l’interview se pratique de manière atomisée, les sujets se mêlent et se succèdent en tir croisé. Leur vie d’oiseau de nuit au Palace de Camden-de-Steve-Strange ou au Goid Coast Club, une boîte qui ne programme que du high life, ils la vivent aux rythmes accélérés de leur sequencer . Steve et Neil ont choisi la vie de couple sur la lancée des années 80 et du déferlement technologique, mais je les suspecte d’avoir voulu à tout prix échapper à l’image classique des groupes de rock imposée par les 60’s et les 70’s. La musique de Blancmange est assez ambitieuse, leur pop synthétisée est savamment dosée pour glisser parfois vers un funk complètement entraînant. Steve et Neil ont dû être marqués par l’influence de Kraftwerk leurs chansons filent à la poursuite de l’« Autobahn » ou du « Trans Europ Express ». Sur les radios, chez les D.J., bref, un peu partout, Blancmange réussit un joli carton. Sur scène, le duo tient toutes ses promesses : c’est dansant, entraînant, et on parvient presque à détacher ses yeux du magnéto qui tourne pour les épauler. De toute façon, depuis le «Winston », Revox d’Orchestral Manœuvres on a l’habitude des tape-superstars : tous ces couples synthétiques ont un rejeton qui dévore du dioxyde de chrome et Blancmange n’échappe pas à ce nouveau planning familial. Moins cérébraux qu’Eyeless in Gaza, Stephen et Neil sont assez avares de confidences.
« Neil Arthur: Ne sommes-nous pas en 80, 82… 83. à une époque où la technologie devient complètement disponible. Tous les gens comme nous peuvent, s’ils le désirent, créer à deux tout un ensemble musical : c’est comme s’ils pouvaient se démultiplier à l’infini ».
Back to l’homme-orchestre ? Bientôt, les musiciens ne seront plus qu’une toute petite boîte ou une galette de plastique, une fréquence d’onde ou une projection psycho-synthétique et nous, nous ne serons plus que l’homme à la tête de choux chanté par Gainsbourg.