JUDITH OWEN COVER GIRL
Avec plus d’une douzaine d’albums à son actif, toujours enregistrés avec la fine fleur des musiciens US, et sa voix empreinte d’une irrésistible blackitude émotionnelle, Judith Owen est à des années-lumières de la rousse de secours. Durablement installée dans notre paysage musicale, la chanteuse galloise publie demain ce « RedisCOVERed », une incroyable sélection d’adaptations méconnaissables de 12 chansons qui appartiennent à l’histoire du rock. Du légendaire « Smoke On the Water » de Deep Purple à « Hotline Bling » de Drake en passant par les Mamas and Papas et Joni Mitchell, tous ces hits sont destructurés, réinventés, retaillés sur mesures façon Judith Owen. Rencontre avec une auteure- compositrice qui ne cesse jamais de prendre de la…hauteur 😉
Ce n’est certes pas la première fois que Judith Owen se taille la part de la lionne dans les colonnes de votre Gonzomusic. Ses deux remarquables derniers albums « Ebb & Flow » et « Somebody’s Child » ont su très largement nous séduire ( voir sur Gonzomusic https://gonzomusic.fr/judith-owen-ebb-flow.html ainsi que https://gonzomusic.fr/judith-owen-somebodys-child.html ), mais cette fois son « RedisCOVERed » – on notera le jeu de mots avec le Red à la fin du titre, en lien direct avec la chevelure de la chanteuse galloise- est un projet véritablement à part, où Judith Owen redessine avec art, à la fois des classiques du rock et des hits contemporains, que certains qualifient de « musique de djeuns », comme « Can’t Stop the Feeling » de Justin Timberlake ou « Hotline Bling » de Drake. De passage à Paris pour nous faire partager son nouvel album, Miss Owen a accepté de répondre aux questions de Gonzomusic.fr.
« Un peu teenager comme sélection, non ?
Seules trois chansons sont effectivement teenager, Drake, Ed Sheeran et Justin Timberlake. En fait, les compositions des autres que j’aime naturellement depuis toujours, celles que j’aime reprendre à ma façon depuis que je suis gamine, car j’écris mes propres chansons en général, je dois retrouver ma vie, ma vérité dans ces titres-là. Donc, je les retourne complètement pour les réimaginer, les arranger. J’ai dit à mon mari chacune des chansons de cet album vient du passé, mais j’ai aussi besoin de chansons d’aujourd’hui.
Voilà donc pourquoi tu as choisi ces chansons de djeuns !
Ce ne sont pas QUE des chansons de djeuns, car absolument tout le monde adore ces chansons. Moi je n’ai pas d’enfants, mais les enfants de mes amis les adorent, tout comme leurs parents. Des chansons telles que « Shape of You » , « Can’t Stop the Feeling » tu les entends absolument partout. La reprise du « Hotline Bling » de Drake était une idée de mon mari qui est à la fois très drôle et très futé. Je lui ai dit : j’aimerais faire des chansons qui soient complètement à l’opposé de ce que je fais d’habitude. C’est pour cette raison que j’ai voulu reprendre ces trois-là. Elles sont très éloignées d’une femme telle que moi, qui écrit des chansons que l’on pourrait qualifier d’ « adultes » et élégantes.
Mais Drake est aussi élégant
Oui absolument j’en conviens. Mais c’est avant tout de la pop music simple et directe, mais c’est aussi merveilleux. Toute l’idée, en fait, était de savoir si je pouvais retrouver ma propre vie dans ces chansons.
En parlant de ta vie dans ces chansons, d’un point de vue texte, tu as conservé l’intégralité des textes …à l’exception d’un seul. Et le seul dont tu aies modifié le texte c’est « Play That Funky Music ( White Boy) » de Wild Cherry que tu transformes en « Play That Funky Music ( White Girl) ». Pourquoi avoir eu besoin de féminiser celle-ci en particulier ?
Je n’allais pas chanter « Play that funky music white boy »… en parlant de moi, ça aurait été stupide. Tu imagines ?
