SO MUCH THINGS TO SAY

 

Bruno Blum & Roger Steffens

Bruno Blum & Roger Steffens

 

Et si c’était tout simplement LE meilleur livre JAMAIS écrit sur Bob Marley ? SO MUCH THINGS TO SAY de Roger Steffens est une incroyable collection de témoignages absolument inédits des artistes, musiciens, producteurs et intimes qui ont côtoyés Bob Marley, recueillis par Roger Steffens, LE spécialiste ultime du rasta le plus célèbre au monde. Ce pavé de plus de 500 pages se dévore avidement dans sa traduction soignée signée de l’expert es-reggae, notre Bruno Blum national qui nous livre ici son analyse du phénomène Marley.

 

SO MUCH THINGS TO SAYEn 2018, nous ne sommes plus si nombreux à avoir rencontré Bob Marley. Et ceux qui ont eu ce privilège, comme moi ne sont pas prêts de l’oublier (Voir sur Gonzomusic https://gonzomusic.fr/bob-marley-the-wailers-live-historique-au-bourget.html ). Moi c’était le 3 juillet 1980, un jour que je n’ai jamais oublié, dans le bus qui conduisait Bob Marley, Rita Marley et les Wailers au concert historique du Bourget. Bob était assis vers l’arrière, ses locks domptées sous un gros bonnet de coton. J’ai dû échanger quelques banalités avec lui. Mais ce qui m’avait le plus impressionné c’était son regard. Jamais je n’ai oublié le regard de Marley, un regard aussi sombre qu’abyssal, un regard infini chargé d’amour et de concentration. Un regard de braise magnifique. Il suffit que je ferme les yeux pour revoir les yeux de Bob Marley. Bruno Blum, qui assure la traduction de ce précieux SO MUCH THINGS TO SAY, sous-titré « L’histoire orale de Bob Marley »  chez Robert Laffont, appartient bien entendu à ce club très privé de ceux qui ont eu le privilège de croiser la route du héros de Trench Town.

  

« Où as-tu rencontré Bob Marley pour la première fois, Bruno ?

Je cherchais un plan d’herbe et pendant toute une conférence de presse des Wailers, à laquelle je n’ai pas participé, j’essayais de négocier un deal de weed avec des rastas. J’étais donc présent à cette conférence de presse, c’est là où je l’ai croisé la toute première fois. Et puis, aussi, je l’ai vu jouer à Londres au concert légendaire du Rainbow Theater en juin 1977, où il a donné une semaine de concert. C’est là où Marley a véritablement rencontré son public dans cette tournée qui accompagnait la sortie de l’album « Exodus » et où il a donné les plus extraordinaires concerts de sa vie. D’ailleurs, le show a été filmé dans un fameux « Live at the Rainbow ». En avril 1978, Bob Dylan jouait en Angleterre, et Christian Lebrun, le rédacteur en chef de BEST est venu à Londres et m’a invité au concert. Et, pendant qu’on était à Earl’s Court Stadium pour Dylan, sa maison de disques nous a invités à visiter les Clash, qui enregistraient « Tommy Gun », qui figure sur leur deuxième album « Give Em’ Enough Rope », au Basing Street studios, à Portobello. On est arrivé au studio, et Bob Marley & the Wailers enregistraient au même endroit. Quand on a fini de bosser avec Clash, on a trainé dans le hall et on s’est retrouvé nez à nez avec Marley et les Wailers…à qui j’ai demandé de l’herbe. Et donc, j’ai fumé un cône avec les musiciens et Marley a souri en voyant le petit blanc qui fumait avec ses Wailers.

Quelle sensation conserves-tu de cet échange de regards ?BOB Marley

J’avais déjà une fascination pour le reggae et, rencontrer les Wailers c’était incroyable, pour moi ces types étaient déjà intouchables. J’osais à peine leur parler. D’ailleurs, il y avait aussi la barrière de la langue. Depuis j’ai appris à parler ce patois jamaïcain si particulier.

Revenons aux origines de Marley, on croit souvent que son père était un officier blanc, dans le livre on découvre que la vérité est plus…nuancée.

