SON NOM EST PERSONNE, GLORIA PERSONNE

Je l’avais surnommée « La grande brune », aussi pétillante que rock and roll, aussi drôle que combattante, son nom était Gloria Personne.  Pour Paul Personne, elle a toujours incarné cette lumière au bout du tunnel, la seule capable de chasser ce blues en lui et de le suivre de la scène des tournées au studio pour harmoniser sa voix à la sienne. Mais à la vie comme dans le rock la relation entre Paul et Gloria était juste fusionnelle. Hélas l‘immense Gloria nous a quittés après s’être battue comme une lionne contre une maladie si injuste qui l’a finalement emportée. Jamais nous n’oublierons notre Gloria, voilà pourquoi je tenais à tendre mon micro à l’ami Paul pour ne jamais oublier justement. So long ma Gloria…

 

« She comes around here
Just about midnight
Ha, she make me feel so good, Lord
I wanna say she make me feel all right

 

And her name is G-L-O-R-I-A
G-L-O-R-I-A (Gloria)
G-L-O-R-I-A (Gloria)
I’m gonna shout it all night (Gloria)
I’m gonna shout it everyday (Gloria)
Yeah-yeah-yeah-yeah-yeah-yeah » « Gloria »

 

Bien sûr il y a l’incroyable hit de Them et la voix de Van Morrison. D’ailleurs, coté Gloria, il y a aussi celle légendaire de Patti Smith. Même U2 à sa manière a voulu consacrer « Gloria » :

 

« Gloria, in te domine
Gloria, exultate
Gloria, gloria
Oh Lord, loosen my lips » « Gloria »

 

Mais aucune des deux chansons, aussi mythiques qu’elles soient ne sauraient définir Gloria Personne. La grande brune, alias la belle Mexicaine, alias Gloria Personne était, sans mauvais jeu de mot, une très belle personne. Drôle, touchante, aussi allumée que talentueuse, aussi organisée que Paul savait être désorganisé. Comme les motards de la police, quand on en voyait un, l’autre n’était jamais très loin. Gloria laisse un vide immense,  mais elle continuera à jamais de vivre dans nos cœurs.

 

« Comment vous êtes-vous rencontrés ?

 

 C’était à la demande de ma maison de disques. On était en 85. « Barjo-land » était sorti l’année d’avant. C’était l’époque des radios libres et c’était bien plus cool bien plus inhabituel que les radios officielles ( Voir sur Gonzomusic QUAND LE DRAPEAU PIRATE FLOTAIT SUR LES TOITS DE PARIS ) on avait tout le temps de s’exprimer contrairement aux grandes ondes . Moi qui étais un mec un peu taiseux, un peu introverti même j’ai appris à adorer ce genre de radios parce que tu pouvais avoir un vrai échange profond sur la musique, loin d’un service après-vente obligatoire. Et donc dans cette liste de demandes promos d’interviews, il y avait une certaine Yéyette qui officiait sur Gilda FM avec son émission qui s’appelait « Il y a des traces de pneus sur les bananes ».

(rire)

J’ai trouvé ça marrant et original, j’ai donc dit ok. Le RV est donc pris pour le 13 mai 1985 à 21h. La veille, le dimanche 12, je donnais un concert en plein air pour le Parti Communiste. Gloria avait baptisé l’évènement « l’enfer rouge » car elle y était aussi. Mais moi je ne le savais pas. Temps de merde et flotte ininterrompue, mais au niveau des barrières j’ai aperçu une brunette vachement mignonne en jaune et noir accoudée devant la scène. Et après le concert dans les backstages j’ai vu débouler cette nana. Mais c’est resté très professionnel entre nous. En fait, après le concert je suis rentré chez moi dans l’Orne et j’étais super malade, avec cette flotte j’avais attrapé une sale crève. Mais la nana avait vraiment l’air cool. Je me suis pris un bon grog et j’ai déboulé à son émission qui durait de 9h à minuit. Je l’ignorais, mais elle était une égérie de la bande FM. Dans son émission elle avait déjà reçu Coluche et était même devenue pote avec lui. Elle avait reçu Higelin. C’était l’époque du rockabilly en France.

 

Ah ce concert des Stray Cats à l’Olympia !

 

Ces mecs étaient des tueurs. Moi aussi ça m’a beaucoup secoué. Je les ai vus à la télé chez De Caunes et j’ai tout de suite accroché, alors que j’étais plutôt branché par les Allman Brothers

 

Donc… tu découvres que la Yéyette elle s’y connait en musique et que ses questions sont loin d’être inintéressantes….

