SOFT CELL « The Art of Falling Apart »
Voici 42 dans BEST, GBD accompagnait les rêveurs synthétiques de Soft Cell, soit Marc Almond et Dave Ball, dans le passage difficile du second album qui succède à un précédent à succès, menant si souvent au flop. Mais fort heureusement pour le power duo de Leeds, ce « The Art of Falling Apart » était propulsé vers les étoiles par un single fort valeureux, l’émotionnel et bien entendu militant « Where the Heart Is », hit puissant sur l’émancipation d’une éducation bien trop straight pour un jeune gay et qui par conséquent défie le temps jusqu’à nos jours.
Comment survivre à un tel tube ? Extrait du tout premier LP du duo post-atomique Soft Cell, leur reprise new wave du 45 tours du tube de Gloria Jones de 1961 « Tainted Love », intégralement métamorphosé, et taillé pour les dance-floors avait été un tel tabac, qu’il leur semblait impossible de passer le cap fatidique du second album. C’était sans compter sur la créativité de Marc Almond capable de nous avoir totalement au sentiment avec « Where the Heart Is », hit militant gay émotionnel et parfaite locomotive pour propulser ce « The Art of Falling Apart » jusqu’au poids des ventes et le choc des charts. Flashback…
Publié dans le numéro 175 de BEST sous le titre :
FACES DE CŒUR
Marc Almond, la voix de Soft Cell, semble avoir décidé de transformer en séance de psy la construction de son album, histoire d’ouvrir une brèche dans son esprit muré. Marc a couché son Œdipe dans les sillons de cet « Art of Falling Apart » ses angoisses, ses obsessions, ses fantasmes sexuels s’enchaînent sans distanciation sur ce LP qui tranche avec le précédent. Soft Cell, la formule synthétisée d’une musique à danser, découvre la profondeur abyssale des sentiments. C’est une attitude plutôt courageuse si l’on considère que le duo Marc/Dave a bâti sa formule succès sous les projos des pistes de danse. Or, « The Art of… » est un 33 tours agréable, surprenant, pop, mélodique, imaginatif, mais qui ne constitue pas à proprement parler de la chair à disco. Si vous cherchez un autre « Tainted Love », ce Soft Cell nouveau ne saura pas vous satisfaire. Par contre, si vous êtes sensibles à la voix sucrée, modulée, de Marc qui s’étire sur un ciel de 10 000 violons, vous ne serez pas déçus. « Forever the Same » recrée, à la troisième personne, l’odyssée des naufragés de nos cités : l’homme de la rue côtoie ses semblables dans une bulle de cristal qui déforme sa perception. Cette fois, la batterie n’est pas un amalgame de micro-chips et le beat cuivré d’une trompette lance ses accords comme le S.O.S. en morse d’un navire en perdition.
Chercher le hit. Écouter. Remonter la cassette. Écouter. À force, on finit par le dénicher et c’est d’autant plus aisé qu’il s’agit du 45 tours extrait de l’album « Where the Heart Is », c’est Where the hit is, ou la vision Soft Cellienne de family life. Ah la mélodie, qui vous entraîne comme un torrent, et la voix qui vous dépeint chaque détail de cette vie de famille rongée par le cancer de la monotonie quotidienne « Mother loves to be concerned using lessons that she learned Father never understands/…/They say that home is where the heart is/But home is only where the hurt is… » Les violons et une mélodie canon, Soft Cell cultive le pont musical en forme d’arc en ciel. Celui de « Numbers » plante le décor d’une jungle synthètique où résonne l’écho des oiseaux sauvages et androïdes, prisonniers des claviers de Dave Ball. « Je t’aime et tu me hais : c’est la face cachée de l’amour, celle que tu refuses de voir » Marc, sentimental imprime la recette Soft Cell d’une mélodie simple et frappeuse. « Loving You, Hating Me » utilise cet effet de répétition. « The Art Of Falling Apart » résume bien l’esprit du loser au visage bluesé : Marc Almond est d’un masochisme communicatif. On ne peut pas aimer Soft Cell si on ne le déteste pas un peu.