QUAND LE DRAPEAU PIRATE FLOTAIT SUR LES TOITS DE PARIS
Voici 40 ans, de drôles d’antennes fleurissaient sur les toits de notre capitale. Le monopole d’État sur les ondes vivait ses dernières heures avec la victoire de François Mitterand et sur la bande FM parisienne chaque jour naissaient de nouvelles radios. Chaque mercredi, j’étais au micro de Radio Ivre 88.8 FM jusqu’au bout de la nuit, une expérience unique que j’avais racontée dans ce numéro de BEST daté de juillet 1981. Flashback…
BEST 156. Chrissie Hyde et ses Pretenders s’affichent en couverture du fameux mag rock de la rue d’Antin. Et dans ce numéro daté de juillet 1981 ; un papier me tenait particulièrement à cœur. Intitulé SANS FIL, j’y partageais mes expériences d’animateur sur une radio pirate pourchassée par les flics de Giscard et les brouilleurs de télédiffusion de France ( TDF). Radio Ivre 88.8 était une radio dématérialisée en quelque sorte, une radio sans locaux, même si par la suite elle sera parfois plus sédentaire, comme cette résidence historique dans les backstages du Palace à l’invitation de Fabrice Emaert ou dans ce petit studio destroy place du Tertre. En fait, chaque soir Radio Ivre était accueillie par un auditeur différent qui nous ouvrait son home sweet home. C’est dire si souvent on passait de la chambre de bonne sous les toits de Belleville au loft du 16ème. Au bout d’un moment, vu que je vivais en haut d’un immeuble situé à l’endroit le plus haut de Paris, chaque mercredi je récupérais l’émetteur, puis je montais sur mon toit accrocher l’antenne à celle de la télévision du bâtiment, perturbant du même coup la réception des programmes TV de mes voisins ( je leur ai avoué bien des années plus tard que j’étais responsable du problème) et dès 22 h lorsque le camarade syndiqué CGT de chez TDF quittait son poste, déconnectant au passage le signal de brouillage qui volontairement perturbait toute la bande FM, alors je lançais mon générique sur ma table de mixage. Deux platines tourne-disques, deux mags à cassettes pour les extraits d’ITW et les jingles, le tout branché sur mon ampli de salon, que de nuits brulées à refaire le monde du rock avec mes collègues rock critiques comme le regretté Lionel Rotcage…cette expérience incroyable, j’avais proposé à mon employeurs précédent Rock & Folk de me laisser la partager avec leurs lecteurs. J’avais essuyé une fin de non-recevoir. Humiliation suprême, le mois où Paringaux me refusait le droit d’écrire mon article sur les radios pirates, il avait le cynisme de demander à un autre journaliste de lui faire un papier sur dixit « le rock à la radio »… mais uniquement sur les radios du monopole Inter, Europe et RTL. Heureusement BEST était animé d’un tout autre esprit ( Voir sur Gonzomusic https://gonzomusic.fr/best-vs-rock-folk-ou-la-rue-dantin-vs-la-rue-chaptal.html) que celui de Rock & Schnock. Il faut aussi insister sur l’extraordinaire impact des radios pirates puis libres sur l’essor du rock et de la pop en France. Combien de Daho, d’Eicher, de Rachid Taha, de Rita Mitsouko et autres Niagara ont émergé grâce à l’incroyable appel d’air artistique ouvert par ces radios.
Mais hélas, si l’arrivée de la gauche au pouvoir semblait particulièrement porteuse d’espoir pour ces radios pirates qui allaient devenir des radios libres, cet espoir a été vite douché lorsqu’en même temps qu’il autorisait ces nouvelles radios, il leur interdisait d’en vivre. Sans publicité, la plupart des radios libres ont périclité et lorsqu’elles étaient sur le point de disparaitre c’est à ce moment-là que les gros capitalistes comme RFM ou surtout NRJ ont raflé la mise des nouvelles recettes pub soudain autorisées. Moi j’ai quitté Radio Ivre qui était devenue quasi exclusivement consacrée au reggae. Comme j’étais aussi pigiste à Actuel, j’ai contribué avec Lentin, Massadian, Bizot et Andrew Orr à la naissance de l’aventure Radio Nova, mais c’est encore une autre histoire du rock, que je vous conterai sans doute un jour…
Publié dans le numéro 156 de BEST sous le titre :
SANS FIL ?
