MOTELS CALIFORNIA
Voici 42 ans dans BEST GBD continuait à succomber au charme rock de Martha Davis, la chanteuse des Motels. Le groupe de LA publiait alors leur 3ème album, sans doute le plus populaire de toute sa carrière « All Four One »… qui aura mis presque deux ans à s’enregistrer. Dans cet ultime entretien avec Martha, elle nous explique ce retard à l’allumage et nous ouvre largement son jardin secret jusqu’à son Firmanent Road. Flashback…
Après mon interview de l’an passé ( Voir sur Gonzomusic THE MOTELS À PEARL HARBOR ) et la chronique de ce « All Four One » ( Voir sur Gonzomusic THE MOTELS « All Four One » ), entre LA l’été dernier et paris au téléphone ce printemps 82, deux rencontres en une avec la craquante vocaliste, entre une Debbie Harry californienne et une Chrissie Hynde façon west coast, biberonnée à la même énergie punk qui avait mutée en New Wave. Deux LP plus tard les Motels se séparent… pour mieux se re-former en 2008 avec l’album « This ». « The Last Few Beautiful Days », le dernier album de la formation de Martha Mavis est millésimée de 2018.
Publié dans le numéro 166 de BEST sous le titre
TROIS ETOILES
Dans les high-schools de méga-LA, le jour de la rentrée, tous les élèves inscrivent leur nom sur un morceau de carton, dans le style conférence internationale. Ainsi, les profs savent du premier coup d’oeil à qui s’adresser. Lorsqu’on appelle leur nom, les élèves sont invités à se présenter. On leur pose quelques questions sur leur vie, leur hobbies, leurs parents… Face à une adorable nymphette brunette d’une quinzaine d’années, le carton indique : Maria Davis. Le prof, un rien bab avec ses cheveux qui lui tombent sur les épaules et son vieux chiffon de jean sur les fesses lui pose une question : « Et ta mère, elle fait quoi dans la vie ? » Maria baisse un instant ses yeux —qui ressemblent à en rêver à ceux de Martha — avant de répondre : Ma mère… elle est rock star ! Ah si seulement ma grand-mère avait accepté d’épouser ce jeune lieutenant yankee à la libération, peut être aurais-je eu la chance de me retrouver dans la même classe que ce petit bout de femme radieuse et sensuelle dont la maman fait profession de chanteuse rock au sein des Motels. Dans la monstrueuse pile de 33 tours du building Capitol, j’écoutais, en attendant Martha, l’air conditionné siffler comme un serpent prêt à l’attaque. Les pieds sur le bureau de l’ami Roger, je pianotais avec les touches du téléphone lorsque Martha est apparue comme une figure de Boticelli juste dans l’encadrement de la porte. Je n’avais pas revu Miss Davis depuis le dîner à la Coupole, juste après son concert de l’an passé au Palace. Là, c’est déjà plus son élément, elle y est encore plus jolie qu’à Paris. Tandis qu’une secrétaire nous apporte deux cans d’Heineken glacée, Martha Davis et moi sortons en même temps nos paquets de cancérettes pour les poser sur la table. Comme nous fumons tous deux les mêmes clopes, des Camel light, pendant toute l’interview nous échangerons nos paquets. Martha a bossé déjà quatre mois sur son album avec un nouveau producteur, Val Garay.
En fait, il y a deux aspects de Martha : celle qui se lance au milieu du public dans un auditorium de 20 000 places, armée d’un micro émetteur, et l’autre qui mijote un super dîner pour ses kids. « C’est super de les avoir avec moi pour traverser le rock and roll. Avec toute l’insanité qu’on peut y trouver, me filles m’apportent un équilibre. Tu sais, il y a différentes sortes de succès, et des mobiles différents aussi; moi j’ai envie de l’avoir pour elles » me confie la chanteuse. Martha m’a ainsi expliqué qu’au lieu d’aller passer son temps dans une fac, elle a préféré faire des bébés. Lorsque Maria est née, Marthe avait tout juste quatorze ans et Pat est arrivée deux ans plus tard. Avec ses filles. Martha Davis peut compter sur une belle brochette de critiques : elles écoutent et elles jugent le boulot en studio de maman. Parfois ça donne des réactions dans le genre : « Heu, tu sais m’man, je ne suis pas très sure de celle-là ». « J’ai déjà enregistré plus de trente titres pour cet album », reprend Martha, « mais je ne suis pas encore satisfaite. Capitol m’a donné carte blanch, quel que soit le coût ou le temps passé sur le LP, parce qu’ils veulent comme moi qu’il soit parfait. Je ne tenais pas à réitérer l’expérience bâclée du deuxième album enregistré dans la foulée d’une tournée. Or, jusqu’à présent je n’ai jamais réussi à écrire qu’une seule chanson en tournée. Je suis incapable de me concentrer. Cette fois, j’ai vraiment l’impression de vivre le grand luxe, god bless the tower(Capitol), parce-que je n’accepterai pas de transiger pour décrocher un hit. Il faut de toutes façons que ce soit quelque chose que j’aime, même si j’écris d’une manière assez électrique. Chaque chanson des Motels doit avoir sa personnalité. » Martha ne manque pas de caractère. ce qui lui a toujours évité de tomber dans les clichés trop évidents du magma rock. Sur« Careful » on trouve pour la première fois un mot comme « baby » sur ses lèvres, mais c’est Tim son guitariste qui l’y a placé. Tim, son boy friend, lui avait aussi inspiré « I don’t want you to see me this way » (« Je n’ai pas envie que tu me voies avec cette tête » — aujourd’hui intitulée « Art Falls — on the road à cause d’une dispute. « C’est drole, je ne sais pas si je suis capable d’écrire lorsque je suis vraiment heureuse. » affirme t’elle. Martha laisse une marque de rouge à lèvres sur son can de bière et allume une Camel.
