BLACK ROCK USA 🇺🇸
Voici 31 ans dans BEST, GBD assistait au Stade Olympique de Montreal au triomphe des Living Colour en premiĂšre partie du « Steel Wheel Tour » des Stones face Ă 65.000 canadiens chauffĂ©s Ă blanc. Auparavant, il avait Ă©galement expĂ©rimentĂ© le choc Ă©lectrique du funk-rock destroy des Fishbone comme celui des Bad Brains Ă lâElysĂ©e-Montmartre, avec la fusion intense du Dan Reed Network. Bref, au tournant des 90âs jamais le rock black nâavait Ă©tĂ© aussi beautiful⊠et noisy… flashback !
Au pays du rock, les coĂŻncidences se rĂ©vĂšlent parfois juste hallucinantes ! Pas plus tard quâhier je tendais mon micro Ă un nouvel et excitant guitariste rock de Seattle, qui sera dâailleurs lundi 29 novembre en concert au New Morning. Et sâil nâest pas gaucher (suivez mon regard cotĂ© Hendrix), Ă 38 printemps le guitaristes Ayron Jones est un phĂ©nomĂšne rock. Black comme Jimi, grunge comme Kurt, son 3Ăšme album « Child of the State » est juste une bombe sonique dont nous reparlerons trĂšs largement dans Gonzomusic. Bien entendu dĂšs notre rencontre, je lui dis que sa musique me rappelle furieusement Bad Brains, Fishbone et Living Colour. Ayron sâesclaffe alors et me lance : « Jâai encore parlĂ© au tĂ©lĂ©phone avec Vernon Reid pas plus tard quâhier. Il est un peu mon grand frĂšre ». 31 ans auparavant, je filmais ce guitariste leader de Living Colour pour la tĂ©lĂ© et je lâinterviewais pour BEST. Et câest justement lâarticle que je voulais re-publier ce week end⊠incroyable coĂŻncidence ! Il est dĂ©diĂ©Â Ă tous ces blacks qui ont osĂ© revendiquer leur culture rock, des obscurs Bus Boys Ă Phil Lynott de Thin Lizzy, de Jimi Hendrix Ă Nile Rodgers de Chic, de Chuck Berry Ă Prince, ce BLACK ROCK USA vous est dĂ©diĂ©, les gars. Rock onâŠ
Â
Publié dans le numéro 263 de BEST sous le titre
Â
EN NOIR ET EN COULEUR
Â
Living Colour, Dan Reed Network, Fishbone, Bad Brains, ceux-la sont dĂ©jĂ des « anciens », mais chaque semaine voit apparaitre son nouveau groupe de black metal ou de funk rock. Depuis le temps que les blancs pillent la musique des noirs, il Ă©tait temps quâon leur rende la monnaie de la piĂšce. Dans tous les livres d’histoire de l’AmĂ©rique, on retrouve cette image conquĂ©rante de George Washington traversant seul le Potomac pour hacher menu les rosbifs et signer la Constitution des Ătats-Unis. En fait, Georgie n’Ă©tait pas tout Ă fait seul pour ramer… et sans l’aide de leurs esclaves noirs libĂ©rĂ©s et armĂ©s, jamais les « insurgents » n’auraient arrachĂ© la victoire aux fĂ©roces habits rouge de Sa MajestĂ©. Mais au nom d’un implacable matĂ©rialisme historique, lâAmĂ©rique blanche a toujours su gommer cette influence noire. Et, sans doute pour la mĂȘme raison, les blancs ont-ils dĂ©tournes les sources noires du rock’n’ roll pour que les brothers trop bronzĂ©s Ă leur gout se cantonnent dans le « babe babe » sirupeux. Guerre de libĂ©ration pour dĂ©cibels, les chevaliers noirs mutants du funk-rock ont choisi cette nouvelle dĂ©cade pour oser challenger le mĂ©tal du rock tout en revendiquant leur hĂ©ritage.