 

D’entrée, elle m’entraine dans la discothèque de la radio pour choisir des disques. Elle me dit : qu’est-ce que tu en penses ? Je lui dis : on pourrait prendre ça aussi. Elle me dit mais de toute manière c’est mon émission, c’est moi qui décide. Elle avait déjà un caractère bien trempé. Mais aussi vraiment cool et vraiment chouette et en plus elle était très agréable à regarder.  L’émission se déroule super. Ses invités devaient aussi jouer en live. J’avais amené une gratte acoustique, j’ai fait deux ou trois morceaux. Elle m’avait demandé de lui faire « Comme un étranger » et  la balade  «  M’laisse pas tout seul avec moi » et cela se passe vachement bien. Après l’émission on va diner Chez Ali qui était un restau de nuit parisien. Moi j’étais toujours malade mais je pense que l’alcool et la compagnie avaient largement aidé à oublier que j’étais malade. Ma voiture était restée devant radio Gilda, elle m’a dit : tu peux venir à la maison si tu veux. J’y suis allé en tout bien tout honneur, comme on dit. Mais en fin de semaine, le samedi je donnais un concert, là on était lundi. Le samedi je la vois débouler avec un magnéto Nagra, moulée dans un petit jean avec un Perfecto. Et c’est là où j’ai fini de complètement craquer. Elle arrivait soi-disant pour une autre interview. Donc, avant le concert on a été dans les loges où elle m’a posé plein de questions en rafales. Et je suis allé à nouveau chez elle mais pour de bon, pour une histoire qui a duré près de 40 ans. On allait fêter nos 40 ans le 13 mai 2025. Elle me le disait… 39 ans…

 

Comment sommes-nous passés de Yéyette la DJ productrice rock and roll à Gloria Personne la chanteuse choriste choc à tes cotés sur scène et en dehors de la scène durant des décennies ?

 

On s’est connu, cela a été la craquerie totale pour elle et moi. En fait elle était amoureuse de moi et avait conservé plein de coupures de presse me concernant. Elle était copine avec De Caunes, avec plein de gens, plein d’anglo-saxons tendance rockab de passage à Paris aussi. Elle a d’abord continué à faire de la radio en même temps que moi je continuais les tournées et les promos. Et on se retrouvait à Paris dans son appart nom de code: Le Repaire!.  Au bout d’un moment, je lui ai proposé de venir avec moi en concert et elle me disait : non, non je veux te laisser de l’air. Moi je lui répondais : moi les groupies ne m’intéressent pas, avec toi j’ai tout ce qu’il faut; on pouvait parler musique durant des heures. On connaissait le même genre de musique, on avait le même genre d’atomes crochus même si elle était la parfaite parisienne de Saint Germain des près qu’elle m’a fait découvrir. C’était super et ça va me manquer d’une force terrible. Elle a quand même fini par accepter de venir sur quelques gigs. Elle s’était auto-proclamée bœuffarde de service, car dès que quelqu’un passait chez elle avec une guitare, c’était : allez, joue-moi ça. C’était du Carl Perkins, du Gene Vincent, Hank Williams, Johnny Cash. On se tapait le bœuf, il y avait toujours une guitare.

 

Et donc, elle chantait avec toi !

 

Elle chantait avec moi et cela matchait bien. Dès que je faisais la voix lead, elle faisait la tierce tout de suite ou la quinte ; elle chopait des voix très facilement. Je lui disais : tu ne veux pas t’amuser à faire les chœurs ? Et elle répliquait : je ne suis pas une chanteuse. Elle disait : moi je suis une couineuse car moi je couine derrière la voix des autres. Un jour j’ai tout de même réussi à l’embarquer en répète. Tout a commencé comme ça, elle est venue en tournée avec moi. Elle ne voulait même pas de cachet, elle disait : je ne suis pas une vraie chanteuse. Mais elle a commencé à chanter derrière moi super mimi super sexy. Et à chaque fois elle faisait son effet.

 

Et super voix avant tout !

