EMBEDDED IN THE SON OF STIFF TOUR 80
Voici 40 ans pour sa seconde mission pour BEST, GBD était embedded (embarqué) parmi les 21 musicos forcément dissipés du Son of Stiff Tour qui faisait alors escale au Palace de Fabrice Emaert. Equators, Any Trouble, Dirty Looks, Tenpole Tudor et Joe King Carrasco & the Crowns étaient à l’affiche pour une incroyable et rebelle surprise partie rock and roll et le début d’une longue amitié. Flashback…
Dave Robinson et Jake Riviera, les deux hémisphères du cerveau Stiff s’étaient bien entendu inspirés des Motown Revue Tours, inventés par Berry Gordy pour promouvoir à travers la planète son rodster d’artistes, pour créer leurs propres Stiff Tours. Le tout premier avait eu lieu trois ans plus tot et avait révélé au monde abasourdi la puissance d’Elvis Costello, de Ian Dury and the Blockheads, de Wreckless Eric et de Nick Lowe. Il sera suivi en 78 par un Be Stiff Tour qui comprenait à nouveau Wreckless Eric, Lene Lovitch, Jona Lewie et Rachel Sweet. Enfin deux ans plus tard, le label british indé lance son ultime tournée groupée baptisé Son of Stiff Tour. Hélas après le départ de Riviera quo signe Costello sur son nouveau label Radar records, et malgré quelques succés notables dont celui de Joe King Carrasco, Stiff va péricliter avant d’être en partie racheté par Island… avant d’être finalement revendu au ZTT de Trevor Horn… mais c’est déjà une autre histoire du rock ! Entre-temps Joe King est devenu mon ami que j’ai souvent retrouvé aussi bien chez lui à Austin au Texas qu’au Mexique ( Voir sur Gonzomusic https://gonzomusic.fr/joe-king-carrasco-is-live-in-paris.html ) et 40 plus tard, notre amitié reste toujours aussi vivace et Joe King n’a jamais cessé une seule journée de faire sa musique en toute indépendance. La preuve, son dernier album intitulé « Mariachi Blues » vient tout juste de sortir et je vous invite à vous en délecter.
Publié dans le numéro 150 de BEST sous le titre :
REVUE d’EFFEC(S)TIFF
La cour intérieure du Palace avait tout l’air d’un préau de Lycée… Dave Robinson, le proviseur-manager du collège Stiff s’agitait pour faire rentrer ses cinq groupes plus turbulents que des Terminales avant le Bac… ça n’était pas de la tarte ! Les 21 musiciens du « Son of Stiff Tour » sont plus agités que les pires potaches: les brothers reggae d’Equators débarquent en chantant, leur costard noir à bout de bras ; suivent Any Trouble puis Dirty Looks, le trio yankee, Eddie Tenpole un peu malsain et ses hommes de scène et enfin Joe « King » Carrasco, son carton à chapeau à la main, bondissant au milieu de ses Crowns. En tout, le collège Stiff compte cette année 44 personnes, 130 valises, un camion pour la sono, un minibus pour les radios et un car couchette pour tout le reste. Le timing de l’opération ressemble à s’y méprendre à celui d’un épisode de « Mission Impossible », 5 groupes qui se succèdent avec la même sono, en un peu plus de deux heures, c’est le pari technique relevé à chaque date par Tony Ferguson, le Tour manager. Les musicos, au petit trot, s’égarent dans le dédale d’escaliers des backstages du Palace, avant de rejoindre leurs loges. Décor habituel de canettes de bières, de fruits et de miroirs. Première rencontre, le King Carrasco agenouillé sur le carrelage plastifié ; le tube de colle à la main il tente de rafistoler sa couronne… tiendra-t-elle un gig de plus ?
« Tu I’a volée au musée Tussaud !
Pas du tout, un copain me l’a offerte au campus d’Austin, Texas. C’est une tradition du sud issue des Francais et des Espagnols. Certains groupes cajuns comme Clifton Chénier portent encore la couronne, moi c’est juste pour le fun. Sam the Sham portait bien un turban ! », réplique JCK !
Joe Teusch est né à Dumas (ça ne s‘invente pas), petite ville au nord du Texas. Il répète dans les garages avec des copains pour imiter le « Wooly Bully » de Sam the Sham ou le « 96 tears » de ? and the Mysterians, un subtil mélange de R and B, de soul et de chicano music… « Au début des 70’s, quand j’ai commencé, toute cette musique s’est mise à disparaitre. Pour retrouver le même esprit de fiesta, je suis allé faire un tour dans les bars chicanos et je me suis branché sur des groupes Mexicains comme Shorty and the Corvettes ». Joe Teusch ne renie pas ses origines et son enfance de cow-boy, mais il n’est pas un WASP (White Anglo Saxon Protestant) facho et nationaliste comme la majorité des texans qui rejettent tout ce qui sonne mexicain. Teusch devient Carrasco par défi, comme ce fameux bandit Fred Carrasco, enfermé au pénitencier de Huntsfield, qui tiendra 8 personnes en otage pendant plus de deux semaines et qui n’en ressortira que les bottes aux pieds, un héros pour tous les mexicains du Texas.
« Au pays, les mecs voulaient me casser la figure parce que je joue comme ces chicanos qu’ils méprisent, ils n’ont rien compris.
Les mexicains aiment-ils ta musique ?
