MAJOR HANDY LE GRADÉ DU ZYDECO
Avec son créole et sa radieuse énergie, avec son talent et toute son expérience, Major Handy a su créer sa propre recette du zydeco, ce rythme aussi chantant qu’irrésistible né dans les bayous de Louisiane, comme il sait cuisiner son gumbo d’exception : en y mêlant toutes sortes de saveurs. On retrouve ainsi dans sa musique ses racines cajun, mais aussi le blues, la soul, le folk et le rock. Sans oublier la country, bien entendu. Rencontre avec un officier et un gentleman, Major Handy pour la sortie de son album « Zydeco Soul ».
Dire que Joseph Major Handy a beaucoup bourlingué serait un euphémisme. A 72 ans, même s’il en parait 15 de moins, le chanteur-guitariste- accordéoniste a si souvent quitté sa Louisiane natale pour arpenter les scènes de la planète, où il a toujours su, avec son feeling illimité, « laisser le bon temps rouler » de sa musique zydeco. Du Canada à la Suisse en passant par les Caraïbes comme aux quatre coins des USA, au fil de ses groupes successifs ou aux côtés du fameux accordéoniste Buckweat Zydeco, ses tournées ne lui ont jamais laissé le temps de respirer le parfum des fleurs. De retour dans son village natal, aux cotés de sa charmante épouse Frances Ayres, qui joue du washboard, du « frottoir » comme on dit dans le créole local, il a enfin pris le temps de sélectionner ses propres compositions favorites, comme les quelques reprises qu’il avait envie d’adapter en vue d’enregistrer un nouvel album. Lauréat de la Music Maker Relief Foundation (Voir sur Gonzomusic https://gonzomusic.fr/music-maker-relief-foundation-les-blues-and-soul-brothers.html ) qui l’aide par ses subventions à poursuivre sa carrière, cette dernière a confié à l’ami Zak Alister ( Voir sur Gonzomusic https://gonzomusic.fr/zak-alister-lami-americain.html ) la mission de produire ce nouvel album de Major Handy, le bien-nommé « Zydeco Soul ». Rencontre avec un musicien d’exception en live et direct par la magie de FaceTime.
« Où sommes-nous exactement Major ?
À St Martinsville, à côté de Lafayette, en Louisiane. C’est là où je suis né. À 14 miles exactement de Lafayette. (en français)
Tu as un super accent français !
Oui, c’est mon créole. Et c’est l’accent de St Martinsville.
Tu as donc grandi ici. Avais-tu des frères des sœurs ?
Oui, nous étions sept enfants dans la famille. Hélas, seuls quatre ont survécu à ce jour. Deux de mes frères sont décédés dans un accident automobile et un autre a été emporté par la maladie. Je suis l’ainé de la fratrie.
Quel travail effectuaient tes parents ?
Ma mère était d’origine indienne. Lorsque nous étions petits, elle restait à la maison, pour s’occuper de nous. Quant à mon père, il travaillait dans les champs de cannes à sucre.
Est-ce que dans la famille vous chantiez chez vous ou à l’église ?
Non, pas vraiment, mais mon père jouait de la musique chez nous. Et moi, dès mon enfance, j’écoutais la radio. Nous n’avions pas d’autres loisirs. Mais moi plus j’écoutais de la musique, plus j’avais envie d’en jouer. Je me demandais : comment parvenir à fabriquer une guitare ? Depuis longtemps je les observais avec envie. Alors, j’ai récupéré une boite à cigares et un beau jour j’ai réussi à fabriquer ma première guitare avec.
Quel âge avais-tu alors ?
Je devais avoir dans les 10 ou 11 ans. Mais mon ambition musicale a vraiment germé en moi lorsque j’avais 8 ans. J’ai vraiment pris ma décision : je savais que je voulais être musicien. Mais pour être musicien, il me fallait un instrument. Alors je l’ai fabriqué moi-même.
Pourquoi avais-tu choisi la guitare ?
J’écoutais WLAC, une radio de Nashville qui passait énormément de guitaristes. Il y avait aussi des pianistes comme Jerry Lee Lewis et bien d’autres, mais j’aurais eu vraiment du mal à fabriquer moi-même un piano ! (rires). C’est aussi un instrument bien plus compliqué à jouer que la guitare, cependant, il m’arrive parfois de jouer au piano.
Tu joues aussi de l’accordéon, que l’on peut considérer comme un piano en version portable !
Oui, comme Clifton Chénier !