Et « Hotline Bling » où Drake raconte en fait sa relation avec une hôtesse sexy au téléphone, qui fait chauffer sa carte bleue, je ne connais pas de femmes qui appellent de sexy boys au téléphone…
Tu ne comprends pas ; mon « Hotline Bling » n’est pas la version de Drake. Ce n’est pas l’histoire d’un homme qui téléphone à une femme pour le sexe. Ma version reflète mon expérience, à force d’attendre que le téléphone sonne enfin de la part de quelqu’un qui ne m’aime pas, mais dont moi je suis follement amoureuse. Et j’attends, j’attends, j’attends que cette personne daigne enfin me téléphoner.
Ah, oui c’est une toute autre perspective.
Oui. Et c’est cet aspect qui t’avait échappé. Chacune de ces chansons a également une toute autre perspective par rapport à son original.
Donc, ton adaptation ne se situe pas seulement au niveau de l’arrangement, mais également au niveau du sens donné au texte.
Exactement. Le sens donné à la chanson est totalement différent. « Play That Funky Music White Girl », par exemple. Je vis entre la Nouvelle-Orléans et à Londres et j’ai grandi biberonnée à la musique noire. Avec la musique classique. Et la première fois qu’une de mes copines, magnifique, une super chanteuse black m’a dit : « Judith, c’est pas possible que tu sois complètement blanche avec une voix telle que la tienne. » Et pour moi, c’était le plus beau compliment que l’on pouvait me faire. Car c’est la musique que j’aime. Cela m’a fait rire et c’est pourquoi je chante « Play That Funky Music White Girl ». Et la fille qui chante les chœurs de la chanson est justement celle qui m’avait fait cette remarque.
Wild Cherry était un groupe de blancs.
Bien entendu, c’était que des petits culs-blancs pâles originaires d’Écosse ! Mais ils adoraient la musique black et ils sonnent comme s’ils l’étaient.
Comme leurs compatriotes l’Average White Band…
Tout à fait…mais pour moi c’est encore plus drôle à cause de ce que cette femme avait dit de moi ! Et la reprise de « Summer Nights » la chanson de « Grease » est aussi appréhendée d’une perspective totalement différente. Je l’ai passée à la troisième personne du singulier et c’est une femme qui raconte à une amie comment son mari ou son mec rentre à la maison, cela m’est arrivé à moi aussi, et me dit « j’ai eu une aventure avec une femme. C’était stupide, mais c’est arrivé, mais cela ne signifie rien à mes yeux. » C’est juste un coup d’un soir d’été. Donc elle le raconte à sa copine qu’elle ne voulait pas en entendre parler et qu’elle dit non non non, alors que c’est tout le contraire et qu’elle veut tout savoir. Donc « tell me more… tell me more… tell me more… »
Je dois t’avouer que je déteste cette chanson que je trouve niaise.
Ah, mais moi aussi je la déteste…
Mais ta version est si rafraichissante que je l’ai aimée. Au fait, pourquoi avoir décidé de compiler en un album ces adaptations que tu aimes au lieu de faire un nouvel album ?
Sur chacun de mes disques, on trouve généralement une reprise. Comme sur scène, lorsque j’aime surprendre le public. Avec quelque chose qu’ils connaissent bien, mais qu’ils n’avaient jamais envisagé avec une toute autre perspective. En fait, je n’ai pas arrêté de tourner depuis quatre ans, c’est une sacrée longue période. Et je n’ai pas cessé de recevoir des mails expédiés par des fans qui disaient « quand vas-tu enfin publier une collection de tes reprises ? ». Ils sont exhaussés, car la plupart des chansons de cet album je les ai chantées sur scène toute ma vie. Sauf les trois titres ados dont on parlait au début. J’ai ce producteur à Hollywood Nick Wexler qui est un de mes plus fidèles fans, qui me demandait chaque année : « quand vas-tu publier ta collection de covers ? ». C’est un type super, je le remercie d’ailleurs dans les crédits de l’album. Je croyais que cela serait facile, qu’en deux semaines tout serait emballé, mais en fait, pas du tout, j’ai passé un temps fou sur les arrangements, pour que cela soit différent, pour que cela me ressemble, que cela soit moi. Car, lorsque je les interprète sur scène, j’ai toujours besoin auparavant de raconter mon histoire, ma relation avec cette chanson, que je l’ai écrite ou juste adaptée. Or certaines covers en disent parfois plus long sur moi que mes propres chansons. Je suis toujours en quête de nouvelles aventures, je n’ai pas envie de faire inlassablement le même disque ni les mêmes choses. Oui j’ai mon propre son, mon identité, mais j’ai toujours ce besoin d’être inspiré par de nouvelles choses.
