KAKIKOUKA

Ubik à Elixir par Gino Macarinelli

Ubik à Elixir par Gino Macarinelli

Intitulé KAKIKOUKA, comme le titre de son étrange premier hit, Philippe Maujard, alias Ubik, publie le roman de sa vie car, à l’instar du personnage de Philip K. Dick qui lui a inspiré son alias, le chanteur est une foule de personnages à la fois. Ubik, l’homme, mais aussi le groupe, sans oublier Maujard et les télépathes mais aussi DJ Le Clown, héros du mashup et le fondateur du label indé Wild Wild Rennes: ils sont (presque) tous couchés entre les pages de cet ouvrage qui déborde d’anecdotes et de photos.

Maujard« Ubik j’aimais la signification de ce nom : la faculté de se trouver partout en même temps », a toujours proclamé Philippe Maujard pour expliquer son pseudonyme.

Au tournant des années 80, Rennes était sacrée « Capitale du rock Français » par le magazine Best tandis qu’Actuel affichait les MDS en couverture avec…leurs mères et la désormais fameuse légende « les jeunes gens modernes aiment leurs mamans ». Premiers balbutiements de Daho sur scène, choc de groupes comme Les Nus, Kalashnikov ou les Espions (futurs Niagara), envol des Transmusicales, Ubik contribue à cette incroyable épopée rock se distinguant déjà par son univers technicoloré dans la grisaille ambiante de la New Wave. Pour son tout premier concert à la MJC de la Paillette, en première partie des Nus de Christian Dargelos (Voir sur Gonzomusic https://gonzomusic.fr/les-nus.html et également   https://gonzomusic.fr/les-nus-enfer-et-paradis.html  ),  Philippe/ Ubik est seul sur scène à la basse, accompagné d’une simple boite à rythmes. Une de ses copines vendait des maillots de bains féminins et c’est uniquement vêtu d’un bikini qu’il s’inscrit dans la légende de la scène rennaise, le début d’une grande aventure artistique qui se poursuit encore près de quatre décennies plus tard. Et peu importe qu’Ubik ou Maujard et les télépathes n’aient jamais explosés dans le Top 50, cela ne retire en rien son rôle bien à part dans l’histoire du rock hexagonal. Cette histoire, toutes ces histoires, son histoire se retrouvent couchées entre les pages de KAKIKOUKA. Rencontre avec l’auteur.

kakikouka cover

 

« Attends…je vais chercher le Bottin », lui dis-je ! « 573 pages, pour un peu plus de 1kg 200…jolie bête tout de même ! ». A l’autre bout du fil Maujard se marre. J’enchaine mes questions :

« Quelle est l’étymologie de « Kakikouka » ?

En fait cela ne veut absolument rien dire, un jour que j’allais répéter à la Pailette , je me suis mis à crier « Kakikouka »  dans la rue tout seul et je me suis dit ; ce n’est pas mal, je pourrais peut-être l’utiliser dans une chanson ? Ensuite j’ai découvert que « Kakikouka » en japonais cela voulait dire « j’aime le kaki », le fruit.

Est-ce que cela t’a aussi été inspiré par le « tournicoti tournicontons » de Zébulon du « Manège Enchanté » ?

C’est le même genre, en fait. Si tu veux, je crois que je m’étais posé la question de faire une chanson débile qui ne veut peut-être rien dire. C’était une sorte de cri de guerre, même si je suis plutôt pacifique comme garçon. Voilà, un truc qui défoule, qui fait du bien.

Une arme massive de guerre culturelle ?

N’allons tout de même pas jusque-là !

Et ultime coïncidence, c’est devenu ton plus grand succès ?

Pour l’instant c’est vrai, ce titre a vraiment marqué les gens. C’est drôle, j’ai rencontré des gens aux Trans (musicales)) qui m’ont parlé de « Kakikouka » justement ; j’étais mort de rire quand un pote d’une radio feuj qui me disait qu’il était à l’antenne tous les soirs à 3 heures du matin avec le Grand rabbin de New York et qu’il passait « Kakikouka » ! Le rabbin lui a un jour demandé : c’est quoi ce truc que vous mettez avant nous ? Cela m’a fait mourir de rire.

Et du coup, sans doute pour faire plaisir au rabbin tu as décidé de « baptiser »- si je puis dire après un rabbin- ton autobiographie de ce titre.

Avec Moondog en 88 par Loic Losnennlen

Avec Moondog en 88 par Loic Losnennlen

Au départ, ce n’était pas du tout mon intention. Le titre original devait être « Les rescapés de sainte Cécile », car tous les gens qui font des biographies sont des gens soit ultra-connus, célèbres, des artistes, des politiques, etc… Mais quid des gens qui n’ont pas eu un succès si phénoménal que ça, ce qui est mon cas ? Et je trouvais intéressant d’analyser cela, car j’ai quand même vécu des choses très positives dans ma vie ; j’ai rencontré plein de gens super, toi par exemple…

Enfin pas que…heureusement !