Quand as-tu commencé à jouer de l’accordéon ?
Ah, bien plus tard, j’étais bien plus âgé. J’étais même marié et j’avais déjà des enfants, à l’époque. Je devais avoir dans les 35 ans. Pareil pour le chant d’ailleurs. J’ai attendu de très longues années avant de me décider à chanter. En fait, j’avais un super groupe dont le chanteur nous a plantés du jour au lendemain pour monter sa propre formation. J’ai décidé que plus jamais cela ne se passerait ainsi. D’ailleurs, aujourd’hui le type en question ne fait plus rien de sa vie et il a laissé tomber la musique. Et moi je continue (rires). Je rigole, mais cela s’est vraiment passé ainsi. Je me suis dit : puisque c’est ça, moi aussi, je vais être chanteur. Alors, je me suis tout simplement mis à chanter, après toutes ces années. J’avais au moins quarante ans.
Tout le monde chante dans sa salle de bain. Tu n’avais jamais remarqué que tu avais une super voix ?
Non, je n’en savais rien, juste que je devais le faire. Je me disais que je devais être modeste, que je devais rester humble, tu vois. Sans me mettre en avant.
Remontons un peu le temps si tu veux bien…dans ta bio, on apprend que, lorsque tu avais 15 ans, Otis Redding t’a proposé de le suivre en tournée, mais que ta mère a refusé, car tu étais trop jeune, tu peux nous en dire plus ?
À cette époque, Otis Redding n’était pas très connu. Il commençait tout juste à émerger. Il était loin d’être aussi populaire qu’à la fin de sa vie. Ce qui s’est passé, c’est qu’à Saint Martinsville, il y avait ce club réputé et Ray Charles, comme beaucoup d’autres artistes de l’époque s’y produisaient. Pour assurer son dernier set dans ce club, son guitariste était ivre mort, alors Otis a demandé autour de lui si un guitariste était capable de le remplacer. Moi je n’étais même pas au concert. J’étais trop jeune, je n’avais que quinze ans. (Les lois américaines interdisent aux mineurs de moins de 21 ans l’accès aux bars et clubs qui vendent de l’alcool : NDR). Je ne sais même pas comment j’ai réussi à me retrouver à l’intérieur. Je crois me souvenir que mon cousin a déboulé chez moi, à bicyclette, en hurlant « Otis Redding a besoin d’un guitariste, là, maintenant tout de suite ! ». J’ai foncé dans le club, ils m’ont laissé rentrer et je suis monté sur scène. Otis s’est mis à chanter des chansons très simples et naturellement je l’ai accompagné à la guitare. Après le set, il m’a demandé si j’étais intéressé pour le suivre en tournée, mais j’ai dû lui avouer que j’étais encore trop jeune et que ma mère n’accepterait jamais de me voir partir. C’est ainsi que j’ai dû renoncer à suivre Otis.
En quelle année cela s’est-il passé ?
Je suis né en 1947, donc nous étions en 1963, je crois. Otis faisait alors ses toutes premières tournées à travers le pays. Il n’aura joué qu’une seule fois à St Martinsville.
Mais Otis est décédé ce triste 10 décembre 1967, dans l’accident de son avion privé avec les membres des Bar-Kays, donc si tu l’avais suivi, tu aurais pu toi aussi mourir avec lui ?
Oui, c’est vrai, j’aurais joué du rock and roll au paradis. On a perdu tant d’artistes talentueux dans ces accidents d’avion, comme Buddy Holly avec Ritchie Valens, Dion et le Big Bopper en 1959 !
The day the music died, comme l’a chanté Don McLean dans son “American Pie”!
Cela va te paraitre dingue, Gérard, mais avant que tu ne m’en parles, je n’avais jamais songé auparavant que j’aurais pu mourir avec Otis, dans son avion privé ce jour-là. Non pas que j’ai peur de la mort, mais j’ai envie d’être encore là pour un moment, on va dire !
Parlons de ce béret emblématique que tu portes, quand as-tu commencé à le mettre ?
Lorsque je vivais au Canada, où il faisait si froid ! Car j’ai vécu sept ans là-bas. En fait, c’était un béret de l’armée canadienne. Je l’ai perdu, bien des années plus tard, à Baton Rouge. J’étais triste, car il avait ses insignes d’origine, après j’ai dû acheter ceux de la marque Kangol.
Et, désormais, le béret fait partie de ton personnage !