Ce que dit clairement le livre, c’est que Norval Marley, qui avait été militaire au Nigeria n’était qu’un simple soldat et pas du tout un capitaine. C’était un type instable et qui était rejeté par sa famille pour cette raison, ce qui explique qu’ensuite Bob Marley ait lui aussi été rejeté par sa famille blanche. Norval a bourlingué un peu partout, c’était une sorte de tête brûlée. Il était carrément irresponsable et s’est très mal occupé de Bob. Je travaille avec Roger Steffens depuis très longtemps et nous avons mis en lumière que la mère de Norval était une femme noire métissée. Et surtout, Norval ne rentrait pas dans le moule des familles coloniales de l’époque. Lorsqu’il a été démobilisé, il s’est occupé de superviser l’installation de logements pour des vétérans de la guerre. Mais c’était un type qui n’était pas très bien vu dans la bonne société blanche d’une part. Donc Bob a été rejeté par la partie blanche de sa famille. Et, d’autre part, il a également été rejeté par le côté noir de sa famille. Sa mère Cedella n’avait pas dix-sept ans quand Norval l’a mise enceinte et qu’il en avait soixante ! Il les a abandonnés. Puis elle a rencontré un homme à Trench Town et elle s’est installée chez Tadeus Livingstone dit Taddy, le père de Bunny Wailer, qui est le frère par alliance de Bob puisque sa mère eu un autre enfant avec ce type. Et donc, par alliance Bob Marley était le frère de Bunny Wailer, mais il n’était même pas admis dans la maison, il dormait dessous. Il n’y avait pas de place pour lui. Il a été rejeté par sa mère, qui pour se rapprocher de ce type qui n’aimait pas cet enfant d’un autre lit, l’a beaucoup négligé. Marley s’est donc retrouvé dans une situation particulièrement traumatisante, où il était l’enfant d’une femme qui le repoussait lorsqu’il tentait de l’étreindre. Ce que raconte Bunny Wailer lui-même dans ce SO MUCH THINGS TO SAY.

Donc Bob dormait dans la cave, à même le sol.

Et il a eu souvent faim. Ce que souligne Bunny Wailer dans le bouquin c’est que Bob a écrit les paroles « Cold ground was my bed and rock stone my pillow » ( le sol glacé pour lit et une pierre dure en guise d’oreiller) en songeant à ces moments. Mais ces paroles-là, on les retrouve aussi dans un des premiers rocks and roll de l’histoire un truc intitulé « Hard Luck Blues » par nul autre que Roy Brown, auteur du deuxième tube d’Elvis Presley. Et le morceau commence par ces paroles-là.

Il a pu l’écouter sur une des radios AM de Miami que l’on pouvait capter en Jamaïque ?

Tout à fait, en Jamaïque on écoutait cela dans les années 40 et 50. Il est possible aussi que quelqu’un ait repris cette ligne de Roy Brown ou que cela provienne d’un blues, souvent cela tourne ce genre d’expression.

Et surtout, Bob l’a vécu, donc il l’a repris à son compte.

Voilà. C’est justement parce qu’il l’a vécu qu’il a repris ces paroles.

On découvre aussi que tout le monde parle de la chanson « Judge Not » comme étant le tout premier single enregistré par Marley, mais en fait elle est passée inaperçue et c’est une autre chanson, sortie quelque temps après qui a popularisé Marley à Kingston.

Lors de la première séance de Marley, qui doit dater de fin 62, il a enregistré trois titres. « Judge Not » est sorti, un autre « Terror » a disparu et Jimmy Cliff m’en a parlé, car il était présent lors de l’enregistrement. Et il y a aussi la face B de « Judge Not » qui est complètement inconnue. Mais cela n’a pas du tout marché à l’époque. Marley a enregistré à partir de 63 dans ce style ska, né du shuffle noir américain, et c’est effectivement « Simmer Down » qui va le révéler en 64.

Le premier succès de Marley !The Wailin' Wailers

C’est un de ses tout premiers enregistrements et c’est devenu un gros tube en Jamaïque. Mais Marley a aussi enregistré du gospel ce qui est moins connu. Il a également enregistré de la soul, du blues-soul, du ska…énormément de ska avec les Wailers, qui était son trio avec Bunny Wailers, son frère, Peter Tosh et Marley. Ils chantaient tous les trois ensemble. Et ils ont enregistré une centaine de titres.

Ils avaient plusieurs noms ? On parle des Wailin’ Wailers, des Burning Wailers, des Wailers ?

Le nom des Wailers, il y a des témoignages dans le SO MUCH THINGS TO SAY où chacun donne sa version de l’origine du nom. Mais je crois qu’on peut affirmer que le groupe ne s’appelait pas autrement que les Wailers, mais que l’album des Wailers qui est sorti en 1966, quand Bob Marley a quitté Studio One de Coxson Dodd, après une centaine de titres avec son trio vocal, l’album s’est appelé « The Wailin’ Wailers ». C’était une compile des 45 tours qu’ils avaient fait pendant trois ans.

Ces Wailers en version Studio One, c’était un club ouvert avec des choristes qui venaient, qui repartaient ?

