JOAN BAEZ PAR STAN CUESTA
Elle est sans doute l’une des plus grandes chanteuses vivantes de l’histoire du rock, en effet à 80 ans Joan Baez capitalise plus de SOIXANTE années de carrière. Et quelle carrière… puis qu’elle a enregistré 31 albums en embrassant le folk, bien sûr, mais aussi la pop, le rock, le blues, la country… sans oublier son engagement de toute une vie en faveur de la paix. Dans son nouveau livre sobrement intitulé « Joan Baez » Stan Cuesta nous fait partager sa vision de la mythique chanteuse de Carmel Valley, Cal.
Bien entendu, ce n’est pas le premier ouvrage signé Stan Cuesta qui retient toute notre attention ( Voir sur Gonzomusic https://gonzomusic.fr/?s=Stan+Cuesta ), mais ce qui distingue cette fois son « Joan Baez » c’est que contrairement à ses précédentes biographies rock consacrées aux Doors ou aux Beatles, cette fois grâce à la complicité de l’ami Yazid Manou ( Voir sur Gonzomusic https://gonzomusic.fr/live-like-a-rock-star-rue-joan-baez-a-passa.html ), l’auteur a pu non seulement rencontrer mais surtout s’entretenir longuement avec son sujet et cela change tout. De plus, il a aussi interviewé quelques français qui ont été ou qui sont toujours proches de la chanteuse, tels Maxime le Forestier, le photographe Bernard Plossu qui l’a côtoyée et divinement photographiée durant les 60’s en Californie ou encore le « collègue » Yves Bigot qui a partagé un moment son existence. Sa vie, son œuvre immense et sa relation avec cette France qu’elle connait depuis 50 ans, jamais Joan Baez n’aura semblée aussi proche de nous. Et pour ceux qui comme moi la connaissent mal, ce précieux « Joan Baez » par Stan Cuesta se révèle juste indispensable. Rencontre avec l’auteur…
« Première question incontournable, comment convaincre un mec qui ne connaît que deux chansons d’elle, c’est-à-dire la chanson de « Sacco et Vanzetti » et ce rap improbable de 77 intitulé « Time Rag » de l’importance cruciale de John Baez ?
Écoute, c’est comme un gars qui me dirait : « les Beatles… je ne connais que deux morceaux, c’est « Obladi Oblada » et « You Know My Name » ! Car ces deux morceaux que tu me cites sont sympathiques à bien des égards, mais n’ont rien de représentatifs de Joan Baez. « Here’s To You », c’est le thème du film de Morricone « Sacco et Vanzetti », dont on fête les 50 ans. En fait elle est sortie en 71, elle était numéro un en France à l’époque. C’est marrant parce que c’est un truc que les Américains ne connaissent pas du tout.
Oui, c’est ce que tu dis dans le livre, c’est super important ça !
À la même époque, aux États-Unis, elle a un hit avec une reprise de « The Night They Drove Old Dixie Down » de the Band, qui est totalement inconnu en France. C’est comme si à ce moment-là elle avait deux carrières parallèles. Et le truc qu’elle a fait avec Ennio Morricone c’est chouette, mais c’est complètement en dehors de sa carrière. Parfois même cela ne figure même pas dans sa discographie et de surcroit « Here’s To You » n’est qu’un additif à la vraie chanson qui s’appelle « The Balad of Sacco And Vanzetti », un morceau en 3 parties assez long, assez beau avec du texte, alors que « Here’s To You » c’est un truc de dernière minute avec 3 lignes.
Oui « Here’s to you Nicola and Bart/ Rest forever here in our hearts/ The last and final moment is yours/ That agony is your triumph … » ( C’est pour vous Nicola et Bart/ Reposez pour toujours dans nos cœurs/ Ce dernier et ultime moment est le vôtre/ Cette agonie est votre triomphe.)