Au dĂ©but des annĂ©es 80, au Power Sation studio de NY lorsquâil enregistrait avec Chic, Nile Rodgers me confiait toute sa frustration et sa rage de ne pouvoir s’affirmer comme un vrai guitariste de rock. Aujourdâhui Living Colour et son funk- rock incendiaire partage lâaffiche de la tournĂ©e Stones avec «le plus grand groupe de rock du monde ». Et ce mĂ©lange dĂ©tonnant de riffs d’acier et de funk body-buildĂ© apparait en gĂ©nĂ©ration spontanĂ©e pour tracer les nouvelles frontiĂšres de notre paysage musical. En dĂ©barquant Ă lâaĂ©roport Mirabel de MontrĂ©al, pour la derniĂšre date officielle de la tournĂ©e US Stones/Living Colour, dans ce dĂ©cor glacĂ© semi-industriel je pouvais presque contempler tout le chemin parcouru par la formation noire de Brooklyn jusqu’Ă la mĂ©ga scĂšne des Stones. Cette annĂ©e en raflant une vĂ©ritable tribu d’Awards de tous poils, Living Colour a su s’imposer comme chef de file de ces Indiana Jones du mĂ©tissage Ă la recherche du rock perdu tels que Fishbone, Bad Brains, 24-7 Spyz ou encore le Dan Reed Network ( Voir sur Gonzomusic  https://gonzomusic.fr/dan-reed-network-le-petit-prince-de-portland.html et aussi  https://gonzomusic.fr/dan-reed-network.html ). Pour me retrouver Ă lâhotel , Corey Glover et Muzz Skillings, respectivement chanteur et bassiste de Living Colour, se sont dĂ©guisĂ©s en yetis en superposant les pulls et les blousons pour combattre le froid canadien. Ils se marrent. Chez eux Ă Long Island on a l’habitude de se les geler. Mais la rigueur comme la sueur sont les carburants qui brĂ»lent dans le rĂ©acteur Living Colour. Car si la musique s’abandonne aux dĂ©flagrations des riffs, c’est pour mieux canaliser la rage de leur message contre une AmĂ©rique Ă deux vitesses. En secouant ses dreadlocks, Corey trace les bouleversements qu’ont subi son quartier, comme un echo Ă leur titre-choc « Open Letter To a Landlord ». Dâabord les promoteurs se sont dĂ©brouillĂ©s pour que la chaussĂ©e dĂ©jĂ dĂ©foncĂ©e soit dĂ©barrassĂ©e de son revĂȘtement. Terre battue, ordures qui s’amoncellent, Ă©paves automobiles, peu Ă peu les conditions de vie au quotidien se sont dĂ©gradĂ©es pour aboutir Ă l’exode des habitants les plus aisĂ©s. Ă ce stade s’installe la vermine du crack et de la prostitution qui achĂšvent de dĂ©manteler le quotidien pour imposer le sordide en guise de  way of life. Et dans le pĂ©rimĂštre des crack-houses, les dealers contrĂŽlent leur no manâs land dans le crĂ©pitement de leurs armes automatiques.
« On rĂ©pĂ©tait depuis des annĂ©es dans cette cave », explique le chanteur, « On a pu mesurer de jour en jour la dĂ©gradation quotidienne du quartier. Un soir lorsque nous venions d’Ă©teindre les amplis, on a entendu comme des explosions. Dehors ça canardait de tous les cĂŽtĂ©s. Soudain nous avons entendu les sirĂšnes dâune voiture de police et les tireurs fous se sont calmĂ©s. Nous on sâapprĂȘtait Ă lever le camp, mais dĂšs la patrouille a disparu au coin de la rue, les tirs ont repris de plus belle. La cupiditĂ© des promoteurs immobiliers a transformĂ© ces hommes en bĂȘtes et leur bon sens ne va pas plus loin que le canon de leur Uzi, Mais comment les blĂąmer, lorsque leur seul futur se rĂ©sume Ă une file de chĂŽmage ? La dope les transforme en millionnaires instantanĂ©s, seul Ă©chappatoire a la misĂšre, et pour ces mĂŽmes peu importe si ta route sâarrĂȘte brutalement sur un impact de balle, une OD ou un HIV positif. »
«Je regarde la tĂ©lĂ©/Ton AmĂ©rique se porte bien/Je regarde par la fenĂȘtre/Mon AmĂ©rique a moi traverse lâenfer/Alors je veux juste savoir comment rejoindre ton AmĂ©rique » chante Corey sur « Which Way To America » socio-exorcisme dans les dĂ©flagrations des guitares Ă©lectriques.