Seras-tu un jour comme Bob Dylan avec son « never ending tour » qui a l’impression que s’il s’arrête de réinventer ses propres chansons il est mort ?
Pas moi, une fois que j’ai trouvé un arrangement je m’y tiens. Je ne réécoute presque jamais mes disques, lorsque c’est fini, c’est fini. Peut-être je vais mieux la chanter qu’il y a quelques années grâce à l’expérience que m’apporte la vie.
Les musiciens qui t’accompagnent depuis toujours sont les mêmes sur cet album, comme Leland Sklar ?
Cela fait six ans que Leland et moi travaillons ensemble ; pour ces musiciens c’est assez naturel. On ouvrait pour Bryan Ferry et c’était le sound-check. On jammait joyeusement, en faisant des trucs pour le fun. Et j’ai commencé à gratter les premiers accords de ma version de « Aquarius » et à chanter « When the moon is… » et ils ont de suite enchainé.
En fait, ils t’aiment bien, car tu sais toujours comment parvenir à les surprendre !
Oui, ils apprécient cette musicalité entre nous.
Un autre élément essentiel de la musique de Judith Owen est le piano. Tu ne pourrais pas y arriver sans lui ?
Non, le piano pour moi, c’est mon vrai mari et je le dis dans ces termes à mon époux ! Et il ne le conteste pas. Je joue du piano depuis mes quatre ans. Et c’est une relation si intense. C’est mon meilleur ami, c’est comme une extension de moi-même. Quand je joue du piano, je me sens comblée. Car le son est le véhicule qui transporte ma voix.
En fait, j’en ai un grand nombre. J’ai trois pianos à queue. Deux Yamaha C7, un C2 et aussi de très nombreux claviers. Lorsque j’ai signé mon premier contrat aux USA avec Capitol, j’ai mis l’intégralité de mon avance pour acquérir ce Yamaha C7 ! Tous mes pianos sont à la maison, certains à Londres, d’autres à New Orléans. Pour moi, entre un piano et des fringues, je choisis d’abord le piano et pour une femme cela en dit assez long sur moi .
Parlons un peu des chansons, « Hotline Bling », par exemple, c’est comme si Drake rencontrait Carole King. Elle t’a influencée ?
Oui incontestablement. Pour moi cette version est atmosphérique et cinématographique.
« Shape Of you » de Ed Sheeran a un côté très gospel, comme si elle était interprétée à l’église.
Oui ce côté église évoque surtout Ray Charles. La plupart de ces chansons « Shape of You », « Can’t Stop the Feeling », en fait je n’utilise pas l’intégralité des paroles. Je les lis d’abord avec beaucoup d’attention et je ne conserve que les parties où je me reconnais vraiment. Et avec « Shape of You », je me demandais comment procéder ? Cela parle d’aller en boite, de danser, de faire l’amour…et je me dis que cela ne ressemble vraiment pas à ma vie. Je ne suis qu’une femme mariée qui vit inlassablement en tournée. Je ne vis que pour la musique et cela ne ressemble pas à ma vie. Alors je lis les textes et je les lis encore et encore et en bas tout en bas il y a un verset qui dit « Put on Van the Man »… passe un Van Morrison ! Donc en fait dans la chanson ils dansent sur du Van Morrison. Morrison comme moi comme nous tous a été très influencé par la musique noire américaine. On parle de Stax, de Motown, tout ce qui a pu l’influencer. Donc je me suis dit, on va faire de cette chanson un hymne noir américain comme s’il était chanté à l’église.
« Hot Stuff » avant de l’avoir écoutée, je croyais que c’était la chanson des Stones et quand je l’ai mise bien sur j’ai reconnu Donna Summer. Ta version sonne un peu comme « Fever ».
(rire) c’est un superbe compliment, je t’en remercie je suis une immense fan de Peggy Lee. Lorsque je pense à la chaleur et au sexe, en musique, alors je pense brésilien, Jobim, Brésil 66, pour moi c’est la musique le plus sexy au monde. Donc j’ai voulu que celle-ci soit vraiment sexy. La plupart de ces chansons ont l’attente pour thème, l’attente pour la personne que tu aimes. Là, c’est plutôt d’espérer, d’avoir le courage de prendre ton téléphone pour lui dire : « viens tout de suite me voir…je t’aime ! », mais on ne le fait jamais. En fait, je l’ai fait une fois dans ma vie et c’était un total désastre. Le mec m’avait répondu : « heu, je suis occupé ! ». En fait cela l’avait terrifié. Et c’était une situation compliquée, car il faisait partie de mon groupe, c’était mon batteur.
