KENDRICK LAMAR « Mr Morale & The Big Steppers

Kendrick LamarOn devait s’en douter, mais le très attendu 5ème album du surdoué Kendrick Lamar n’est pas seulement un OVNI sonic, c’est surtout une œuvre magistrale qui révolutionne son genre musical. On peut parier qu’après ce rap du troisième type il y aura un avant et un après « Mr Morale & the Big Steppers ». Plongée dans un vertigineux maelstrom de mots, de rimes, de poésies, de rythmes et d’émotions… un monument du hip-hop.

Kendrick LamarIl était le seul et unique « jeunot » du super show rap du Super Bowl, aux côtés des vétérans Dre, 50 Cent, Eminem et Mary J Blige ( Voir sur Gonzomusic  https://gonzomusic.fr/le-sacre-du-rap-a-la.html ) , c’est dire s’il faut prendre au sérieux Kendrick Lamar. Depuis la BO de « Black Panther » en 2018  ( Voir sur Gonzomusic   https://gonzomusic.fr/black-panther-the-album-music-from-and-inspired-by.html ) et surtout « Damn » paru en 2017 ( Voir sur Gonzomusic  https://gonzomusic.fr/kendrick-lamar-damn.html )… soit 5  trop longues années à attendre un nouvel album de notre nouvel héros de Compton. Auparavant, on avait déjà été bluffé par son incroyable 3éme album « To Pimp A Butterfly » ( Voir sur Gonzomusic  https://gonzomusic.fr/kendrick-lamar-to-pimp-a-butterfly.html ). C’est dire si la publication de cet aveuglant « Mr Morale & the Big Steppers » est un évènement majeur. Ce double album est composé de 18 chansons réparties en deux sélections de neuf titres. Et dès le premier survol, on est juste bluffé par l’imagination, l’inventivité, la créativités à la fois des compositions et des textes d’une fulgurante et d’une clairvoyance poétique ; bref  on a juste le vertige face à la montagne de talent de ce rapper de 34 ans. Et c’est avec un débit digne d’un M16 que « United in Grief » ouvre le double-CD. Les mots se heurtent et s’entrechoquent, projetant des images dans nos têtes comme un diaporama fou en accéléré. À la grande époque de BEST j’utilisais souvent l’expression : « c’est comme les deux doigts enfoncés dans la prise de courant », tel est ici le sentiment. En 4 minutes et 16 secondes, Lamar nous fait passer de l’extase à la douleur, de la joie la plus intense à la tristesse la plus abyssale. « Big Bang pour la théorie, Dieu, j’espère que tu m’entends/ Le téléphone éteint, dis au monde entier, « Je suis occupé » ».