Yeah… ils adorent cela, surtout venant d’un gringo. Je suis cinglé de ce pays. Pour composer, avec ma VW rouge je n’arrête pas de rouler sur les plateaux du Nord en écoutant le Top 40 mexicain, c’est exactement comme dans ma chanson « Caca de vaca »… quant aux mexicaines… J’avais une petite amie là-bas. Un jour, les Fédérales nous ont arrêtés, moi j’ai réussi à m’enfuir, elle je ne l’ai plus jamais revue. Mon titre « Fédérales » est une histoire vraie, ce pays c’est de la folie. Tout ce que je fais, c’est prendre des rythmes mexicains en mettant des textes anglais par dessus. J’ai grandi au milieu des cow-boys, j’aime bien leur musique, mais c’est toujours pareil: c’est pour cela que les chicanos me touchent dix fois plus ».
Outre les chicanos, ? et Sam The Sham, c’est chez Doug Sahm et son Sir Douglas Quintet qu’il faut chercher les influences de Carrasco, en particulier les trompettes et le son aigrelet de l’orgue Farfisa. D’ailleurs Huey P. Meaux, le producteur légendaire du Quintet ne figure-t-il pas aux « crédits » du disque de Carrasco sous la rubrique « co-ordinateur de talents ! » Produit par Bill Altman, ex-journaliste de Rolling Stone, le King a pourtant son Monsieur 20 % : Joe Nick Patoski, le manager qui ressemble comme deux gouttes d’eau au Radar de M.A.S.H., nous rappelle à l’ordre… faut se préparer pour le show.
Moi j’ai juste le temps de jeter un œil dans la classe à côté où sont installés les sages Any Trouble. Le leader Clive Gregson écrit et compose tous les morceaux du groupe : des romances désabusées à la Costello, pour un teen-ager qui a poussé un peu trop vite.
« J’écris des choses sensibles, parce que mes expériences de la vie sont elles-mêmes sensibles. Le groupe est passé pro en mars dernier, mais j’écris depuis l’âge de 15 ans. Any Trouble, le nom du groupe est une réplique de Mel Brooks dans « Un Shériff est en prison »… C’est un gag ».
Clive est aussi timide que sa musique est tendre et pop. Je dois être le 25 000 éme journaleux a lui poser la question sur Costello :
« Elvis… j’aime mieux qu’on me compare à lui qu’a Saxon. Bien sûr je l’ai écouté parce que je m’intéresse à la musique. Mais si mes souvenirs sont bons, est-ce qu’au début on ne le comparait pas à Van Morrison ? »
Clive est assez nerveux ; son bassiste se rase en racontant sa soirée d’hier. Les Dirty Looks se sont amusés à lui faire un lit en portefeuille : Phil était si furieux qu’il a défoncé la porte de leur chambre d’hôtel à coups de poing. Les enfants de Stiff perpétuent la tradition de délire de leurs ainés !
Stiff stiff hurrah, c’est le début du concert. Tenpole Tudor dans le style punkeux attardé ouvre le feu. Eddie Tempole aura du mal a sortir de son personnage Sex-Pistolien. Il beugle beaucoup et mal; ses plans de scène foireux (il jette en pâture au public une dépouille de drapeau tricolore) ne convaincront pas.
Et hop, sans changer de décor, Any Trouble nous propose un rock sensible et très carré. Clive est aussi calme sur scène que dans la vie. Ses thèmes pompeux et romantiques, ses histoires amères de filles qui s’envolent se heurtent à l’implacable barrière du langage. Ensuite, Dirty Looks parviendra pourtant à faire vibrer le Palace par un rock précis et nerveux, bien plus accrocheur que sur leur LP. Pour le final de leur prestation, le trio de Staten Island sera rejoint par la charmante et brune Kris Cummings et Brad Kizer, respectivement claviers et basse des Crowns: « (I’m not your) Steppin’ Stone », un vieux standard des Monkees.
On enchaine sur les Equators qui s’excitent sur un ska a la Two Tone : hélas, malgrè leur speed, ils ne dépasseront jamais Madness ou les subtils Beat.
Quant au King Carrasco, il ne décevra décidément pas. Plus bondissant qu’un plat de haricots sauteurs, il parvient a transformer la station debout du public en station dansante: irrésistible Joe ! Mike Navarro, le batteur importé de Monterey et Brad le bassiste, ex- voisin de palier du King (formé à la hâte et sur le tas, parce que le précédent bassiste a déserté juste avant la tournée pour rejoindre le groupe de blues de Sterling Morrison (l’ancien Velvet reconverti a l’enseignement sur le campus d’Austin) ne sont certes pas d’habiles techniciens, mais leur jeu tout au feeling est extrêmement payant. Quant au clavier au féminin, Kris, il est peut-être un peu cheap…mais cool et l’ensemble est en tous cas plus explosif qu’un Tequila Sunrise.
Pour le final, les 21 musiciens se
pressent sur scène sur une version cinglée du « Rock and Roll » de Gary Glitter. Puis, tout ce petit monde se retrouve au fumoir du Palace ; face à un gâteau blanc comme un sommet des Andes et une fontaine de champagne, on perpétue l’esprit communautaire Stiff. Les collégiens aiment les contes de fées et celui-ci met en scène le joli clavier des Crowns et Joe le manager, ils viennent de se marier… so cute ! Si le Stiff Tour 80 n’a pas le poids des précédents – cette fois pas de scoop à la Ian Dury, pas de Nick Lowe ou de Costello – il met par contre l‘accent, en cette période de crise économique, sur la nécessité vitale de petites boites dynamiques comme Stiff contre les grands trusts du polyvinyle… qui sait si les petits poissons du show ne survivront ras aux gros !
Publié dans le numéro 150 de BEST daté de janvier 1981