ASAF AVIDAN : L’ombre dorée
Alors que son 3 éme album , le lumineux « Gold Shadow » vient à peine de sortir, ce nouvel Asaf Avidan est déjà unanimement salué comme l’un disques qui va marquer cette année 2015. Rencontre avec cet Israélien hors du commun.
Voici deux ans, Asaf Avidan avec « The Reckoning Song/ One Day » était le tout premier artiste Israélien à décrocher un hit planétaire depuis Ofra Haza en 84. Avant cela, il fallait remonter à Esther Ofarim et son « Cinderella Rockefella »…en 1968. Mais le brillant chanteur-compositeur se distingue surtout par sa voix haut perchée sur talons aiguilles que l’on compare souvent à celle de… Janis Joplin ! Avec son second album solo intitulé « Gold Shadow », composé entre Paris et Hawaï, Asaf Avidan nous offre un nouveau séisme sonique d’une exceptionnelle magnitude. Sur scène, avec sa crête et ses cheveux rasés sur le coté, penché sur son pied de micro, Asaf Avidan ressemble à un oisillon tombé du nid. Mais ne vous fiez surtout pas à sa fragilité apparente, elle dissimule une incroyable force émotionnelle. Ses compositions ne durent que trois minutes, elle n’en demeurent pas moins intenses comme autant de chocs électriques. A 34 ans le chanteur de Tel Aviv, s’impose parmi les plus grands, dans la galerie de portraits de ses héros Léonard Cohen, Ray Charles, Edith Piaf ou Nina Simone. Rencontre avec un jeune homme touché par la grâce dont l’émotion à fleur de peau se révèle si communicative. Rencontre avec une « ombre dorée » au futur si aveuglant.
Asaf…l’interview !
« Tu es né en Israël.
Oui j’y suis né et j’ai grandi à Jérusalem, mais depuis sept ans, je suis installé à Tel Aviv. Et avant cela, j’étais à Jérusalem et dans divers pays avec mes parents car ils sont diplomates. Tout gosse, par exemple, j’ai vécu en Jamaïque de l’âge de 8 à 11 ans.
Donc tu as parcouru le monde ?
Effectivement, quatre années en Jamaïque, puis nous sommes rentrés en Israël et mes parents se sont séparés. Mais c’est en Jamaïque que j’ai appris l’anglais, car j’étais inscrit dans une école anglophone internationale.
En tout cas tu ne sembles pas avoir été vraiment inspiré par le reggae ?
J’en écoutais tout le temps là-bas, mais je ne suis pas très fan. Par contre, je suis fou de Bob Marley, mais cela n’a rien à voir avec le fait que c’est du reggae, mais avec le fait que c’est un auteur-compositeur d’une déconcertante sincérité doublée d’un chanteur absolument incroyable.
Le Ministère des Affaires Etrangères est basé à Jérusalem, c’est aussi pour cette raison que vous viviez à Jérusalem ! Et non pas parce que ta famille était religieuse ?
A l’époque la ville n’était pas autant peuplée de religieux. Aujourd’hui, c’est vrai qu’ils sont majoritaires, ce qui n’était pas le cas lorsque j’y vivais. Je présume qu’ils font plus de gamins que les non religieux ! Mais j’ai quitté Jérusalem lorsque j’ai réalisé qu’elle était de moins en moins habitable à mes yeux. Je me sentais presque comme un étranger dans ma propre ville natale, alors je suis parti vivre à Tel Aviv.
Mais Jérusalem ne peut laisser indifférent, elle a forcément eu un impact sur ta musique ?
Je n’en sais trop rien, mais le fait que je sois quelqu’un d’aussi mélancolique a sans doute un rapport avec cette ville où j’ai grandi. Mais je ne dirai pas pour autant qu’on peut entendre battre le cœur de Jérusalem dans ma musique car je ne sais pas vraiment ce que cela signifie. J’ignore si l’on peut prendre cinq musiciens nés à Jérusalem et prétendre qu’ils sonnent un peu de la même manière. C’est ridicule, car même si tu grandis au même endroit, chacun a sa propre manière d’absorber son environnement. Il est vrai que je suis quelqu’un d’hyper sensible…
C’est ce coté écorché vif qui constitue justement toute la beauté de ta musique !
Oui et toute la difficulté de mon existence ! (rire)
Est-ce que tu réalises que tu es le premier artiste Israélien à parvenir à décrocher un tube planétaire depuis Ofra Haza avec « Im Nin’ Alu » en 84…ou Esther Ofarim avec « Cinderella Rockefella »…en 68 !