Kendrick LamarPuis un peu plus loin dans le refrain « Je fais mon deuil différemment/ (Tout le monde fait son deuil différemment) /J’ai un chagrin différent (Huh) ». Puis « N95 » (en Français FSP2 ) sous son titre de masque anti-COVID est une vague submersive de mots : « Je peux dire toute ma vérité ?/ Je n’ai rien à perdre/ J’ai des problèmes et des piscines/ Je peux nager dans ma foi/ La caméra bouge quand je bouge/ La famille suit tout ce que je fais (…) Dis-moi ce que tu ferais pour l’esthétique (let’s go)/ Est-ce que tu vendrais ton âme à crédit ? (let’s go)/ Vendriez-vous votre frère pour un effet de levier ? (let’s go) »… tout le pouvoir des mots dont sait faire preuve Kendrick Lamar. Porté par ses trois samples obscurs avec « Worldwide Steppers » KL endosse le rôle du prédicateur porté par un gospel futuriste, avant de se transmuter en soul aussi neuve que novatrice qui laisse l’auditeur sans voix. Aussi émotionnel que dépouillé « Die Hard », rythmé par la voix acidulée de Kadjah Bonet, n’est qu’un parmi les dix hits potentiels que compte cet album-phénomène. Superbe love-song, elle est à KL ce que « You’re the Sunshine Of My Life » est à Stevie Wonder. Puis, on se laisse porter par le groove incisif de « Father Time » néo-classique avec son thème et son piano mais tellement percutant : « Quelle est la différence quand ton cœur est fait de pierre/ Et que ton esprit est fait d’or/Et que ta langue est faite d’épée, mais qu’elle peut affaiblir ton âme ?/ Mes nègres n’ont pas de papa, ils grandissent en surcompensant./ Ils apprennent des conneries sur le fait d’être un homme et se déguisent en gangstas. /J’aime mon père pour m’avoir dit d’enlever les gants./Parce que tout ce qu’il ne voulait pas était tout ce que j’étais. »… Décidément Lamar à l’art de créer des climats qui nous attirent aussi inexorablement que l’attraction terrestre. Violence des mots, dispute homme/femme « We Cry Together », porté par son sample du « June » de Florence and the Machine, est un dialogue d’une intense violence entre KL et l’actrice Taylour Paige , rythmé de « fuck you », c’est comme une pièce de théâtre, un tourbillon de sentiments humains mis en abime par notre deus ex machina surdoué du hip-hop.

Kendrick LamarPuis c’est sur le beat syncopé de « Purple Hearts » que s’achève le premier album. Le suivant est bien entendu du niveau stratosphérique de son prédécesseur ; dès le crépusculaire « Count Me Out » et ses chœurs angéliques, on est juste bluffé par l’aisance avec laquelle Kendrick Lamar se joue des rythmes et des sentiments, se laissant faussement entrainer par la musique des mots pour mieux faire passer sa philosophie : « Chaque fois que je ne pouvais pas trouver Dieu, je pouvais toujours me trouver à travers une chanson./ Beaucoup trouvent leur vie dans un téléphone. ». Simplement piano/voix « Crown » pourrait tout aussi bien figurer sur un album de David Gilmour preuve que ce hip-hop universel peut tout aussi bien embrasser le rock que le jazz. Avec Kodak Black, il joue la carte rétro 50’s dans l’intro de « Silent Hill », avant de nous subjuguer d‘un dialogue aussi hallucinant que poétique sur fond de beat hypnotique aquatique entre deux eaux. Dans « Auntie Diaries » Lamar rend hommage à la fois à son oncle et à son cousin transgenres, et l’on se dit que c’est si rare d’évoquer ouvertement le mouvement  LGBTQ+ dans ce milieu trop souvent homophobe que cela mérite d’être souligné. De surcroit, ce titre, avec son émotion en crescendo, est aussi cool que ses idées sont belles. Avec la chanson-titre « Mr Morale » on plonge dans l’étrange et l’expérimental, comme si l’on visitait une Afrique aussi tribale que futuriste, qui nous tétanise de ses mots décochés comme autant de micro-flèches qui nous percutent et nous électrisent. Dans le quasi monologue « Mother I Sober » on retrouve une vieille connaissance : Beth Gibbons, la chanteuse de Portishead enrôlée dans cette belle aventure pour partager le micro avec Kendrick Lamar et vocaliser sur la compositions la plus longue et sans doute la plus climatique de cet ambitieux projet. Enfin, « Mr Morale & the Big Steppers » s’achève forcément en beauté sur les emblématiques percus syncopées qui nous avaient tant séduit sur la BO de « Black Panther » et les violons qui taillent un parfait sillage funky du futur à ce titre crucial. Ces dix huit compositions vibrantes sont une invitation, la preuve que tout corps plongé dans Lamar en ressort forcément imprégné d’un supplément d’âme. Preuve que décidément, sa mère n’a pas donné par hasard à Kendrick le nom d’un des plus grands chanteurs des Temptations, elle lui a aussi transmis cette étincelle précieuse qui fait tout l’or noir du groove.

 

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