Ă la fin des annĂ©es 70, dans la tourmente de lâafter-shock pĂ©trolier, Rick James avait dĂ©jĂ tentĂ© le mĂ©lange funk/rock en inventant son brillant « punk-funk » comme un pont trace de part et d’autre de l’Atlantique entre les ghettos noirs et blancs. De mĂȘme, Basement 5 en Angleterre emportĂ© par son leader Dennis Morris osait expĂ©rimenter un reggae injectĂ© et hardcore avant l’heure pour secouer les ghettos anglais du rock. Pendant ce temps-lĂ , les cousins yankees dĂ©couvraient les Bus Boys, le tout premier groupe black de LA qui s’adonnait au rock-blues. Quelques annĂ©es plus tard, Ă Minneapolis, Son Altesse pourpre qui n’Ă©tait pas encore Batprince tĂ©lĂ©guidait son dernier groupe marotte Mazarati au cross-over aromatisĂ© mĂ©tal. On peut aussi remonter jusquâĂ la lĂ©gendaire « rose noire d’lrlande », Phil Lynott, le bassiste leader de Thin Lizzy, sans oublier le rock charisme du gĂ©ant Hendrix. Mais Jimi avait Ă©tĂ© forcĂ© de s’exiler en Europe car jamais lâAmĂ©rique de lâĂ©poque nâaurait acceptĂ© de sacrer un guitar-hero Ă la peau sombre. Plus de dix ans plus tard, Prince devra batailler de taille et d’estoc pour rĂ©ussir Ă creuser une brĂšche sur les charts rock, puis sur la lucarne MTV.
Si Black Sabath n’Ă©tait pas vraiment black, par contre les teigneux Bad Brains sont les premiers Ă s’aventurer sur la route du mĂ©tal striĂ© de funk en inventant leur concept « hardcore ». Au dĂ©but des 80’s, les Bad Brains mettent leur fief Washington DC Ă feu et a rock en osant patch-worker riffs frĂ©nĂ©tiques et basse pression funkisante. Leur sidĂ©rant mĂ©lange ouvre ainsi les gigs des Damned et des Stranglers. HĂ©ros de la compile « Let Them Eat Jellybeans » des Dead Kennedys, ces BB furibards imposent leur furie de premiers mutants funk-rock. Lors de leur passage Ă Paris voici quelques mois, leur set qui enchainait a perdre haleine rock nĂ©vrosĂ© et reggae destroy a laissĂ© Ă tous les aficionados de l’ElysĂ©e-Montmartre un souvenir secouĂ© qui ressemblait Ă s’y mĂ©prendre Ă deux doigts glissĂ©s dans une prise de courant. De mĂȘme les 24-7 Spyz du South Bronx, dĂ©couverts cette annĂ©e aux Transmusicales, pratiquent un cocktail anarchique Ă la limite de la rĂ©sistance humaine de speed metal, de trash-funk et d’une punkitude exacerbĂ©e.