Deux reprises de Joni Mitchell, ce n’est pas un peu beaucoup ?
Non, comment pourrait-il y avoir trop de Joni Mitchell ? En fait, je ne parvenais pas à me décider entre ces deux chansons, car je venais de participer à un concert hommage pour elle à New Orléans. La raison pour laquelle j’ai absolument tenu à enregistrer les deux, c’est que j’ai découvert Joni Mitchell très tardivement, à la fin des 80’s ou même au début des 90’s. « Ladies Man » est importante à mes yeux, car elle parle de Larry Klein qui était son producteur et son mari, et qui était le premier bassiste de mon premier album. Avec lui j’ai rencontré Joni à plusieurs reprises et elle est vraiment mon idole.
Est-ce qu’elle va mieux ?
Beaucoup mieux. Elle se remet peu à peu. Elle a ouvert tant de portes pour les femmes comme moi. La poésie de Joni est si précieuse. « Cherokee Louise » c’est du pur cinéma, c’est sombre, intense, avec une trompette incroyable. Et cette chanson a encore plus d’importance aujourd’hui quand on évoque la violence faite aux femmes. Et cette chanson est encore plus puissante lorsqu’elle évoque cette petite femme indienne Cherokee qui est abusée par son beau-père au point qu’elle se cache sous terre pour ne pas avoir à rentrer chez elle.
La plus surprenante de la liste est « Smoke On the Water » qui me ramène à mes années d’adolescence. Bien sûr ta version est si différente de celle de Deep Purple, c’est un peu comme si Tom Waits la reprenait à son compte. Pas la voix, mais le piano, bien sûr…
Lorsque j’ai grandi, ma sœur adorait le rock et moi aussi. C’est ainsi que j’ai commencé à apprécier toute la joie qu’il pouvait y avoir dans Deep Purple avec un côté testostérone masculin très marqué. J’ai donc décidé de transformer cet hymne rock masculin en une chanson féminine. Cela m’apporte une satisfaction intense. Avec son côté bossa, j’ai réussi à en faire une chanson de femme.
La version la plus fidèle est sans doute la chanson de Mama Cass Elliot, où tu a choisi de rester fidèle à l’originale. Pourquoi ?
C’est une chanson des années 30, beaucoup de gens l’ont chantée comme Ella Fitzgerald. Mais la version la lus connue est celle de Mama Cass Elliot. J’en avais fait une version que j’ai chantée à un anniversaire. Et j’ai été très loyale, fidèle à cette version. Cette chanson est un peu la sœur jumelle de « Hotline Bling ». Mon interprétation de cette chanson c’est un peu « on est ensemble pour une seule nuit. », lorsqu’à l’origine c’est plutôt « je t’aime tant que je ne peux pas attendre jusqu’à demain. » Ma version c’est : je ne te reverrai jamais ! C’est réaliser qu’il n’y a pas de futur, c’est juste un coup d’un soir.
Tu vas jouer toutes ces chansons sur scène, je présume. Mais tu vas faire des concerts où tu ne vas jouer que des reprises ou bien tu vas mêler des compositions de Judith Owen ?
Oui absolument on va mélanger. Ce que nous ferons, car nous démarrons la tournée à New York fin mai et il y aura d’abord des chansons de mes derniers albums et ensuite seulement nous jouerons l’intégrale de « Rediscovered » pour vous amener comme dans un voyage qui retrace ma vie.
Une ou deux questions stupides pour la route : comment va ton cousin Clive Owen ?
(rire) je n’en sais absolument rien. Il existe beaucoup d’Owens. Si tu portes le nom d’Owen, tu viens forcément du pays de Galles, c’est certain. Mais nous sommes nombreux à porter ce nom.
Et ton autre cousin Owen Wilson ?
(rire encore plus sonore) il y a encore moins de chances que nous soyons cousins. Si c’est juste un prénom, le gars n’est même pas gallois. Je crois que c’est un chic type, mais je ne l’ai jamais rencontré. Mais un jour peut-être nous réunirons tous les Owens, qui sait ? »