ZAK ALISTER : L’AMI AMERICAIN
« L’Amérique, l’Amérique, je veux l’avoir et je l’aurai/ L’Amérique, l’Amérique si c’est un rêve, je le saurai/ Tous les sifflets des trains, toutes les sirènes des bateaux/ M’ont chanté cent fois la chanson de l’Eldorado » comme le chantait Joseph Ira Dassin. Si on a tous en nous quelque part ce rêve de l’immensité américaine, certains parmi nous sautent le pas et vont tenter l’aventure outre-Atlantique. Parisien bercé par le rock, Mathieu Chabert s’est expatrié voici quatre décennies pour devenir Zak Alister et monter sa formation War Honey. Petits concerts dans les clubs, tournées intimistes, s’il ne revient pas « cousu d’or et brodé d’argent » par le poids des charts et le choc de ses ventes, il est bien plus riche aujourd’hui de la somme des expériences que porte son rock.
Non War Honey n’est pas un hommage à ces « femmes de réconfort » , ces femmes asiatiques enrôlées de force par l’armée Impériale nipponne pour assurer le « repos de ses guerriers ». Ni même une référence à la « honey war »,une sanglante dispute territoriale à la frontière entre l’Iowa et le Missouri en 1830. A des années lumières de tout ça, War Honey est un groupe new yorkais monté par un Français expatrié. Guitariste autodidacte, Mathieu, alias Zak, était fan depuis toujours de Keith Richards et de Jimi Hendrix, les deux guitaristes qui ont sans doute le plus influencé son style. Chez lui , à Manhattan, le coté « studio d’enregistrement » occupe plus de la moitié du petit apart de ce chanteur-guitariste, c’est dire combien la musique compte dans sa vie. Rock bien entendu, mais aussi blues métissé de country ou de folk, un son intemporel qui incarne toute l’Amérique à lui seul. Rencontre avec Mister War Honey.
« Tu vis depuis longtemps à New York ?
Oui je suis installé à New York depuis quarante ans. Dans sa toute première version, j’ai démarré War Honey en 82/83. Je vivais alors en Virginie, dans les environs de Washington DC. J’ai rencontré ma copine Catherine Gray qui tenait la basse. A l’époque, on formait un trio avec un batteur. Pratique pour rentrer et sortir d’un club à l’autre en cinq minutes avec nos petits amplis. C’était un peu la même formule que Police à l’époque. C’est ainsi qu’est né War Honey, qui est l’inverse de raw honey, soit « miel cru ». Ils en vendaient dans les supermarchés bios à l’époque et cela m’a fait flasher c’est ainsi que le raw honey est devenu War Honey ( le miel guerrier) en inversant deux lettres.
Concept idéal par rapport à ta musique, un blues-rock country parfois, country folky aussi et surtout intemporel !
Intemporel…oui. Pour moi, la musique est une force puissante qui me prend aux tripes. Avec le temps, ce qui m’est resté c’est surtout la musique roots américaine. Tout ce qui est au départ du blues, rythm n’ blues, country, blue grass, jazz également, bref toute cette musique organique des Etats-Unis qui dés mon enfance m’a alpagué. Tout cela date de l’enfance, quand j’allais visiter mon oncle de Brooklyn lorsque j’avais 11 ans. C’est ans doute ce qui m’a donné ce goût pour les Etats-Unis.
Toutes ces musiques là continuent d’exister aux USA, rejouées et réinventées par de nouveaux groupes d’aujourd’hui….comme le tien.
Absolument. Elles continuent à être populaires, quelles que soient les modes et les musiques qu’on entend sur les ordinateurs, c’est joué, c’est organique et interprété par des musiciens qui jouent live, ce qui devient rare par les temps qui courent où les DJs sont trop souvent désormais les stars du moment.
Comme dans la fameuse 8th St, à Austin, où les groupes font leur set de bar en bar, enchainant parfois quatre ou cinq show dans la nuit !
C’est exactement cela, tu trouves aussi la même choses à la Nouvelle-Orléans ou à Memphis et à new York aussi, bien entendu.
War Honey depuis le début c’est combien d’albums ?
Nous avons sorti trois albums, dont le dernier voici un peu moins de deux ans. Mais nous ne sommes pas dans l’urgence perpétuelle du rock-biz, on cultive un peu ce coté décalé voire intemporel. En fait, je publie ma musique quand j’en ai envie, sans me soucier de quelconques pressions extérieures. Le premier disque est sorti en 84. Nous avions sorti juste avant une petite cassette EP de quatre morceaux, dans un packaging un peu avant-garde.