L’an passĂ©, Rennes nous avait dĂ©jĂ offert le choc salutaire de Fishbone, une formation de mutant-funks originaires de LA qui pratiquent le plus ardent des melting-pot musicaux. Bombe humaine au look du vaudou Baron Vendredi, saxy-sexy lorsquâil souffle dans son hanche, Angelo Moore, son crĂąne glabre et ses trois locks dĂ©colorĂ©s qui pendouillent, a tout l’air d’un extra-terrestre. Dans la tourmente dĂ©chirĂ©e de Fishbone, oĂč les dĂ©lires funk jouent lâautodafĂ© dans le rock, le ska, le blues et le jazz, Angelo se propulse sur les vagues humaines du public comme un plongeur dâAcapulco. Musicos hors pairs, les Fishbone ont assimilĂ© Ornette Coleman comme les Pistols pour superposer les feelings les plus disparates sur des textes socio-politisĂ©s aux thĂšmes Ă©galitaires. DĂ©jĂ deux LP 4 leur actif et un troisiĂšme qui pointe son nez pour le printemps. Les Fishbone se placent sans conteste sur la crĂȘte de cette nouvelle vague de punker-funkers quadri-dimentionnels. Arc-en-ciel musical et racial conduit par un lead-guitar mĂ©tissĂ© hawaĂŻen, leDan Reed Network joue la fusion sur les cĂŽtes Pacifique de l’Oregon entre un rock cuirassĂ© et un groove gras tendance Kool And The Gang. Sur scĂšne, Dan et son gang dĂ©veloppent une Ă©nergie sĂ©isme qui donne des poussĂ©es de fiĂšvre Ă l’Ă©chelle de Richter. En visite Ă©clair & Paris pour prĂ©senter « Slam » sa seconde Networkerie, Dan Reed rigolait encore de son dernier gig Ă Seattle.
« J’ai glissĂ© sur mon cĂąble de micro pour tomber dans la fosse orchestre six mĂštres plus bas. Jâavais du sang partout et le public hurlait. En remontant sur scĂšne, je chantais mes chan sons comme si quelquâun d’autre les avait Ă©crites, j’Ă©tais totalement extĂ©rieur au concert. Ă moitiĂ© amnĂ©sique durant deux heures, j’ai retrouvĂ© ma mĂ©moire dans lâambulance qui filait toutes sirĂšnes hurlantes vers lâhĂŽpital. »
Dan Reed est un dur, Il l’avait dĂ©jĂ prouvĂ© l’an passĂ© sur la lancĂ©e d’un massif premier album et d’un gig tourbillon au New Morning. GrĂące a une rencontre organisĂ©e par Little Steven, Nile « Let’s Dance » Rodgers met tout son groove en co-production avec Dan pour rĂ©aliser « Slam ».
« Nile produisait les B 52’s, explique Dan Reed, » et il m’a demandĂ© si j’avais dĂ©jĂ quelqu’un en vue pour faire l’album. Bruce Fairbain Ă©tait occupĂ© avec Aerosmith et Nile avait vraiment I’air motive. Au dĂ©but, je craignais qu’il ne nous entraine un peu trop sur le cĂŽtĂ© funky de la route. II dĂ©ployait tant d’enthousiasme qu’il a fini par nous convaincre. En studio, i! Ă©tait totalement Ă©lectrisĂ© par le challenge de produire un groupe de rock. »
Réseau multi-racial, le Dan Reed Network projette une image « United Colors of Beneton », cependant le groupe préfÚre éviter le militantisme trop premier degré,
« C’est vrai, je me sens assez proche de l’esprit d’un groupe comme Living Colour », reprend Dan, « mais je
trouve quâils en font un peu trop du cĂŽtĂ© prĂȘche. Dans leurs concerts, ils font toujours au moins un discours. C’est un rĂ©flexe qui remonte Ă lâenfance, mais lorsque tes parents tentaient de te dicter ta conduite, par rĂ©action tu faisais tout le contraire. Aussi lorsqu’un groupe comme eux vous dit ce que vous devez ĂȘtre, lâeffet obtenu peut ĂȘtre totalement nĂ©gatif. Le simple fait qu’ils fassent du rock, quâils sâimposent en premiĂšre partie des gĂ©ants Stones est assez clair pour que passe leur message. »
Dan Reed secoue ses cheveux longs de chef sioux. Franc-tireur du funk-rock mutant, il prouve que les années 90 appartiennent à ceux qui refusent de choisir leur camp retranché.