Bien sur, David Lord  (producteur de Peter Gabriel et de XTC),  des tonnes de musiciens, car j’étais aussi entouré d’artistes qui eux avaient beaucoup de succès… Niagara, Étienne Daho…même Marquis de Sade ont eu un succès bien supérieur à celui d’Ubik . Et puis j’en ai rencontré plein d’autres, les Rita Mitsouko, Rachid Taha, tous les gens que j’ai eu l’occasion de croiser dans ma vie.

Et donc du coup tu as eu envie de faire une galerie de portraits de toutes ces rencontres ?

Pas qu’une galerie de portraits, si tu veux je commence le bouquin en 1963, à la mort d’Édith Piaf et de ma grand-mère et j’avais envie de bâtir le décor. Car on ne commence pas à faire de la musique comme ça du jour au lendemain, dans les années 80…boum boum on fait « Kakikouka » et voilà ! Ça vient d’avant, ça vient de ta vie d’avant, de comment c’était quand tu étais môme, pourquoi tu as commencé à t’intéresser à la musique ? j’explique un peu tout ça. Et le contexte social et politique, car je ne voulais pas faire un bouquin exclusivement sur la musique et sur les années 80. Évidemment , ça parle énormément de musique puisque je suis musicien. Par contre, ça s’arrête en 91, je précise. Après j’en avais vraiment marre ! C’était trop douloureux ! (rire) J’ai passé des nuits blanches et des nuits blanches.

Maujard "Chapiteau"

Du coup, tu ne parles pas de DJ le Clown, le fameux mashupper ?

 Non, il n’y a pas DJ le Clown, il n’ y a pas tout l’épisode en Angleterre non plus. Pas l’album chez Warner « Sous les chapiteaux du ciel », ni les albums plus récents que j’ai produits. Déjà comme tu le disais c’est un Bottin ! En fait, la morale du livre c’est que l’histoire se répète souvent. Et les mésaventures aussi. Donc j’ai considéré que j’en avais dit assez, sans pour autant m’attaquer à quiconque, ce n’est pas un bouquin pour régler des comptes.

Oui, au contraire, tu évoques ceux qui t’ont marqué et que tu as aimés.

Que j’ai aimé même s’ils m’ont parfois déçu. En fait, ce n’est pas LA vérité, c’est MA vérité, les choses comme moi je les ai senties.

On dirait un peu Valérie Trierweiler là (rire)

C’est un peu ça ! c’est forcément mon point de vue, mais je ne voulais pas me gausser là-dessus. Je ne voulais pas faire le mec intelligent qui réfléchit sur ce qu’il a fait, etc…je voulais juste assumer les conneries qu’on a pu faire, car on en a fait plein, mais je ne suis pas du tout un héros dans cette histoire.

Un témoin ?

Ubik en 82  par Philippe Beaunis

Ubik en 82 par Philippe Beaunis

Voilà. Un témoin. Je raconte qu’avec la première formation d’Ubik, avec un clavier, cela sonnait d’enfer, à la veille d’un départ en tournée pour l’Autriche, le guitariste et le clavier nous appellent pour nous dire :  ah ben non, en fait, ils ne partiront pas avec nous, parce que Etienne Daho leur a proposé de faire des maquettes. Moi je n’ai rien contre Étienne, mais simplement on est parti en Autriche et en Suisse, on a assuré sur scène en première partie de Kid Creole avec 3000 personnes à Montreux, ce n’était pas spécialement drôle. Et quand on est revenus, on s’est aperçu que nos musiciens n’avaient même pas enregistré ces fameuses maquettes. Ce sont des choses comme ça. J’ai souvent vécu ce genre de mésaventures.

Sans parler de tes histoires de labels qui mettent la clef sous la porte juste avant la sortie du disque !

Oui, je me devais d’en parler.

Mais il y a aussi eu des trucs positifs, tu parles de Philippe Constantin tout de même ! Ce personnage solaire était un peu ta bonne fée penchée au-dessus du berceau d’Ubik !

Exactement, j’avais absolument envie de parler de ce personnage assez magique que j’aimais énormément. Même si on a fait les cons avec lui, sans le savoir, mais je voulais aussi l’évoquer. Le business, on ne connaissait pas nous. On débarquait. On a fait une gaffe terrible, je le raconte dans le bouquin, qui nous a éloignés de Philippe, notre éditeur chez Clouseau, alors qu’il était notre meilleur allié. J’avais envie de parler aussi de mes ratages. J’ai eu la chance de vivre la fin d’une époque et le début d’une autre. La fin d’une époque, car déjà les maisons de disques investissaient encore un peu d’argent sur des artistes inconnus…