Que racontent les chansons de War Honey ? Des histoires de la vie de tous les jours ? Des histoires d’amour ? De bastons…
De bastons, non (rire). il y a deux compositeurs, moi-même et Catherine. Elle effectivement ses compositions reflètent plus la vie de tous les jours, le grand far-west américain. Des histoires d’amour, aussi. Quant à moi, je penche plutôt du coté des commentaires politiques du moment, des histoires d’amour aussi mais en version destroy très très loin dans la nuit. Moi je pense qu’au delà du facteur entertainment, la musique doit aussi servir à véhiculer des messages. Tous les jours, tu ouvres le journal, tu ouvres ton ordinateur et tu te retrouves confronté à des choses absolument scandaleuses et en tant qu’artiste, à part la beauté de l’art, je trouve que la musique et les paroles sont faites pour cela. Ne sommes nous pas le dernier rempart ? Sur le dernier album, il y a cette chanson intitulée « United States ». Moi j’adore les Etats-Unis. Il y a du plus et du moins, comme dans tous les pays, mais j’adore les USA. Les mecs sont libres, ce sont encore des cow-boys, ils sont pragmatiques, ca marche, ça fonce. Mais bien souvent, je croise des gens, des étrangers débarqués à NY. Ils s’éclatent, et pourtant tu les entends parler : ils disent « qu’il n’y a pas de culture ici ». Alors je leur répond : vous êtes en jeans, là. C’est tout de même un peu de culture ce que vous portez. Et puis vous êtes ici, et puis vous écoutez du rock, vous regardez des films…Cette chanson est un commentaire sur cette sorte d’hypocrisie qui consiste à adore un pays, adorer y venir mais dés qu’on prend l’avion pour rentrer chez soi, on crache un peu dessus. Là non , je ne suis pas d’accord, alors je le chante !
Donc tu es un peu le Bernie Sanders du rock, quoi ?
(rire) Je ne veux pas faire juste de la politique non plus. Je commente, je ne vais pas me mettre les pieds dans la mare. Disons que je partage mon opinion. Actuellement Katherine t moi travaillons sur de nouvelles chansons. Et nous jouons constamment en concert comme mardi prochain à New York. Mais je voyage aussi beaucoup, alors on joue dés qu’on peut.
Techniquement , on va dire que tu travailles à l’économie. Tu ne prends pas de grands studios à un million de dollars la journée ? Combien coute la prod d’un album de War Honey ?
A tout casser, 15.000 dollars en tout, de l’entrée en studio au moment où j’ai le CD entre les mains. J’en fais presser quelques centaines d’exemplaires à chaque fois Mais avec la dématérialisation, tu peux surtout trouver tous les titres sur iTunes.
Pourquoi avoir choisi ce pseudo de Zak Alister ?
Mathieu Chabert ça fait un peu trop vieux critique de théatre un peu romantique. Le fameux colonel de Balzac. D’où Zak Alister, plus facile anglo-saxonnement, on va dire ! Et puis mon frère m’a toujours appelé Zak. Et Alistair c’est sorti tout seul un jour, les deux forment les deux extrémités de l’alphabet.
Donc si Zak Alistair peut le faire aux USA, d’autres également, non ?
Oui beaucoup de gens peuvent faire leur propre musique. Et pas seulement en Amérique. Moi, je découvre chaque jour de nouvelles musiques, de nouveaux groupes sur Facebook Twitter. Même sur iTunes. A une époque je pouvais rentrer dans un magasin de disques et savoir à peu près tout ce qu’il passait, Maintenant je ne sais plus mais grace à internet on peut toujours découvrir des trucs.
C’est la victoire de l’indépendance sur les majors dinosaures ?
On espère. Je ne saurais te dire si c’est une victoire. En tout cas, ça l’est, pour certains, sans doute. Tu as désormais à portée de main le moyen de divulguer ta musique, de faire toute ta petite cuisine tout seul. Y compris d’enregistrer si tu veux le faire à l’économie, chez toi. Avec un petit truc qui se branche directement dans ton ordi. Moi j’ai un super pote ingé son. On enregistre chez lui à Brooklyn. Il récupère même certaines pistes que j’ai pu maquetter chez moi. Et on les injecte direct dans l’ordi. Et ça marche très bien, c’est super. Bien sur, si je le pouvais je crois que j’aimerais mieux enregistrer sur un vieux 24 pistes à bandes, à l’ancienne. Mais là tu mixes sur l’ordinateur, c’est tout de même beaucoup plus facile. Cela prend moins de temps aussi. Tu as tout à portée de main.
Classique mais moderne, tout de même.
Mais je ne crache jamais sur les vieux trucs analogiques à tubes qui réchauffent l’atmosphère pour les voix et pour les guitares. »
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