Date ultime de la tournĂ©e US des Stones, MontrĂ©al consacre le phĂ©nomĂšne Living Colour nĂ© seulement deux ans auparavant par la rencontre du guitariste prodige Vernon Reid et d’un acteur dĂ©sabusĂ© – il jouait dans le film « Platoon »- et charismatique, Corey Glover. SĂ©duit par sa magistrale interprĂ©tation de « Happy Birthday », Ă une soirĂ©e, Vernon embarque Corey dans son projet Living Colour avec son vieux copain Muzz Skillings et Will Calhoun, un batteur rĂ©putĂ© pour la prĂ©cision de son punch. Vernon, qui avait dĂ©jĂ accompagnĂ© Jagger dans ses cessions solo de « Primitive Cool », invite le fameux lippu a un gig au CBGB’s. LĂ , foudroyĂ© par le blitzkrieg des quatre blacks, le Rolling Stone finance de ses dollars une maquette qui conduira les Colour droit Ă leur premier album « Vivid », produit par Ed Stasium, le producteur historique et lĂ©gendaire des Doors, des Ramones et des Talking Heads. Dans le bus argentĂ© qui roule vers le Stade Olympique, Vernon Reid a beau ĂȘtre crevĂ©, son sourire est radieux lorsquâil me confie :
« Ces concerts pour nous constituent une vraie victoire car nous pouvons enfin exprimer sans contrainte
toute la musique et tous les mots qui nous entĂȘtent. La musique est une manifestation de culture que nous devons partager car nous sommes tous semblables dans notre diffĂ©rence et c’est un paradoxe qu’on retrouve dans toutes nos chansons. Ainsi quelque soit l’aspect ethnique, cette musique aura un cĂŽtĂ© universel. Notre histoire n’est pas totalement exemplaire, sauf que jamais nous n’avons jetĂ© l’Ă©ponge pour que cette Ă©motion reste toujours aussi saignante. »
Au delĂ des dĂ©cibels et du feeling, les Living Colour partagent la mĂȘme fascination pour la littĂ©rature et les idĂ©es. Intellos rock and funk, ils se passionnent pour les romans futuristes de James Baldwin et la nĂ©gritude polarisĂ©e de William Gibbson. Gigantesque vaisseau fantĂŽme sur un ocĂ©an de neige, le stade de Montreal a le profil de sa flĂšche de bĂ©ton pointĂ©e vers le bleu du ciel hivernal. 68 000 billets ont Ă©tĂ© vendus pour le concert de ce soir, mais pour I’heure le Stade Olympique n’est encore qu’une grande coquille vide livrĂ©e aux roadies et Ă la sĂ©curitĂ©. C’est alors que Muzz Skillings me branche sur les mĂ©faits du matĂ©rialisme historique :
« Lorsque j’Ă©tudiais Ă Berkeley », explique-t’il, « j’ai beaucoup appris sur la maniĂšre dont fonctionne ce monde, tout le non-dit sur cette AmĂ©rique nĂ©e de lâexpansionnisme europĂ©en. Ces navires qui apportaient la civilisation ont aussi dĂ©truit toutes les cultures prĂ©- existantes. L’Afrique a totalement Ă©tĂ© mutilĂ©e par les europĂ©ens parce quâils n’avaient pas le mĂȘme systĂšme de pensĂ©e. Comment blĂąmer les chefs de
tribu qui se sont livrĂ©s au trafic dâesclaves ? En Afrique lorsque deux nations Ă©taient en guerre, les prisonniers
