STEPHAN EICHER « My Place »
Voici 30 ans dans BEST, GBD fondait comme neige helvète au soleil à l’écoute du 4éme LP de Stephan Eicher, premier d’une très longue et fidèle collaboration amicale avec l’écrivain francophone surdoué Philippe Djian. En français, en anglais ou en allemand, les mots d’Eicher rockent et roulent comme nuls autres, à l’image d’un Springsteen européen, un Dylan des montagnes, un conteur qui nous tient en haleine. Flashback…
Pour son album précédent « I Tell This Night », j’étais l’envoyé spécial du mag de la rue d’Antin sur le plateau de tournage quai de gare de banlieue du vidéo-clip de « Two People In A Room » ( Voir sur Gonzomusic https://gonzomusic.fr/quand-stephan-eicher-tournait-two-people-in-a-room.html ), cette fois je me livrai à l’exercice de la chronique. Cependant juger un album de Stephan Eicher n’est jamais un exercice aisé. Pas facile de rester objectif lorsqu’on a tant d’estime pour un artiste à part, qui trace son propre chemin avec passion pour nous faire vibrer encore et encore des ses rockin’ convictions. Rencontré en 1985, jamais nous n’avons perdu le contact avec « Chtéfâne »… ( Voir sur Gonzomusic https://gonzomusic.fr/?s=Eicher ) et cette kronik vieille de trois décennies l’atteste aisément…
Publié dans le numéro 255 de BEST
Et voici enfin le retour de notre helvète errant favori, pâtre suisse et baladin des alpages. Sur ses sommets, Stephan Eicher observe l’Europe. Et I’écho des montagnes renvoie son rock en français, en anglais, en allemand pour qu’il déborde les antipodes de notre Communauté ( Européenne) . Quatrième album de « Chtéfâne », « My Place » se feuillette comme l’intimité d’une correspondance amoureuse. Plus calmes que son « Silence », plus chaleureux et plus profonds que « I Tell This Night », les climats introvertis d’Eicher trouvent leur rythme naturel dans le coté rustique d’une instrumentation qui a su renoncer aux synthés et autres boites techno-mécaniques. Guitare acoustique et section a vent de viole, violon et violoncelle, Stephane et sa sensualité à fleur de peau se laissent subjuguer par l’ivresse d’une incommensurable altitude. « My Place » marque aussi le choc d‘une rencontre avec Philippe « 37°2 Le Matin» Djian qui signe tous les textes français. Et l’écriture de Djian abreuve le côté intimiste de Stéphane d’un nouveau courant dont la profondeur extrême perce le masque du rocker pour mettre son intimité a nu. D’abord il y a « Rien à voir», une histoire d’amour si profonde qu’elle en donne le vertige. Puis « Bon Pour Moi » une sorte de square-dance entre bayou de Louisiane et « Too Rye Ay » des Dexys Midnight Runners qui dégage une oxygénante odeur de foin fraichement coupé. Enfin et toujours en français, deux lancinantes ballades « Me Taire » et l’irrésistible « Sois Patiente Avec Moi » soulignent le côté euro-Dylan de notre petit suisse. Quant aux titres anglais, ils donnent a Eicher une nouvelle dimension d’amoureux transi, géant et solitaire comme un Neil Young au cœur d’or ( Heart of Gold). Pour tous les décalés, «I’m A Story Backward Told » trace la confusion extrême des âmes déchirées par quelques rêves percés. Comme une chambre ouverte sous les toits, comme un jardin secret laissé volontairement en friche, comme le vent dans les arbres, le rock d’Eicher est une boite de Pandore pour sauvetages émotionnels. Et si « My Place » se trouve n’importe où hors du monde, ses clefs restent à portée de la main pour tous jusqu’aux-boutistes d’une certaine innocence forcenée.
Publié dans le numéro 255 de BEST daté d’octobre 1989