C’était le trio de base dont on a parlé, mais il y a eu un premier chanteur du nom de Junior Braithwaite qui est dans le livre et c’est la seule interview de lui qui existe. Toutes les choristes des Wailers s’expriment également ; c’est incroyable, il a pu les retrouver. Tout est inédit dans ce bouquin et Steffens a fait très attention de ne pas publier des informations qui avaient déjà été publiées dans d’autres livres, comme ceux de la mère de Bob ou de Rita Marley. Là, on a les versions de ce qui s’est passé par les témoins qui l’ont vécu et c’est à l’état brut.

Et l’auteur se contente de mettre son point de vue entre les entretiens.

Oui, il présente les intervenants. C’est tout de même la grande autorité incontestable en matière de Bob Marley. Toute la famille Marley va chez lui pour trouver les inédits, pour trouver tout ce qui existe. Tout le monde lui donne, il reçoit des paquets tous les jours de tous les collectionneurs du monde. Il a un musée personnel Bob Marley qui fait sept pièces dans sa maison d’Echo Park à Los Angeles, il ne sait plus où les mettre ! Cela fait vingt ans que je travaille avec lui. Dans les années 50, il vivait à NY où il écoutait Alan Freed à la radio. Il a ainsi découvert le rock and roll à travers les émissions de Freed qui diffusait du rock noir, les versions originales noires des chansons reprises par les blancs. Et il s’est tout de suite intéressé aux musiciens africains. C’était un des premiers beatniks de la fameuse beat generation, passionné par la poésie et la musique noire. Il a passé toutes les 60’s dans un combi WW avec tous les clichés du terme, pour réciter des poésies dans les universités américaines, porté par le pouvoir du LSD. C’était un hippie à cheveux longs. Il connait par cœur son Kerouac et son Norman Mailer. Et puis il a été appelé au Vietnam où il s’est retrouvé comme soldat, force de se battre alors qu’il était non-violent. Ils lui ont rasé la tête et lui ont demandé : que veux-tu faire dans l’armée américaine ? Il a répondu qu’il voulait bien suivre une formation pour devenir animateur de radio pour faire la propagande américaine au Vietnam.

C’est « Good Morning Vietnam » !

Exactement. Il est aussi comédien, on peut par exemple le voir dans “Forest Gump » et il est aussi très connu pour ses doublages de films.  Après le Vietnam, il est devenu journaliste pro et peu après son retour, il a lu dans Rolling Stone un article qui vantait les mérites du reggae en général et de Marley en particulier et il acheté « Catch a Fire » qui venait de sortir en 73. Avec ce disque-là, Roger Steffens est tombé fou amoureux du reggae. Il est allé voir « The Harder They Come » le lendemain. À partir de ce moment, il se passionne pour la musique jamaïcaine et il va monter la première émission de reggae aux USA à Los Angeles qui est devenue une émission très écoutée. Il est devenu LE spécialiste du reggae aux États unis. Je suis très ami avec lui depuis 25 ans puisque nous avons notamment réédité les célèbres séries JAD avec toute l’œuvre de Marley avant les disques Island de Chris Blackwell, avant « Catch a Fire ». Nous avons sorti 120 titres inédits de Marley.  Avec, pour chacune, une note de pochette de Roger Steffens.

As-tu découvert des choses dans ce bouquin ?

Ah oui, carrément. C’est indéniable.

Moi j’ai été halluciné de découvrir que Peter Tosh était surnommé Peter Touch, car il passait son temps à peloter les filles !

Oui, mais avec ce livre tu as de vraies histoires de première main. Roger s’est passionné par la vie de Marley qu’il a connu, rencontré et même suivi en tournée puisqu’ils étaient amis… Il donne des conférences à guichets fermés sur Marley tout autour du monde depuis 40 ans et à chaque fois il y croise des gens qui ont connu Marley, à qui bien entendu il tend son micro pour recueillir leur témoignage. Souvent il les a filmés et photographiés, donc on a des photos de tous ces témoins.