Paris la nuit. Les ondes traversent la cité de part en part. Depuis deux ans déjà, le drapeau noir flotte sur les microphones. Radios libres, radios ripostes, radios provocs, radios pirates: il suffit de quelques bouts de ficelle pour défendre la liberté d’’expression. Face aux dinosaures du monopole, les radios libres ont su apporter la preuve que les carences en matériel, si elles sont contrebalancées par des montagnes de feeling, savent créer une expression différente. Dans le « printemps rose » que nous vivons, le concept de communication va bientôt recouvrir celui de liberté. Le vieux couple beauf radio/TV est à deux doigts de se faire sauter la tête. Vae Victis !
La fin du monopole est le plus beau « happy end » dont puissent rêver les médias et le public ; vous, moi et les autres. Le grand flash électrique avec la radio s’est produit, pour moi, en 74, quand j’ai découvert à Los Angeles le phénomène de la FM: 150 stations différentes, stéréos et rock and roll; chaque cran du potentiomètre me transportait dans un nouvel horizon musical. Quand je suis rentré à Paris, ça n’était plus tout à fait l’Age des cavernes, puisque j’avais enregistré mes radios US sur des cassettes. Mais, sur mon tuner, c’était toujours le vide aussi absolu. Lorsqu’en 79, par le biais de copains, je me suis branché sur un aventurier du nom de Patrick « Long John Silver » Meyer, j’ai vraiment cru que le grand bouleversement allait enfin arriver. Radio France, pour bâillonner les radios libres, a créé Radio 7 et une poignée de radios dites « thématiques » et j’y ai cru pendant un mois. Lorsque j’ai réalisé que la liberté et la créativité sur cette antenne ne resteraient qu’un mirage, il était bien trop tard. N’étant pas une machine bête et disciplinée, j’ai refusé la radio supermarché qu’on attendait de moi. Ceux qui s’éclatent à ce genre de sport doivent, à mon avis, faire gaffe à la pluie, parce que les robots finissent bien par rouiller, et c’est ce qui risque fort de leur arriver, comme à tous ceux qui « font de la radio » au lieu de la vivre.
C’est en juin dernier que j’ai rencontré Patrick Van Troeyen, alias « Coucou » et ses copains de Radio Ivre. Son domaine, c’était la nuit et, tous les soirs jusuqu’à 5 h du mat, la station distillait sa folie. Ma première émission sur Radio Ivre, je l’ai vécue dans une toute petite chambre, sous les toits d’un vieil immeuble de Montmartre. Sur une table, il y avait deux platines, un micro et une table de mixage, dans un coin de la cuisine, l’émetteur « Motion Gold » ressemblait à un petit ampli de chaine hifi. Tout cela n’était que du vague bricolage mais, de l’autre coté de la face cachée du transistor, Radio Ivre n’avait rien à envier à ses consœurs géantes. C’est peut-être facile à dire, mais je préfère 5 000 fois le bénévolat sur Ivre que le « salaire de la peur » sur Radio 7.
La règle d’or d’une radio libre, c’est le déménagement presque quotidien. J’ai vu Patrick monter sur dizaines de toits différents pour y planter son antenne. En un an, les apparts ont défilé : des petits, des grands, des très bourgeois et des chambres de bonne aux limites du sordide. Les studios sont à l’image des auditeurs qui nous ont ouvert leur maison. Si nous avons pu vivre, c’est aussi grâce à eux, grâce à vous. Pendant un an j’ai vécu au fil des semaines l’aventure de Radio Ivre: une nuit d’antenne de cinq, six ou sept heures par semaine où j’ai vraiment laissé mon délire éclater. La seule censure tolérable, c’est celle que I’on s’‘impose. Sur Ivre comme sur les autres, il n’y a pas d’interdits et l’antenne reste ouverte à tous les courants musicaux, politiques, sociaux. Sur Radio Ici et Maintenant, n’importe qui peut débouler, grâce au téléphone, sur l’antenne et vider son sac. Radio instantanée ! Dans la cité-jungle où nous vivons, la communication underground se fait désormais par la voie des airs. Mais n’est-ce pas cela, tout simplement, la communication stricto sensu ?