devenaient automatiquement les esclaves des vainqueurs, mais ces serviteurs nâĂ©taient jamais enchainĂ©s, bien au contraire. Ils Ă©taient intĂ©grĂ©s Ă la communautĂ© et un esclave pouvait ainsi devenir roi. Ainsi lorsqu’un chef offrait des esclaves aux blancs en Ă©change de leurs marchandises, comment pouvait-il deviner qu’il les expĂ©diait droit en enfer sans imaginer qu’on leur arracherait toute leur dignitĂ©, qu’ils seraient torturĂ©s, violĂ©s, quâils attraperaient des tas de virus… Les europĂ©ens ont plantĂ© leurs banniĂšres pour revendiquer les terres au nom de leur souverain. Cette arrogance ridicule a dĂ©gĂ©nĂ©rĂ© en mort et en destruction sur je reste du monde. Alors comment prendre pour argent comptant ce que nous racontent Reagan ou Bush lorsqu’ils nâessaient que de conforter leur pouvoir ? Car dĂ©s lâinstant oĂč tu possĂšdes une Ă©ducation un peu poussĂ©e, tu deviens dangereux. Si j’ai choisi une option « Histoire du peuple noir» c’est pour pouvoir rĂ©futer tous les mensonges dont nous Ă©tions abreuvĂ©s et dĂ©couvrir que Christophe Colomb nâavait pas invente lâAmĂ©rique. Mais aux USA lâĂ©ducation est justement une affaire de classe sociale. Certains mĂŽmes doivent bosser pour manger, d’autres sont carrĂ©ment cernĂ©s par la drogue dans leur foyer, leur quartier et par toutes les tentations du monde. Quelle vision cynique lorsque cette sociĂ©tĂ© se contente de les montrer du doigt en disant: « Tout est de votre faute les p’tits gars, fallait mieux apprendre Ă lâĂ©cole. »
Vingt-cinq mĂštres de haut, cent de long, cette scĂšne monstrueuse en forme de raffinerie post-industrielle nĂ©cessite soixante semi-remorques pour la transporter et des centaines de bras pour lâĂ©difier. Vu du fond du stade, les Living Colour sont de charmants lilliputiens aussi grands qu’un filtre de cigarette. Ce soir, les Stones sont Ă la bourre. De mĂ©chante humeur, Mick parcourt la scĂšne de long en large encapuchonĂ© dans un sweat gris. Les bataillons de la sĂ©curitĂ© en uniforme bleus se dĂ©ploient sur toute la superficie du stade. Il est quasiment 19h, dans quelques instants 68 000 kids vocifĂ©rants prendront possession des lieux, les Colour devront se passer de balance. Retour au vestiaire « Visiteurs » oĂč je retrouve Will Calhoun, le batteur qui me dit, tout en se tartinant des crackers :
« Le plus frustrant, ça n’est pas de jouer sans sound-check, mais c’est fout ces mecs qui te plantent leur micro sous je nez pour te demander avec Ă©tonnement pourquoi tu fais du rock and roll. Tu verrais leur tronche lorsqu’on leur rĂ©pond que le rock and roll est l’une des formes originelles de l’art noir et qu’ils feraient mieux de demander Ă Elvis combien de blackos il a dĂ» arnaquer pour se construire son style de King ? Nous les noirs, nous n’avons pas le choix ; nous devons connaitre votre histoire, vos religions, votre culture chrĂ©tienne, mĂȘme les fĂȘtes irlandaises⊠ Okay pour tout cela, mais alors de votre cĂŽtĂ© reconnaissez aussi notre culture noire. »
Dix-neuf heures vingt, la titanesque coquille de bĂ©ton du Stade Olympique rĂ©sonne des premiers accords de Living Colour. L’Ă©nergie brute dĂ©veloppĂ©e sur scĂšne explose dans les kilowatts de lumiĂšre et de son. Et tandis que Corey secoue frĂ©nĂ©tiquement ses locks en scandant les textes socio-politiques de « Open Letter To A Landlord » ou « Cult Of Personality ». Vernon joue la guerre des Ă©toiles en dĂ©chirant l’air de ses riffs supersoniques. HĂ©gĂ©monie mutante pour le prochain millĂ©naire, le groupe des funk rockers incarne le nĂ©cessaire coup de pompe dans la fourmiliĂšre Ă la maniĂšre de quelques dĂ©brailles qui osaient lancer leur «no future » au tournant des 80’s RE-VO-LU-TION-NAIRE !
Â
Publié dans le numéro 263 de BEST daté de juin 1990