Imaginez que la fumée de cette cigarette avale sept mois de la vie de Martha ; en Mars 82 nous nous retrouvons au téléphone. Depuis trois jours j’ai reçu une cassette de « All Four One » son nouvel album que je m’auto-matraque non sans plaisir, parce qu’il est certainement le plus réussi de tous les Motels. Mais pourquoi avoir attendu plus de 5 000 heures avant de le sortir ? « Facile », rétorque Martha, « parce que nous avons réenregistré toutes les chansons il y a trois mois. Capitol n’était pas vraiment satisfait du résultat, donc nous avons décidé de rentrer en studio pour re-jouer quelques titres. J’ai fini par refaire tout l’album avec de nouveaux musiciens. A l’origine, nous voulions baptiser ce trente, « Motel 4 », puisque nous l’avons enregistré deux fois, mais on s’est dit que les gens allaient se demander où était passé le troisième. D’ailleurs, Tim, le guitariste a quitté les Motels. A l’exception de « Tragic Surf », la seule qui subsiste des sessions du troisième album, les guitares sont d’un mec de New York, Guy Perry. C’est le garçon le plus adorable du monde, je suis sûre qu’il te plairait. C’est Debbie, sa copine qui me l’a présenté. Elle joue dans un groupe de nanas, lui tait maintenant partie des Motels et parfois ils font du rock ensemble, c’est un couple super ». En clair, Martha n’entretient pas de relations extramusicales avec son guitariste, ce qui doit lui simplifier bigrement la vie. … « Take the L Out Of Lover And It’s Over »En tous cas, avec « Ail Four One », elle semble avoir trouvé un parfait équilibre. L’album compte une reprise d’une vieille chanson de Carole King, « He Hit Me ». Sensuelle Martha, sa voix caresse et traverse la toile des HP, on dirait un Willy De Ville au féminin, « He Hit Me » date d’il y a plus de vingt ans… vingt ans … le satellite qui transmet notre liaison téléphonique joue à l’écho. Après un rire adolescent, elle reprend : « A l’époque, on trouvait cette chanson trop étrange, on l’a pratiquement mise en fond de tiroir. Un jour je l’ai entendu à la radio et j’en suis tombée amoureuse. Le seul disque sur laquelle elle figure c’est un greatest hits en import des Crystals produit par Phi! Spector.
Et ce titre jazzy?
« Change My Mind » est un de mes morceaux préférés. Il a été écrit par Steven Goldstein qui tait des synthés sur cet album. Steve et moi sommes devenus de très bons amis et on a pris l’habitude de jammer ensemble très tard le soir. Une nuit, nous avons fait des negro spirituals durant quatre heures. Au bout d’un moment. Steve a commencé à jouer un killer blues, en me disant « qu’est-ce que tu penses de ça ». Moi j’ai écrit un texte sur le moment, c’était super comme inspiration. Tous les deux, nous avons pensé à Billie Holliday. On a écrit cette chanson en une nuit et une bonne bouteille de vin rouge ».
Du vin rouge, justement il s’en tire à flots chez nous. Quand Martha se décidera-t-elle à venir le boire ?
« Tu sais bien que j’adore Paris. Pour mol, la France a toujours été un pays super, mais j’ai envie qu’on réussisse aussi chez nous. Je crois que les Motels vont tourner aux States jusqu’à la fin de l’été parce qu’ils ont envie de gagner. Si tout se passe bien, nous serons en Europe au début septembre ».
Il est midi à LA et Martha vient de se réveiller. Les pluies diluviennes du mois dernier ont lavé le smog. A travers les baies vitrées de sa maison, elle voit un jour superbe. La route qui mène chez Martha est inondée de soleil, elle porte un nom prédestiné pour une star : Firmament Road !
Publié dans le numéro 166 de BEST daté de mai 1982