Pendant ce temps-la, du côté de l’État, on commençait à flipper ferme à l’approche du péril Hertz. Une loi tirée du Code des P et T pouvait effectivement s’appliquer aux radios libres…mais ladite loi avait oublié de disposer une sanction à ce délit. Ce qui explique le non-lieu obtenu par Radio Fil Bleu en 78. Le législateur, c’est vrai, ne tire pas plus vite que son ombre mais, au bout d’un moment, il finit par réagir par la loi du 29 juillet 78. Bisque bisque rage… L’État giscardien balisait un max parce qu’en Italie les radios libres avaient enfin décroché le jackpot lorsque leur Conseil Constitutionnel, par un arrêt, déclarait le monopole contraire aux principes de la Constitution. Quand même, ces Italiens, quelle chance ils ont: le soleil, les fringues, les bagnoles de sport et même une Constit qui garantit la liberté d’expression ! Vous allez rire, mais c’est pareil chez nous. Si ! Et depuis la Déclaration des Droits de lHomme de 1789, encore. Dans son article 11… vous pouvez me croire. Pourtant, l’État ne s’est jamais gardé d’utiliser contre les radios libres toutes les armes qui étaient à sa disposition: la poursuite, la saisie et le brouillage. Les poursuites, depuis deux ans, se sont multipliées. Les peines prononcées étaient souvent dérisoires et symboliques, mais j’ai quand même vu mes petits camarades Van Troeyen et Jean-Francois Aubac sous les lambris de la Xllème chambre correctionnelle. 1 500 balles d’amende, mais quel gaspillage de temps! Radio Ivre n’a jamais été saisie : coup de bol ou protections occultes, je crois que je ne le saurai jamais. C’est comme ce brouilleur de TDF qui venait nous voir au studio pour nous dire qu’il nous aimait bien. Avec lui on correspondait en «bips » sur la bande FM. Ses confrères, hélas, avaient le bip souvent plus lourd. À une époque où l’on parle d’économie d’énergie, les brouilleurs-hurleurs représentent un gâchis assez révoltant, non seulement ils ne respectent pas la musique mais, en plus, ils détériorent les oreilles de nos auditeurs. Mais le système avait une faille. Ces brouilleurs de TDF sont des fonctionnaires et leur nombre dépend directement du budget qui leur est accordé par la loi de Finances. Hé hé hé… de 22 heures au petit matin, les brouilleurs sont au lit et les pirates en profitent. Sur la bande FM, après minuit, c’est le domaine exclusif des stations libres. C’est ainsi que Ivre occupe la fréquence « 88.8 » Mhz depuis plus de deux ans !
Le 10 mai a fait naitre, en matière de radiodiffusion, un certain nombre d’espoirs: la libéralisation des ondes signifie aussi une ouverture large comme quelques kilomètres d’imagination. D’abord, pour tous les musiciens, i! est important de savoir que, jusqu’à présent, dans la poussière du monopole, leur carrière discographique dépendait essentiellement de trois programmateurs en chef (Europe 1, RTL, France Inter.); s’il y a cent fois plus de radios, cela multiplie d’autant les chances d’être diffusé. Il y a aussi le flux des droits d’auteurs via la SACEM. Jusqu’a présent, cette vénérable maison a toujours refusé de répondre a nos offres de paiement, car accepter nos deniers, c’était nous reconnaitre ipso facto. Radios Pirates ou radios fantômes ?