C’est le même truc qui tourne sans arrêt et ce qu’elle m’a dit en interview, c’est que les français l’adorent parce qu’à la fin ça fait « là là là là là là là là », même pas besoin de connaître le texte ! Elle me raconte qu’une fois à l’Olympia là, donc dans un de ses derniers concerts qu’elle a donné, elle a oublié de la chanter et au rappel les gens se sont mis à entonner « là là là là là ». Elle s’est dit : « c’est bon, je vais me faire tuer si je ne la fais pas ». Voilà cette chanson pour elle c’est à la fois une bénédiction et une malédiction. Il y a plein de gens en France, comme toi effectivement, qui ne la connaissent que par elle. Mais il faut préciser que c’est une artiste qui a commencé à chanter professionnellement en 59 et qui s’est arrêtée en 2019, donc ça fait 60 ans de carrière, tu peux imaginer qu’il y a de la richesse dans sa discographie. Et l’autre cliché qui lui colle à la peau, c’est la « Madone du Folk », ce qui était tout à fait vrai à ses débuts. Pendant plusieurs années, elle n’a chanté que des chansons traditionnelles irlandaises ou d’obscurs auteurs Appalachiens. Mais, par la suite, elle a chanté beaucoup de chansons d’Amérique du Sud et du monde. Maxime le Forestier, qui la connaît bien, me disait que dans chaque pays où elle passe, elle apprend des chansons du coin. Ainsi quand elle joue en France, elle chante du Léo Ferré, « Pauvre Rutebœuf » par exemple. Effectivement, au début c’était vraiment du folk pur et dur. Il faut comprendre que c’est quelqu’un qui a commencé avant Bob Dylan !
C’est même elle qui a lancé Bob Dylan, justement !
Bon, elle était tombée amoureuse de lui, mais elle est tombée d’abord amoureuse de ses chansons, avant de tomber amoureuse du mec. Puis elle a continué à aimer ses chansons, sans forcément aimer trop le mec d’ailleurs.
Ça tombe bien, parce que la next question c’est : Dylan ?
Donc c’est vrai que les gens qui connaissent pas bien Joan Baez me disent : « Ah c’est chouette, parce qu’on peut parler de Dylan. C’est pourquoi avant les conférences de presse, elle dit souvent aux gens : « OK vous posez les questions que vous voulez, mais pas Bob Dylan ! ». Sauf que tout le monde veut lui poser des questions sur le Zim’. C’est un peu aussi une malédiction pour elle. Parfois elle s’en sort par une pirouette, notamment sur scène en répliquant : « Bob qui ? ». Le folk a d’abord été chanté par des chanteurs comme Peter Paul and Mary, des gens gentillets qui ont commencé à le populariser, mais concernant Bob Dylan c’est vraiment elle qui lui a mis le pied à l’étrier.
Est-ce que ce n’est pas elle qui lui a tenu la main au fameux Newport Folk Festival ?
Elle a joué plusieurs fois à Newport avec lui, notamment en 63. C’est la première fois qu’elle l’amène et elle l’impose sur scène avec elle. Puis elle est partie en tournée avec lui. Elle avait une tournée à travers tous les États Unis, lui était totalement inconnu en dehors d’un petit cercle new yorkais du Greenwich Village et pourtant elle l’imposait sur scène… même si parfois les gens sifflaient Dylan, car ils n’aimaient pas sa voix. Elle avait un côté un peu maitresse d’école, elle venait sur scène pour dire aux gens : « arrêtez de siffler, écoutez le texte, ses paroles sont fantastiques ».
Après, même quand ils ont été séparés en 65, elle a fait un album entier, un double LP consacré à Dylan en 68. Et elle n’a jamais cessé de le chanter, même ses chansons les plus récentes. Donc elle n’a jamais cessé d’être un peu le porte-parole de Dylan. Elle n’a pas tellement d’ego. Enfin, un ego comme toutes les grandes stars. Elle est vraiment capable d’altruisme, ce qui lui permet de chanter beaucoup de gens. Après, ce que je voulais dire tout à l’heure, c’est qu’en fait on peut découper sa musique en plusieurs phases, et la phase folk s’arrête vers 65/66. Ensuite elle a une époque pop assez méconnue où elle chante des chansons d’un peu tout le monde, des Beatles, de Simon and Garfunkel, de Tim Hardin, sur des albums très orchestrés avec des orchestrations pop à grands renforts de violons. Il y a quelques albums en 67/ 68 qui sont vraiment très intéressants et qui méritent d’être découverts. Puis juste après débute une nouvelle phase, comme Dylan d’ailleurs et comme plein de gens alors, c’est la phase Nashville. Joan Baez devient complètement amoureuse de cette musique, comme à l’époque de son passage à Woodstock, notamment. Là, elle enregistre une bonne dizaine d’albums à Nashville avec le Gotha des musiciens du coin qui veulent tous lui fourguer des chansons. Elle a une aventure avec Kris Kristofferson alors qu’il est à peine connu, et qu’il sortait des bras de Janis Joplin, si je ne m’abuse ! Elle a fait toute une série d’albums qui sont bien moins connus par ici, mais qui sont de très beaux disques.