Je comprends ce que tu veux dire, mais d’abord j’essaye de ne pas trop y penser et d’autre part j’ai ce sentiment ambigu sur le fait que la version de ma chanson qui remporte autant de succès est un remix fait par Wankelmut, un DJ. Lorsque ma propre version d’une de mes chansons sera un hit alors peut être finalement je finirai par en tirer une véritable fierté.
Sais-tu combien d’artistes israéliens aimeraient être à ta place ?
Je ne me catégorise pas en tant qu’artiste israélien, je ne chante pas en hébreu, par exemple. La plupart des chanteurs israéliens lorsqu’ils jouent à l’étranger se produisent pour un public essentiellement juif, alors que ce n’est pas du tout mon cas. Et c’est vrai qu’avec cette étiquette « israélienne » tu as un public acquis d’avance. Et moi je n’ai jamais rien fait pour séduire exclusivement ce public-là. Car je ne voudrais pas me limiter à un seul public, ce serait ridicule.
Néanmoins tu évoquais Gomorrhe et la Palestine dans ton avant-dernier album ?
Le terme « Palestine », je l’utilise de la même manière que dans les vieilles chansons américaines où l’on trouve cette notion presque mythologique « d’aller vers le sud » à la manière Mexicaine, là où l’ordre ne règne pas et où il n’y pas de loi, de l’autre coté du Rio Grande ! Ce coté un peu sauvage. Venant d’Israël c’est presque un pays mythique. Donc je ne peux pas vraiment dire que j’évoque la Palestine réelle lorsque je parle de Palestine. L’idée dans la chanson est plutôt une fuite de la réalité que je connais pour m’aventurer dans un monde qui échappe aux règles auxquelles je suis habitué. Comme une paraphrase au fait de m’échapper vers le Mexique. Je sais que la plupart des gens ne le réaliseront pas, mais je tenais néanmoins à le souligner.
Et Gomorrhe…ça existe , c’est un panneau planté sur un rivage désert de la mer Morte…
Tout à fait, c’est le sel de la femme de Loth, comme dans la Bible. Mais en fait, pour moi la manière d’appréhender ces lieux est presque métaphysique. Ce n’est pas tant leur présence physique, mais l’idée que l’on s’en fait. Ainsi Gomorrhe en tant que cité du péché est un symbole. Dans cette chanson je mentionne aussi Loth justement qui est comme chacun sait le neveu d’Abraham qui fera tout pour le sauver de la colère divine. J’aime cette idée de Sodome et Gomorrhe, ces villes de débauche et de péché où il y a néanmoins toujours au moins quelqu’un qui vaille le coup d’être sauvé.
Tu as accordé de très nombreuses interviews, tu ne te lasses pas d’être inlassablement comparé à untel…ou untelle ?
(rire) Généralement c’est plutôt : vous me rappelez cette fille là !
Ce qui est rare pour un chanteur qui n’est pas gay , mais c’est ta tessiture ou plutôt celle que tu as décidé d’adopter en forçant ta voix à monter toujours plus haut…je suppose que tu ne t’es pas réveillé un matin dans le corps de Janis Joplin ?
(rire) Non je ne le crois pas, mais tout cela a un rapport direct avec la raison pour laquelle j’ai décidé de devenir musicien. Je suis devenu musicien après une rupture extrêmement violente avec ma petite amie de l’époque avec laquelle nous avions eu une relation très longue. Je suis très sensible et j’ai du affronter cette période très sombre de mon existence. Alors, au bout d’un moment, j’ai bien du trouver un échappatoire pour évacuer toute cette douleur en moi. Je réalisais des court-métrages et des films d’animation, j’essayais de m’exprimer à travers ces medias, mais cela prenait tant et tant de temps, ce n’était pas instantané. Et c’est là que j’ai déniché cette guitare sur laquelle j’ai commencé à plaquer des accords. Alors, je me suis mis à chanter tout seul chez moi et c’était comme une thérapie avec un instrument, au lieu de me lamenter ou d’aller m’allonger chez un psy. Cela devait sortir de moi. Or si je chantais sur le registre sur lequel j’avais l’habitude de parler, cela n’aurait eu aucun effet. Mais, au fur et à mesure, je montais de plus en plus haut dans les registres et à un moment, je devais hurler au point d’en souffrir. J’ai bien failli me tuer la voix. Et même aujourd’hui, lorsque je m’habitue à une chanson que j’ai écrite et que je commence à m’y sentir à l’aise, alors je la monte d’un registre pour que cela soit moins confortable, même si je dois me casser la voix. Car ce n’est pas seulement plus haut, c’est plus dur aussi, c’est presque comme si je m’infligeais une blessure pour ressentir la douleur. A un moment donné j’ai vraiment perdu la voix et je suis allé voir ce médecin. Il m’a demandé d’abord de chanter devant lui, puis de lui parler. Il m’a dit : le problème n’est pas au niveau vocal lorsque vous chantez mais lorsque vous parlez. Votre voix pour chanter si vous ne faites qu’une heure et demie de show par jour tout ira bien, mais c’est votre manière de parler qui est en train de vous tuer la voix.