On ne disait pas «  inconnu »,  mais « en développement », maintenant c’est terminé tout ça. Désormais ils les élèvent en batteries, avec les émissions de télé-réalités et autres télé-crochets de merde ! Ils ont oublié que pour faire U2, il aura fallu 5 albums, Depeche Mode au moins 4 et Bruce Springsteen 3 avant que cela ne commence à cartonner ! Aujourd’hui si le Boss frappait à un label, je ne suis même pas sûr qu’on lui signerait un contrat d’artiste !

par  JM Teillet

par JM Teillet

J’ai assisté au début du rachat des maisons de disques entre elles, Virgin, qui rachète Clouseau éditions, Polygram qui rachète Barclay, ils se rachètent tous entre eux à tel point qu’on se demande dans quelles maisons de disques mes disques se sont-ils retrouvés ? Je crois que l’album d’Ubik « Surf » est chez BMG …qui a été racheté par Sony Music. Je voulais parler de tout ça, de toute cette époque aussi, de Jack Lang et bien sûr aussi des Transmusicales. Moi j’ai participé aux dix premières Transmusicales et il y a un sacré paquet d’artistes qui en sont sortis. Ce n’est pas un livre sur les Trans, mais je les ai vraiment vécues de l’intérieur, c’était fantastique. On découvrait plein de groupes dans une ambiance incroyable. Rappelle-toi les backstages lorsque les techniciens n’arrivaient même pas à monter le matos sur scéne tellement il y avait de gens à papoter.

Sous la salle de la cité, l’espèce de bunker était toujours blindé, pire que le métro aux heures de pointe

Et il y avait une ambiance formidable. On était complètement dingues, je voulais raconter cela aussi.

Cela finit bien « Kakikouka »..ou pas ?

Cela finit , l’histoire se répète. Cela s’achève sur « Mysteries Of the Solid Ground » qui n’est pas un a album d’Ubik, mais de Maujard et les télépathes chez Off the Track records. Cela aurait pu beaucoup mieux se finir tout de même. Il y a eu encore des problèmes avec les musiciens. Coup du hasard, Daho était encore un peu mêlé à l’histoire !

Pour toi, en fait c’est la malédiction Daho c’est ton Toutankhamon à toi, en fait !

Étienne et moi, c’est vrai que souvent nos vies se sont croisées dans des circonstances plutôt gênantes. Surtout pour moi. Mais je n’en veux pas du tout à Étienne, c’est ce que j’explique, si j’avais de la rancœur contre des gens se serait plutôt mes musiciens. Il y a aussi le fait que la maison de disques a fait faillite, alors qu’on avait un album d’enfer.

En fait tu es plusieurs personnages à la fois ?

C’est peut-être pour cela que je me suis appelé Ubik et le groupe aussi c’est vrai, tout à fait.

 

Trans 81 par Pierre Iglesias

Trans 81 par Pierre Iglesias

De tous ces différents Maujards, pour lequel as-tu le plus de tendresse ?

 

Au niveau humain, c’est le père de famille.

Et au niveau artistique ?

J’aime à peu près tout. Quand je réécoute mes albums même « Surf ». Je fais de la vidéo, je fais de la musique, j’écris, je fais du web, je fais plein de choses, tout cela m’intéresse sinon je ne le ferais pas. Alors, de tous ces personnages, même Ubik…j’ai toujours été attiré par le visuel…

Moi j’allais justement te parler de mon copain le Rétiaire…Mais oui, car je suis toujours autant émerveillé par lui.

La Paillette 80 par Philippe Beaunis

La Paillette 80 par Philippe Beaunis

Je pense qu’on peut exprimer des choses autant par le visuel que par la musique, mais je ne suis pas un précurseur en cela. Bowie l’avait compris bien avant, des gens comme Klaus Nomi… Kraftwerk…

Plein d’artistes l’ont utilisé comme Peter Gabriel avec son masque de renard de « Foxtrot » …néanmoins, Gladiateur…avant le film de Ridley Scott, le Rétiaire, personne d’autre que toi n’a osé. Tu es le seul musicien au monde que j’ai jamais vu vêtu de la sorte  avec ce clin d’œil aux jeux du cirque et tout ce que cela peut véhiculer au niveau symbolique !

Cela m‘est venu par les comics, le super héros Marvel et autres. Mon premier concert souviens-toi j’étais en bikini !

Oui, j’allais t’en parler, à l’ère du #metoo être un rocker qui monte sur scène en bikini de gonzesses deux pièces quel symbole d’égalité !

Le message qui est très actuel c’est que nous les hommes on peut aussi exprimer toute notre personnalité qui n’est pas uniquement faite de gros muscles. En fait c’est très agréable d’être sur une scène en slip. Dans les jeux de lumière, tu te sens vraiment dans un incroyable état réceptif.« 

 

KAKIKOUKA

Par Philippe Maujard

Éditions Goater

Kakikouka par JM Teillet

 

  

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