Il y a une facette du personnage qu’il faut absolument évoquer c’est le côté militant des droits civiques, passionaria pour la paix…
Sa force, c’est qu’elle a toujours mélangé les deux, à la fois sa carrière musicale et à côté, une carrière de militante. Mais son vrai combat, c’est pour la paix, son combat majeur c’est la non-violence. C’est vraiment en elle depuis qu’elle est toute petite, puisqu’elle a rencontré Martin Luther King lorsqu’elle était enfant par ses parents. Ça l’a vraiment marquée, au point qu’elle a créé une fondation pour la non-violence. C’est vraiment un combat de toute une vie qui après se décline en plein de choses : le Vietnam, les droits civiques, la paix au sens large, c’est-à-dire le non-racisme, la non-violence. Elle s’est rendue dans plein d’endroits, à Hanoi ou à Sarajevo durant la guerre.
Il faut même préciser qu’elle était à Hanoï ou à Sarajevo mais quand les bombes pleuvaient !
Voilà et là où les autres artistes n’allaient pas forcément. Et elle a même mis parfois sa vie en danger, on peut le dire, et aussi beaucoup sa carrière. Car très souvent, s’il y avait la carrière à suivre d’un côté ou une action à mener dans un pays où on l’appelait, elle plantait direct la carrière. Ce qui a fait qu’effectivement dans les années 80 elle a eu un trou dans sa carrière, comme beaucoup de musiciens comme elle, des stars des années 60 qui se retrouvaient un peu dépassées. Mais ce qu’elle a eu de fort elle, toujours en menant ses combats humanistes, c’est qu’elle a réussi à remonter la pente musicalement, grâce à son nouveau manager. Il a eu une idée assez géniale, celle de lui faire chanter, comme à ses débuts, les chansons des autres, mais des chansons de jeunes auteurs-compositeurs américains. Des gens que même nous, parfois on ne connaît pas. Quand on écoute le dernier disque de Joan Baez par exemple qui est sorti en 2019, on retrouve Tom Waits que l’on connaît, mais surtout plein de jeunes musiciens et musiciennes. Et quand on découvre ces chansons, cela donne envie de découvrir les versions originales. Elle a aussi ce rôle de passeur.
Pour revenir à mon côté béotien de la Baez 🤣, si je puis m’exprimer ainsi, quelles seraient les 5 chansons, les 5 chef d’œuvre incontournable sur toute sa carrière ?
Pour faire chronologiquement, on va commencer par un truc traditionnel qui est vraiment très beau, c’est « Baby I’m Gonna Leave You », où elle chante toute seule à la guitare, avec une voix fabuleuse. C’est une composition qui parlera aux amateurs de rock parce que c’est un blues qu’a repris Led Zeppelin. Concernant cette chanson-là, Robert Plant avoue qu’il a écouté à fond la version de Joan Baez ; c’est dire combien c’est vraiment cette version-là qui l’a a influencé. D’ailleurs, le chanteur de Led Zep raconte qu’il a eu deux influences majeures pour le chant : Joan Baez et Janis Joplin. Elle a fait très peu de blues, mais c’est une première chanson vraiment très belle. Ensuite forcément il faut mettre un Dylan et on a l’embarras du choix. Mais je mettrais « Farewell Angelina », parce que c’est aussi le titre d’un de ses très beaux albums, avec une très belle pochette de Richard Avedon en noir et blanc. C’est une chanson sublime que Dylan lui a offerte et qu’il n’a pas chantée lui-même. Sur l’album qu’elle consacre à Dylan, il y a aussi plein d’autres chansons que Dylan n’a pas chantées ; certaines offertes, d’autres plus ou moins « volées »…
…. Comme la fameuse qu’il aurait « oubliée » sur la machine à écrire ?
