JONA LEWIE PEACE AND LOVE
Voici 42 ans dans BEST GBD rencontrait un des allumés de l’écurie Stiff record – il avait notablement participé au tout premier Stiff Tour de 77 avec Ian Dury- en la personne du lunatique Jona Lewie. Son premier single, le décalé « You’ll Always Find Me In the Kitchen At Parties », nous avait déjà alpagué, cette fois dans l’écho menaçant de la guerre des Falklands, le natif de Southampton se drapait dans l’étendard du pacifisme avec l’irrésistible rengaine « Stop the Cavalry », sans jamais se départir de son côté space et enfantin, un peu à la manière d’un Jonathan Richman Britannique qui aurait pris les armes… contre les armes. Flashback …
Publié dans le numéro 168 de BEST sous le titre :
STOP !
« Eh bien ! Avez-vous vu le chat ? ». Jona Lewie a la mémoire longue, il n’a pas oublié ses leçons de français lorsqu’il usait ses culottes d’uniforme sur les bancs d’une London school. Jona est un rien cuckoo et individualiste convaincu. Son premier hit, il l’a décroché à trente ans pour une histoire de cuisine. Dans un style très « Vercoquin et le plancton » de Vian, « Kitchen At Parties » nous entrainait droit au buffet dans les soirées. C’était drôle, pop of tout plein de naïveté. Jona avait commencé sa route à la fin des sixties avec Brett Marvin and The Thunderbolts. Signé chez Sonet Records, un label suédois, le groupe ne fit hélas jamais d’étincelles.
Trois ans plus tard, Jona traine en solitaire dans les clubs de Londres. Son piano et lui se baladent du 100 Club au Marquee, où ils finissent un soir par tomber sur les oreilles de Dave Robinson, qui passait dans le coin. Robinson, occupé a lancer Graham Parker and the Rumour ( Voir sur Gonzomusic QUAND GBD APPRENAIT GRAHAM PAR CŒUR ) se laisse pourtant séduire par le batailIon de personnages iconoclastes qui sommeillent en Jona. Un an après avoir fonds Stiff, Robinson se souvient par hasard du cinglé du Marquee et l’enrole direct dans son équipe. C’est ainsi que Jona participe au Stiff Tour ( Voir sur Gonzomusic EMBEDDED IN THE SON OF STIFF TOUR 80 ) avec un groupe monté en catastrophe : trois jours de répétitions, pour une tournée, c’est un peu léger. Heureusement, sur le terrain du vinyle, Jona ne craint personne. Le jeu du re-re lui donne le superpouvoir d’ubiquité et il en use, le bougre. Claviers, pianos et synthés sont des animaux dociles qui obéissent à la voix de leur maitre. Avec son hit décalé « Stop the Cavalry », Jona décroche la queue du Mickey et le flot de 45 tours pour une parodie hyperréaliste de la charge de la brigade légère.
Derrière les images simples de Lewie se planquent les symboles puissants. « Stop the Cavalry », c’est l’histoire d’un soldat du front qui crève la dalle. Lorsque son supérieur passe pour sa tournée d’inspection, il lui pose les questions rituelles : « Alors soldat, ça va bien ! », Le soldat en question n’a qu’une envie, qu’il aille se faire foutre, que quelqu’un arrête enfin la boucherie. Jona n’a rien d’un Dylan et, pourtant, « Stop the Cavalry » et son antimilitarisme un peu grinçant prennent aujourd’hui une toute autre puissance. No 1 dans les charts British voilà un an, la chanson a aujourd’hui complètement disparu des playlists des radios anglaises. En effet, 84% des Anglais soutiennent Maggie dans l’affaire des Falkland ; doucement, le pays se laisse glisser vers un nationalisme hypertrophié. Lorsque les images de guerre se confondent avec la bouille ronde de Poivre d’Arvor, c’est tout de même rassurant de savoir qu’il existe encore des Jona Lewie. « À la charge ! », hurle Jona dans mon micro. « Ce serait si bien si quelqu’un pouvait dire « Stop » a la place. Crois-moi, ça n’est pas drôle de charger jusqu’à la mort à I’aveuglette ».
Jona Lewie a un côté juvénile qui me rappelle assez celui de Jonathan Richman, un autre naïf dont les pieds ne savent pas toucher terre. Dans son dernier LP, « Heart Skips Beat », les compositions de Jona ont les couleurs du pastel. Un instrumental, « Re-arranging the Deckchairs on the Titanic », laisse un déjà entendu de B.O. pour film-catastrophe. Et toujours cette question qui cogne dans la tête comme les déflagrations des obus de la Task Force : « Can You Stop The Cavalry ? ».
Publié dans le numéro 168 de BEST daté de juillet 1982