MARTIN STEPHENSON & THE DAINTEES UN BATEAU POUR LA BOLIVIE
Voici 30 dans BEST, GBD tendait son micro à Martin Stephenson et ses Daintees pour leur lumineux album inaugural, au titre forcément utopique de « Boat to Bolivia »…sachant qu’il existe autant de ports en Bolivie qu’en…Suisse, puisque ce petit pays d’Amérique du Sud ne possède bien entendu AUCUNE façade maritime. Cool flashback…
Quel souvenir conserver de cette rencontre avec un jeune Martin Stephenson de 25 ans qui avait su me subjuguer de son tout premier album « Boat To Bolivia » ? Son sourire et son enthousiasme. Sa coolitude taciturne de Michael Franks British et son rire chaleureux de jeune gars du Nord. Ses influences résolument américaines. Toute l’utopie derrière ce « Boat To Bolivia », sur lequel il ne pourra jamais embarquer, puisque ce pays exclusivement continental ne possède aucun accès à la mer. En découvrant la fraicheur exacrebée de ce premier album , je songe à l’innocence d’un groupe comme les Pale Fountains( Lire sur Gonzomusic https://gonzomusic.fr/the-pale-fountains-from-across-the-kitchen-table.html et également https://gonzomusic.fr/the-pale-fountains-eloge-de-linnocence.html )Jusqu’au tournant des 90’s, les Daintees restent particulièrement actifs, publiant 4 albums jusqu’à leur premier split. Puis, à la fin des années 2000, Martin Stephenson, après de nombreux solos et quelques collaborations, réactive les Daintees pour un nouveau CD « Western Eagle ». Trois nouveaux disques seront publiés dont « Haunted Highway » en 2015, suggérant que Stephenson reste toujours aussi fidèle à ses influences américaines. Une édition spéciale 30éme anniversaire, boostée par de nombreux inédits, de « Boat To Bolivia » est sorti récemment, preuve que Martin Stephenson and the Daintees n’ont définitivement pas jeté l’ancre.
Publié dans le numéro 222 de BEST sous le titre :
Newcastle, Bolivie
Que penser d’un type capable de composer, d’enregistrer et de mixer une ballade climatique déchirée comme Dylan, Cohen ou Lou Reed en moins de quarante minutes ? Martin Stephenson est un jeune homme simplement doué, pas un héros comme dans le Guiness Book of Records. Ses chansons ont l’âme de purs standards. Le plus surprenant, c’est qu’elles sont toutes différentes, comme si elles avaient été écrites à chaque fois par une main nouvelle. Le titre du premier album, « Boat To Bolivia » se chuchote de bouche à oreille de rock-critic depuis quelques mois. Le flair et l’instinct, il n’y a que cela qui sauve dans la profession. Il fallait donc retrouver Stephenson, histoire d’en savoir un peu plus sur les Daintees.
« On est un collectif de quatre musiciens basé à Newcastle » avance timidement Martin, « En 82, on a sorti notre premier 45 auto-produit. Mais il n’a pas donné grand-chose. Sounds l’avait pourtant désigné comme le « Single of the Week ». Quatre années de petits clubs enfilées comme des perles pour Martin Stephenson and the Daintees et leur sens de l’éclectisme éclate et désarçonne les auditoires. « On a parfois un problème avec les chansons, c’est que les gens ne parviennent pas à nous cibler. Si on attaque par « Coleen» ils se disent que c’est du jazz et trois minutes plus tard avec « Running Water », ils se retrouvent en plein rodéo country. Quant à la presse, elle est aussi larguée. Mais va expliquer à un critique que si tu changes sans cesse de style c’est aussi pour vivre sans barrière ! »
Sans rire, ces fichus Daintees évoquent pâle-mêle Steve Stills et Manassas, Christopher Cross, Cat Stevens, Joe Jackson, Michael Franks, Paul McCartney, les Eagles, BB King, les Byrds et quelques autres comme Paul Simon ou Napoleon XIV. « Mon père écoutait des tas de trucs jazzy et ma mère les charts à la radio. Moi je n’écoutais que du rock, mais tout s’est mélangé dans ma tête comme une sorte de soupe musicale » , explique Martin Stephenson, « les textes sont juste une collection d’observations simples sur ma vie. Lorsque j’étais encore à l’école, j’ai commencé à faire un peu de poésie. Mais j’étais un poète du genre placard qui n’avait pas le courage de faire lire aux autres ce qu’il écrivait. Plus tard, j’ai aussi compris que je ne serais jamais un guitariste prodige, un slow hand comme Clapton. J’étais très malheureux, mais ça m’a forcé à mélanger mes deux passions. Je me suis mis à écrire des trucs aussi éclectiques ».
On ne se lasse pas de Stephenson, il est si déconcertant. Ainsi, la chanson « Boat To Bolivia » ne figure pas sur l’album du même nom, elle est sortie un peu plus tard sur un maxi 45 tours. Pourquoi faire simple, quand on peut tarabiscoter ? « J’ai écrit la chanson après avoir fini l’album. J’étais subjugué par la photo de ma girl-friend sur la pochette. Elle est si contrastée qu’on dirait une indienne des Andes. La photo a été prise dans une gare et reflète mon idée fixe concernant la fuite. Ce jour-là, je voulais tout laisser tomber et partir avec elle sur un bateau voguant vers la Bolivie. J’ai composé la chanson « Boat To Bolivia » en dix minutes, un soir dans une loge. À cette époque j’étais naïf, je croyais que le bateau en question n’existait pas, depuis j’ai changé d’avis ». À Newcastle, le père de Martin est manutentionnaire chez Dunlop. Sa mère fabrique des filtres pour une grosse boîte. « Là-bas, il y en a beaucoup qui n’ont pas comme mes parents la chance de conserver un job, mais ça n’est jamais la déprime. Les mecs semblent trop heureux de vivre pour se lamenter. C’est aussi un endroit politisé, souviens-toi des grèves des mineurs », attaque le porte-parole des Daintees, « Thatcher y a gagné son sobriquet de Dame de Fer. La plupart des mineurs ont regagné leur puits, vidés et désabusés à jamais à la fin de la grève. Ceux-là ont eu pas mal de chance si l’on considère la masse de ceux qui ont perdu leur emploi parce qu’ils s’étaient battus pour leurs droits ».
À vingt-cinq ans, s’il n’était pas déjà Martin Stephenson il voudrait être son négatif, Little Richard : « Il est tout ce que je ne serai jamais, le grand extraverti, le king de la performance ». Sous ce flegme provincial se cache une farouche détermination. Stephenson est comme une grenade dégoupillée, un bon petit phénomène, pour incendier la tête et gommer l’hiver. L’album « Boat to Bolivia » édité en pressage français est un remodelage du LP original incluant le sensuel reggae « Boat To Bolivia ». Mais, hélas, malgré tous ses efforts, il n’existe toujours pas de port en Bolivie…