Il faut aussi aborder le problème de l’emploi. Du jour au lendemain, il va falloir dénicher tout un cheptel nouveau d’animateurs, de journalistes, de techniciens, d’administrateurs, autant de nouveaux emplois créés. Si vous aimez la musique, c’est le moment ou jamais de vous entrainer avec un mini K7. Ou un studio complet. Dans ce rayon économie, on peut aussi ajouter le boom prévisible de la vente des tuners, walkman-radios et autres gadgets des ondes. Et puisqu’on aborde le problème de la monnaie, il faut trouver un financement à ces radios pour qu’elles puissent vivre, et vous avez pigé, c’est bonsoir la pub… mais là, nous brûlons sans doute un peu les étapes. Au mieux, le monopole ne serait abrogé qu’a la entrée parlementaire, en automne. D’ici la, on joue des deux côtés la carte du statu quo. Ce qui signifie que le brouillage continuera parce que personne, ici, n’a envie de jouer au « syndrome alien ». Le projet socialiste prévoit une réforme de l’audio visuel. La direction du cabinet du Ministère de la Communication m’a confié que l’objectif N° 1 était de déconnecter la radio/TV du pouvoir. En ce qui concerne les radios libres, les associations comme I’ALO doivent proposer le 8 juin prochain un « Code de Bonne Conduite » au ministre : portée limitée à 30 km, 5 mn de pub non cumulables, au maximum, par heure d’antenne, structure de type Association de 1901. Autre question en suspens, et de taille : qui sera autorisé à émettre ? Le professeur Pierre Albert, de la Faculté de Droit de Paris, suggère la création d’une commission paritaire, composée de représentants des auditeurs, des syndicats, du pouvoir. Cette commission pourrait délivrer des licences renouvelables tous les trois ans, comme son homologue le FFC américain. Demain, nous aurons la tête pleine de musique mais aussi d’images. Dans son laboratoire, Captain Vidéo, en face de L’Élysée (là où Druker fait ses émissions : NDR), David Niles, un Américain installé en France depuis deux ans, prépare sa chaine de TV privée. Peut-être sera-t- elle la première, mais d’autres suivront par les airs à travers des câbles.
Sur Radio Ivre, Nadine (Simoni) se plante sur la vitesse de son disque de Joy Division, en 45 tou Ian Curtis en prend un sacré coup dans la tronche.. Elle se marre. Même si les radios libres sont légalisées, il ne faut pas qu’elles perdent leur spontanéité. Le droit à l’erreur, c’est aussi la négation d’une radio trop carrée, vide d’âme et de chaleur. La page est tournée, les radios libres ont fini d’errer de toit en toit. C’est aussi la fin d’une espèce d’époque héroïque où l’on jouait à la radio en équilibre sur un évier de cuisine ou assis en tailleur dans un intérieur baba. C’est aussi la fin de la radio à la maison, du style « Je vous mets encore un disque pendant que je vais me brosser les dents » suivi d’un « Je vous passe le dernier machin avant de m’endormir ». On oubliait d’éteindre I‘émetteur comme on oublie sa lampe de chevet allumée avant de s’écrouler. Après un an d’usage intensif, je suis toujours autant accroché à Radio Ivre. Parce que je suis égoïste et borné, je ne passe que des disques que j’aime et je suppose que mes petits camarades en font tout autant, parce que s’ils ont tenu le coup malgré les tuiles, c’est qu’ils sont vraiment passionnés. À ma dernière émission, j’ai eu droit a la visite d’un confrère de la presse rock qui a bossé à Radio Melun (Radio France). Il m’a avoué avoir arrêté parce que ça ne lui rapportait pas assez de blé. Alors bosser pour une radio libre, pouahhh… ! Je suis peut-être un sale idéaliste utopique, mais ça fait du bien quelque part de savoir qu’il existe des gens encore capables de donner leur temps, leur énergie. Profitez-en au moins jusqu’a la rentrée, quand les pirates deviendront des speakers grassement rétribués. Écoutez Radio Gulliver, Oblique FM, Radio Cité Future, Radio Théleme, Radio Gilda, Canal 75, Ici et Maintenant, Radio Ivre et toutes les autres à venir.
Publié dans le numéro 156 de BEST daté de juin 1981
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