A écouter tes chansons, on comprends aisément que tu as un appétit insatiable pour la musique et les chanteurs, car on relève bien des références dans tes chansons …de Leonard Cohen à T Rex en passant par David Byrne Aretha Franklin et Janis, bien sur !
En fait, mes parents possédaient cette gigantesque collection de disques, ils étaient en poste à New York dans les années 70 et s’étaient constitué cette incroyable discothèque. Ensuite mon frère aîné a commencé à bosser dans ce magasin de disques de Jérusalem, la 8éme note, dont il a fini par prendre la direction. Et forcément il s’est mis à rapporter de plus en plus d’albums à la maison. Donc je n’ai jamais acheté beaucoup de disques, récupérant plutôt ceux de mes parents ou de mon frère. J’ai aussi toujours emprunté des disques à mes copains. Ainsi, parfois lorsque je découvre un artiste, j’en deviens presque obsessionnel, creusant sans cesse pour en découvrir plus sur lui. J’ai eu ce choc là avec Tom Waits, où je me suis mis à écouter tous ses disques. Pareil pour Leonard Cohen. Je crois qu’en étant ce que nous sommes aujourd’hui, quelqu’un de ma génération qui a grandi avec le web et le câble, tu absorbes tant de choses, souvent même sans t’en rendre compte. Ce sont les outils d’un véritable post-modernisme : on absorbe tout et on crée quelque chose de neuf.
Comment écris-tu tes textes justement ?
Pour moi c’est un procédé simultané avec la musique. Au début, le pars sur une guitare ou un piano et je me mets à jouer. Lorsque je trouve quelque chose qui me plait, quelques accords, un riff, quelque chose, je commence à le jouer de manière répétitive, puisque cela me plait. Puis je me met à chantonner, ensuite je trouve un phrase que j’essaye de mettre dessus. Dés que ça colle, je pose la guitare et j’écris ma phrase sur un papier. Puis je me remets à la guitare et ainsi de suite. Et une fois parvenu à faire une strophe, je repose la guitare car j’ai déjà tout le schéma de la chanson. C’est le seul moment où j’apprécie le fait de me concentrer sur certaines gammes ou certaines mélodies. Car soudain cela m’ouvre toutes les portes que je ne parviendrais jamais à franchir si je n’étais pas enfermé dans un lieu clos. Durant ce processus créatif, un des outils les plus fabuleux est de parvenir à s’enfermer sur soi.
Ton nouvel album s’ouvre sur une très belle chanson intitulée « Over My Head ». Il paraît qu’elle est née à Paris ?
« Over My Head » a été effectivement composée à Paris un jour de pluie, voici quelques mois. J’avais loué un petit appartement dans le centre, avec un piano et de quoi enregistrer de la musique. Je dis souvent qu’un artiste est comme une éponge, qui absorbe beaucoup d’émotions au fil du temps. Alors lorsque tu décides qu’il est temps de presser cette éponge, tout ce que tu y a accumulé finit par sortir. Cet album a pour thème la rupture avec l’être aimé, c’est une constante au fil de ces 12 chansons. Or j’ai rompu une relation amoureuse avec une fille voici juste trois mois, comme si la réalité de ce que je vis devait rejoindre la fiction dans mes chansons. Mais ce n’est pas cette rupture-ci qui m’a inspiré l’album, mais d’autres relations passées, d’autres ruptures. En tout cas, « Over My Head » est peut-être la seule chanson d’amour que j’ai jamais écrite. Elle évoque un être brisé après une séparation qui parvient à nouveau à aimer. L’amour est le sujet qui m’intéresse le plus au monde car il est aussi le plus universel.
Asaf Avidan n’est pas toujours un nom facile à retenir, n’est-ce pas un handicap ?
J’ai toujours pensé que c’était sans doute un des pires noms d’artiste car personne n’arrive à le prononcer correctement. Essaye donc de percer aux Etats Unis avec un nom pareil ! »
On parie qu’il y parvient ? Asaf Avidan s’impose naturellement comme un des futurs du rock, une nouvelle étoile au firmament de la musique.
Publié dans le magazine l’Arche
Asaf Avidan « Gold Shadow » Fiction/Polydor (dist. Universal Music)