 

Si je lui ai fait cette proposition, c’est que par un pur hasard sa voix matchait parfaitement avec la mienne. Il y a tout de suite eu cette alchimie entre nous. Comme la Les Paul ou la Gibson marchait bien avec ma voix avec ce son sale, un peu voilé. Gloria c’était pareil, dès qu’elle se mettait à chanter c’était juste magique. C’est comme ça qu’on est passé de Yéyette à Gloria. C’est comme ça qu’elle s’est retrouvée avec moi en tournée et en studio toutes ces années. Parallèlement ce qu’elle faisait à la radio était de moins en moins intéressant car les radios libres ont fini par perdre leur liberté de ton et de programmation en devenant des stations FM. Mais elle a fait Carbone 14, Fréquence Montmartre et surtout Gilda, où elle faisait son émission en totale liberté. Quand on a tenté de lui imposer de faire du pousse-disques, forcément elle s’est rebellée et elle a décroché pour me suivre. Je l’avais surnommée « mon petit soldat » car elle a fait tellement de choses pour moi.

 

Gloria était omniprésente, elle organisait tout. Elle arrangeait tout.

 

Moi je n’ai jamais cru en moi, mais elle y croyait dur comme fer, elle faisait tout pour que cela se passe bien pour moi que cela soit les concerts ou les interviews. C’est aussi elle qui m’a poussé à demander à mon vieux pote Alain Lahana d’être mon manager ( Voir sur Gonzomusic LA SAGA RACHID TAHA Épisode 2 : Alain Lahana  ), mais parallèlement elle checkait toujours tout. Elle savait que j’avais eu un peu une vie de chien et que cela n’avait pas été facile pour moi et elle a toujours essayé de me rendre la vie plus douce. Jusqu’à la fin c’est elle qui checkait les mails. Je ne me souciais jamais d’un smart phone ou des réseaux sociaux.

 

Elle laisse un vide énorme.

 

Cette complicité qu’on avait c’était une relation fusionnelle. Pendant 40 piges on a eu cette dynamique et là je reste face à ce vide insoutenable. Et en plus elle était marrante.

 

J’allais te le dire justement qu’est-ce qu’elle était drôle.

 

Je l’appelais mon petit clown. Elle avait un tel sens de la repartie. Une nana comme Arletty était carrément fan d’elle au point de l’avoir appelé à radio pour lui demander de passer chez elle. Atmosphère…  atmosphère… elle avait ce truc de titi parisienne. Même si j’ai fini par l’amener à la campagne, avec plein d’animaux recueillis qui avaient été maltraités ou abandonnés. Et elle en retour qui avait un vrai amour de la mer, et de la Bretagne en particulier, a réussi à me le faire partager. Je disais qu’elle était ma belle mexicaine car son père était mexicain. Il a rencontré une pure normande, mais elle a perdu son père elle n’avait que trois ans. C’était un incroyable mélange. J’ai craqué sur elle physiquement aussi bien que moralement. Sa voix me manque terriblement ; je ne l’entends plus me raconter des anecdotes, des conneries sur tout. Qu’est-ce qu’on se marrait bien ensemble. On avait encore tant de choses à se dire. Et ce silence dans la maison est insoutenable.  Gloria était pétillante, elle a toujours été ma lumière au bout du tunnel.

 

Et c’est un musicien de blues qui nous dit cela !

 

Au départ j’ai toujours été miné, pessimiste, introverti, mal à l’aise avec le showbiz… tout ça…  et elle autant elle ne savait pas se mettre en avant, autant elle savait se battre pour les autres.

 

C’était son côté chevalier blanc à vouloir sauver l’âne maltraité ou imposer son rocker favori !

 

Sauver la veuve et l’orphelin avec la haine de l’injustice. Ce que nous avons vécu c’était magique, moi je suis plus que malheureux. Je suis au fond d’un trou noir et je n’ai plus ma lumière.

 

Elle est un peu en toi cette lumière désormais. Il y a tellement de Gloria en toi qu’elle continue à vivre à travers toi.

 

On était tellement complémentaire c’est comme si on m’avait arraché un morceau de moi. Là il faut que j’arrive à continuer tout ce qu’on a construit durant toutes ces années. Tout ce que je peux dire c’est quelle chance j’ai eu de la rencontrer. Elle n’arrêtait pas de me dire l’inverse, de me dire : « quel bol j’ai eu de te rencontrer. Tu as changé ma vie. Je n’avais rencontré que des nazes et des gros enculés avant toi ». Quelle chance j’ai eu de vivre presque 40 ans avec cette nana avec qui j’ai fait les 400 coups. On a vraiment eu une putain de vie. Même s’il y a eu des hauts et des bas, je ne retiens que des hauts. On ne s’est jamais engueulés, on ne s’est jamais fait la gueule, il n’y a jamais eu de tromperie ou quoi que ce soit, quelle belle route ensemble ! »