J’ai vécu au Canada de 88 à 94 entre Calgary et Edmonton dans l’Alberta. Mais j’ai beaucoup bourlingué là-bas, à travers tout le pays, pour y donner des concerts. En 93 j’ai joué au fameux Jazz Fest de Montréal, avec le groupe canadien que j’avais constitué.
Comment un gentleman de Louisiane tel que toi en vient-il à aller se geler les fesses au Canada ?
Il fait aussi froid parfois en Louisiane…mais j’avais surtout envie de parcourir le monde, de découvrir d’autres horizons. Je suis un type assez amical et communicatif ; j’ai toujours envie d’aller vers les autres. Et d’apprendre. Alors j’ai décidé d’aller au Canada. Mais, je ne suis tout de même pas parti à l’aventure. En fait, c’est grâce à un ami batteur-percussionniste, Clarence « Jockey » Etienne, hélas décédé en 2015 à 81 ans, qui bossait avec cet agent artistique dans l’Iowa. Il m’a branché sur lui et j’ai pu jouer un peu partout comme dans l’Utah. Et en deux temps trois mouvements, il m’avait booké des gigs à travers le Canada.
Et tu as tellement kiffé que tu y es resté sept ans !
J’avais du boulot, je jouais sans cesse. J’ai même pu décrocher un visa canadien, pour exercer en tant que musicien. Et grâce à lui, le visa a été prolongé toutes ces années.
Et, ensuite, tu es retournée en Louisiane ?
Quand j’ai quitté le Canada, je me suis offert un sequencer. Au Canada j’avais appris à le programmer. Et à rentrer tous mes morceaux dans le sequencer. Lorsque je suis rentré en Louisiane, nul n’avait jamais vu un engin pareil. Et il m’a amené un peu partout. C’était une idée de génie de ne plus devoir gérer tous les problèmes liés à un groupe. C’est souvent si compliqué de devoir assumer un groupe.
Attendre en vain le batteur trop bourré qui ne se pointera pas, ou le bassiste qui est resté dormir chez sa girl-friend…
Ah je sais, c’est dingue mec !
Le sequencer par contre lui n’a pas de girl-friend et, par conséquent, il est toujours à l’heure !
Exact…toujours à l’heure (rires) ! Lui au moins ne te chiera jamais dans tes bottes. Et, côté musique, il saura même t’éviter les fausses notes.
Et lui au moins ne te demandera jamais d’augmenter son cachet !
Cela ne m’a pas empêché de remonter des groupes, heureusement. Comme à mon retour du Canada, avec les musiciens qui accompagnaient l’accordéoniste Buckweat Zydeco. Après que celui-ci soit tombé malade, il avait un cancer à la gorge, et ils voulaient continuer à bosser. Donc, nous avons formé un groupe ensemble. Mais j’ai monté mes premières formations lorsque j’avais vingt-cinq ans, avec des potes de Saint Martinsville. J’ai toujours eu des groupes. Si tu es capable de jouer, alors tu montes un groupe, c’est naturel. Mais, l’avantage de jouer seul avec son sequencer, c’est que tu gagnes vraiment bien ta vie, car ta mobilité te permet de jouer sans arrêt pour des fêtes privées, des tas d’évènements. Mais jouer avec un groupe ce n’est pas pareil. Voilà pourquoi j’ai formé mon Major Handy & the Louisiana Soul Revue comme le Major Handy & the Louisiana Blues Band. Avec ma femme Frances, qui joue du washboard, le frottoir comme on dit ici en cajun, nous avons même joué pendant quatre années sur un navire de croisière. Mais, après l’ouragan Katrina, nous étions lassés de cette vie sur un bateau, donc nous sommes redescendus à terre. J’ai aussi un autre métier : je suis carrossier automobile. Je retape des caisses pour de nombreux clients. Et même si je ne bosse plus dans un garage, j’ai un petit atelier ici et je fais ça à la maison de temps en temps. Et je suis assez doué pour cela, notamment en peinture où j’arrive toujours à reproduire la peinture d’origine au point qu’on ne voit pas la différence. Par contre, je ne raffole pas trop de mécanique, je n’aime pas mettre les mains dans le cambouis. Sauf lorsqu’il s’agit de ma propre voiture, car j’ai un penchant pour les BMW et je ne laisse à personne d’autre le soin de s’en occuper.
Original en Louisiane. Et tu n’as pas trop de mal à trouver des pièces ?
Non, car tu trouves tout sur Ebay !