Qu’est-ce qui t’a le plus surpris ?Bob Marley

La partie qui m’a le plus intéressé, c’est l’époque où Marley était inconnu et où il n’avait pas du tout de succès. À partir de 67/68 quand il a commencé à travailler avec Johnny Nash, le chanteur américain et son manager, le fameux Danny Sims qui était un gangster de la bande de Johnny Armone de la mafia New-Yorkaises. Sims est donc devenu le producteur de Bob Marley. Et on a aussi réédité tous ces enregistrements-là avec Roger. Donc, avoir en lumière cette période-là par différents témoignages que je ne connaissais pas, c’est incroyable. Juste avant sa mort, il a appelé Roger Steffens pour lui demander de venir le voir dans sa retraite de République dominicaine pour lui raconter ce qu’il faisait véritablement. Et donc le travail de producteur de Danny Sims n’était qu’une couverture pour sa véritable activité qui était le trafic de cocaïne. Rien dans ce live ne figure dans les autres livres et cela discrédite souvent ces autres livres qui ne citent pas leurs sources. On sait que Rita, la mère de Marley ou Don Taylor, le manager ont parfois menti ou varié dans leurs témoignages, alors que là ce sont des témoins extérieurs, des gens qui étaient présents. L’interview de Coxon Dodd qui raconte les séances d’enregistrement à Studio One, on n’a jamais vu ça. La choriste des Wailers en 65, qui était aussi la grande copine de Rita Marley et qui raconte comment cela se passait entre Rita et Bob, comment Bob la trompait ou comment Rita s’était mal conduite, on est vraiment au cœur de l’action, on est dans la rue à Trench Town avec eux.

On apprend qu’au tout début de leur rencontre, il raillait Rita en parlant d’elle comme « cette fille noire » en passant chaque jour devant sa maison pour aller au studio ! Pourquoi la traitait-il de « fille noire » ?

Rita est effectivement très noire et en Jamaïque comme dans toutes les Caraïbes il y a une discrimination raciale dans les couches de la société où les noirs noirs vraiment noir comme Peter Tosh ou Rita Marley vont souvent chercher à avoir des enfants avec des gens qui sont plus clairs de peau pour monter dans la hiérarchie raciale. Et d’ailleurs Peter Tosh a déclaré lorsqu’il est devenu plus amer par la suite à l’égard de Bob que Chris Blackwell avait choisi Bob Marley plutôt que moi parce que je suis noir et que lui était métis, qu’il était plus blanc. Un noir en Jamaïque quand on ne connait pas son nom, on l’apostrophe dans la rue en ces termes : « Hey blacks ! », hé le noir ! Sous-entendu « moi je ne suis pas noir » je suis marron. Il y a les chabins, les très clairs. Il y a cette hiérarchie qui est horrible, mais c’est une réalité en Jamaïque.

Comment est-on passé de « hey tu as vu la fille noire » à « I love you baby « ?

Le témoignage de Beverley Kelso, qui était une des choristes des Wailers raconte que ce n’était pas Marley qui la qualifiait ainsi, mais les Wailers. À mon avis, il devait s’agir de Peter Tosh alors que lui-même était très noir.

C’est tout le paradoxe !Roger Steffens

Ce sont des choses dont on ne parle pas, nous les blancs. Mais c’est très sensible là-bas. Pour Marley, sa couleur à lui l’a exclu d’une partie de la population qui était plus noire que lui, mais aussi certainement de la population blanche qui le considérait comme un nègre. Mais Bob Marley s’est toujours placé au-dessus de ça. Il n’est ni du côté des noirs ni du côté des blancs, il est du côté de Dieu comme il le disait. Et comprendre Marley, je crois que c’est impossible avec les autres livres, mais c’est possible avec le livre de Roger Steffens.

La découverte du rastafarisme chez Marley comment s’est-elle opérée ?

Dans le livre justement, Peter Tosh raconte qu’il fréquentait en 67 la maison de Mortimo Plano, qui était le leader spirituel de Trench Town. Plano avait rencontré Hailé Sélassié en 1961, à l’occasion d’un voyage en Éthiopie. Et c’est lui qui est allé accueillir Hailé Sélassié quand il est arrivé à Kingston en avion. Le Négus n’osait pas descendre, car il y avait 2000 rastas sur le tarmac et c’est Mortimo Plano qui a monté l’escalier pour chercher Sélassié. Il lui a expliqué que c’était ses adorateurs. Et là il a accepté de descendre.  À ce titre il est devenu le leader rasta du ghetto. Marley habitait à côté de chez lui et fréquentait la maison de Mortimo Plano qui avait de la littérature black Panther, qui avait des livres sur le Négus. Mais c’est Peter Tosh le premier de la bande à avoir franchi le seuil de sa maison pour devenir un rasta très radical. Marley a sauté le pas en 67.

Parmi toutes les femmes que Marley a aimées laquelle a été sa préférée ?

Tout le monde s’accorde à dire que Cindy Breakspeare, l’ex-Miss Monde 76 et la mère de Damian Marley, aura été le grand amour de sa vie. »

 

SO MUCH THINGS TO SAY « L’histoire orale de Bob Marley » par Roger Steffens, chez Robert LaffontSO MUCH THINGS TO SAY

 

 

 

 

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1 réponse

  1. DENIS GARNIER dit :

    Sacré story !!!!!!!!!!!y

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