Oui « Love Is Just a Four Letter Word ». Il en parle d’ailleurs dans le film « Don’t Look Back » de Pennebaker ( Voir sur Gonzomusic https://gonzomusic.fr/so-long-d-a-pennebaker-rocking-director.html ) disant : « ah, mais je n’ai pas fini cette chanson, je ne m’en souviens plus ». Et elle la lui chante. Ensuite, pour la 3e je mettrais « The Ballad of Sacco and Vanzetti », donc pas « Here’s To You », mais cette très belle chanson du film d’Ennio Morricone, car je trouve qu’elle chante divinement bien. Ensuite, je mettrais évidemment la plus belle chanson qu’elle a écrite elle-même qui s’appelle « Diamonds and Rust ». Et enfin, pour être juste il faudrait choisir une chanson plus récente. Pour le public français, il y en une que j’aime bien, qui est assez jolie, même si elle est inconnue aux États-Unis, c’est une chanson qu’elle chante en duo avec Maxime Le forestier composée par Gabriel Yakoub, de Malicorne, intitulée « Les choses les plus simples ».
La dernière question, qui rejoint l’anecdote racontée par Yves Bigot dans ton livre c’est : est-ce que Joan baise ?
Je ne me suis pas attardé sur la vie privée parce que ce n’est pas vraiment mon sujet …
Mais tu évoques son premier amour, Michael puis son 2e amour, le militant des droits civiques qui est carrément allé en prison pour ses convictions …
Oui, il y a eu des hommes importants dans sa vie. Comme avec Kris Kristofferson, une liaison qu’elle a maintenu cachée, car elle était encore mariée avec David Harris, qui était alors en prison. Elle ne se sentait pas super bien de sortir avec quelqu’un alors que son mari était derrière les barreaux. Ce qui est vrai, c’est ce que dit Bigot, qui la connaît bien, puisqu’il a eu une aventure avec elle, c’est qu’elle n’est pas la bonne sœur que beaucoup décrient. Bon, il dit aussi qu’elle est un peu bonne sœur et que c’est un peu de sa faute car elle a ce côté prêcheur, mais ce n’est pas du tout une sainte nitouche. C’est quelqu’un qui a beaucoup d’humour et qui aime les hommes et aussi les femmes, même si je n’ai pas trop insisté sur ce côté-là. Mais elle a eu beaucoup d’aventures, même si je n’ai pas pu raconter tout ce qu’on m’a dit, parce que tout n’était pas vérifié, mais disons que les quelques hommes que j’évoque, les hommes importants de sa vie, ne sont que la partie émergée de l’iceberg.
On se doute que, par exemple, avec Maxime Le Forestier, elle n’a peut-être pas sucé que des glaçons.
Il ne me l’a pas dit, mais je ne lui ai pas demandé non plus. Je pense qu’à ses débuts dans les années 60, quand elle était en plus très jeune et très jolie, elle a dû briser pas mal de cœurs !
Sur la couve du livre elle est absolument ravissante. Bravo pour le choix de la photo qui est juste sublime.
Je veux bien le citer, car c’est un grand photographe, pour moi, le plus grand photographe français vivant. C’est Bernard Plossu, qui était en Californie avec elle en 67. D’ailleurs il a écrit deux articles dans Rock & Folk, dont un en 67 et l’autre en 69 je crois. Et désormais il m’appelle « collègue ». En fait, j’ai interviewé plusieurs français, comme Yazid Manou par exemple, qui ont connu Joan Baez, et donc le thème de mon livre c’est aussi un peu : Joan Baez et la France.
Tu l’as rencontrée et interviewée plusieurs fois, est ce qu’elle est aussi sympa que tu veux le laisser entendre ?
Oui, elle est à la fois très sympathique et très drôle et très ironique. Lorsque je lui ai dit : merci pour cette interview, elle m’a répondu : « j’adore parler de moi ! ». Mais avec un côté un peu « tongue in cheek », tu vois. Tout le plaisir est pour moi, j’adore parler de moi. Elle est à la fois sympathique et à la fois quand tu te balades avec elle, tu sais que ce n’est pas n’importe qui ! »
JOAN BAEZ par Stan CUESTA
Collection les Indociles aux Editions Hoëbeke