Il y a un mot qu’on ne peut s’interdire de prononcer à ton sujet c’est le mot « zydeco » ! Vient-il du mot français haricots ?
Oui, les haricots, beans en anglais. C’est Clifton Chénier qui a commencé à jouer cette musique traditionnelle créole et cajun. Il l’a appelée zydeco, car il y mêlait du blues, de la soul et du jazz.
Comme un gumbo musical !
Exactement. D’ailleurs, si j’arrive à venir te voir en France, je te cuisinerai un gumbo, frangin ! Zak a adoré le gouter, on s’est tellement éclatés. Pour revenir au zydeco, moi je n’ai commencé à en jouer qu’avec Rockin’ Dopsie. J’ai assuré à la guitare pour lui durant 12 années. Nous avons tourné dans le monde entier. C’était un brave type, très humain, très populaire. Avec lui je me suis mis à fond dans le zydeco. J’ai sorti le fameux « The Wolf Couchon » album en 1985, un croisement entre un chien et un cochon (rires). Et cette musique m’a aussi amené à jouer aux quatre coins du monde. J’ai même vécu en Suisse durant un an, à la fin des années 80, juste avant de partir au Canada.
Et tu as ainsi créé ton propre zydéco, en y mêlant à tes racines cajun, le blues, la soul, le folk et le rock. Sans oublier la country.
Et comment ! J’adore la country, j’ai grandi avec. Et donc si j’assumais de devenir un artiste de zydeco, il me fallait écrire mes propres compositions.
Parlons de l’album justement, il démarre sur un blues imparable « Tail Spin »
Oui c’est une composition de Walter « Wolfman » Washington. C’est un vieux pote. La plupart des titres de l’album sont mes compositions, à l’exception de « Just Once » de James Ingram et de « Higher and Higher » de Jackie Wilson.
J’adore « Girl Watcha Doing », qui me rappelle Sam Cooke, Marvin et James. Une chanson sur le thème du cœur brisé d’un homme.
J’ai écrit celle-là il y a bien longtemps, à la fin des 80’s. Je suis tellement reconnaissant envers Music Maker et Zak Alister, qui est venu faire mon album. Je me dis que j’ai vraiment une bonne étoile pour mériter un tel présent Car sans eux, ce disque n’existerait pas aujourd’hui. Lorsque Zak m’a proposé de produire cet album, je lui ai fait écouter mes chansons. La plupart n’avaient jamais été enregistrées. Quant à Music Maker Relief Foundation, cela fait maintenant sept années que je compte parmi leurs boursiers. C’est un don du ciel. Et ce sont eux qui m’ont présenté à Zak Alister, qui a réalisé ce nouvel album. Mais c’est la première fois qu’ils m’aident à publier un CD. Cette association incroyable aide déjà de très nombreux musiciens et je sais que leur budget n’est pas extensible.
J’aime aussi beaucoup « Colinda »
Oui, elle est typiquement cajun, mais avec une petite touche reggae.
Ah oui j’allais t’en parler !
Tu dois mettre un peu de rythme dans ta soul et tenter de nouvelles choses tout en restant fidèle à ta tradition. En musique, je ne m’interdis aucun mélange, aucune fusion. Au contraire. Je voulais mélanger le zydeco, l’esprit cajun, le reggae, la soul….
Laisser le bon temps rouler, en français dans le texte !
Oui, laissons le bon temps rouler ! Allons danser Colinda !
Exactement ! mon autre chanson favorite sur l’album est « Zydeco Boogie », car elle est funky, elle est jazzy, elle est cool avec un petit coté latin à la Carlos Santana dans l’arrière-plan.
Tout à fait d’accord !
En fait, ce que tu aimes, c’est de créer ton propre gumbo musical original avec tes propres ingrédients.
Exact. C’est tout à fait le rôle que doit tenir un artiste. Moi, j’aime mélanger les saucisses, les crevettes, le poulet, les piments dans le gumbo. Le plus important est de réussir la sauce. Le premier truc c’est de démarrer le gumbo avec du beurre fondu. Surtout ne jamais utiliser d’huile ! Donc on fait revenir le poulet dans le beurre. Après tu y mets tes oignons coupés. Tu rajoutes un peu d’eau. Et ensuite les saucisses puis les piments, de l’ail…tu y mets tout ce qui te chante. Surtout ne pas oublier le riz. Je dois t’avouer Gérard que durant mes années au Canada, je faisais aussi mon propre show culinaire live dans un restaurant. Je te ferai gouter mon gumbo, un de ces quatre ! »