JIM MORRISON DERNIERS JOURS À PARIS
Cet été 1971 Jim Morrison à la dérive des Doors rejoint sa girl-friend de cinq ans, Pamela Courson à Paris. Jim qui publie désormais ses recueils de poésie veut aussi marcher sur les pas de nos poétes Rimbaud et Baudelaire comme des auteurs surréalistes. Dans notre capitale il retrouve son pote Hervé Muller, fameux rock-critic qui l’a déjà interviewé aux States par le passé. Hélas, le 3 juillet 1971, le chanteur décède dans de troubles circonstances dans son appart de la rue Beautreillis. « Jim Morrison Derniers Jours à Paris » retrace avec une rare acuité le singulier destin de Jim jusqu’à sa tragédie finale, apportant un éclairage inédit sur l’œuvre et sur les dernières heures du Lizard King.
C’est une étrange time-capsule qui surgit dans nos vies, matérialisée par ce « Jim Morrison Derniers jours à Paris » signé Hervé Muller (Voir sur Gonzomusic ADIEU À HERVÉ MULLER, MORT D’UN ROCK CRITIC et aussi Le dernier voyage d’Hervé Muller ). Consacré à la tragique disparition du chanteur des Doors, ce livre aura eu le destin singulier de paraitre une première fois en 1973 chez un premier éditeur qui met la clef sous la porte quelques semaines après sa sortie sous le titre de « Mort ou vif ». Un ouvrage qui passe alors inaperçu. Puis une seconde édition en 91. Un an après la triste disparition de l’auteur, 50 ans après celle de Jim, ce livre constitue sans doute l’analyse la plus juste de l’envol et de la chute de Jim Morrison qui comme Icare a voulu s’approcher trop près du soleil au point d’en perdre ses ailes. Background, musique, épopée des Doors mais aussi relation quasi intime avec Jim, lorsque Hervé raconte comment Jim foudroyé par l’abus d’alcool ronfle à ses pieds, sur son lit, dans son studio de la place Sarah Bernard à Paris. D’ailleurs « Jim Morrison Derniers Jours à Paris » n’est-il pas illustré par de nombreuses photos inédites prises par Hervé et exhumées par sa sœur Sylvie, ainsi que d’une émouvante préface signée par son ami Gilles Yéprémian qui a vécu ces évènements ? Et surtout il y a toute l’expertise de l’auteur, sa connaissance parfaite du contexte socio-culturel américain qui a permis aux Doors d’émerger comme fer de lance de la révolution de la jeunesse. L’érudition extensive d’Hervé nous éclaire avec une rare acuité sur les auteurs, poètes, dramaturges et cinéastes qui ont façonné l’œuvre de Jim Morrison. Certes, ce livre est loin d’être le premier consacré au chanteur des Doors, à l’instar de l’excellent « Jim Morrison et les Doors » par Patrick Coutin ( Voir sur Gonzomusic COUTIN IS MORRISON), cependant sa force c’est qu’il est rédigé par un témoin de tout premier plan qui est venu, qui a vu et qui a connu l’homme derrière le mythe rock, pour paraphraser Jules César.
Ce qui n’empêche pas l’auteur de nous narrer la légende en partant du début : cette UCLA où Jim et Ray Manczarek (qui n’a pas encore ôté le « c » de son nom) se rencontrent durant leurs études communes de cinéma. Ce dernier a déjà son propre groupe où officient ses frangins, sous le pseudo de Screamin’ Ray Daniels comme chanteur de Rick and the Ravens, lorsque Jim compose déjà ses surprenants poèmes. Et c’est sur l’insistance de Ray qu’il va oser pour la première fois vocaliser ses vers « Let’s swim to the moon/ Let’s climb through the tide/ penetrate the evening/ That the city sleeps to hide … ». Peu à peu cette années 1965 John Densmore et Robbie Krieger vont rejoindre le cercle. De même, Hervé Muller s’attache à retracer l’étymologie du patronyme du groupe, dans la fameuse phrase du poète William Blake : » There are things that are known and things that are unknown ; in between there are doors. »… qui a elle-même inspirée le titre du livre d’Aldous Huxley « The doors of perception » sur son expérience de la mescaline. Premiers concerts dans un pub pouri sur Sunset, le London Frog où les Doors font leurs premières armes. La suite de l’histoire, même si on la connait, est parfaitement décrite par Hervé Muller : l’émergence d’un Jim aussi théâtral qu’éblouissant qui exorcise sa timidité dans ce personnage fantasque et provoc qu’il s’invente, ce Mister Hyde qu’il convoque au gré de ses beuveries, puis la révélation au Whisky A GoGo et la signature par Jac Holzman chez Elektra. Rock critic exercé, Muller met l’accent sur une chanson particulière qui a sans doute tracé la voie du groupe, cette « The End » hallucinante qui fut à la fois la meilleure et la pire des choses, celle qui poussa Jim au summum de son art, mais aussi la malédiction génératrice de tant d’excès et de scandales qui contribueront à la crucifixion de notre héros. D’ailleurs, Jim ne mettait il pas en scène sa propre exécution live sur «The Unknown Soldier » comme un immense pied de nez à ce contre-amiral de père qu’il veut justement liquider dans « The End » !
L’auteur trace également un parallèle intéressant entre deux groupes révolutionnaires de part et d’autre des USA, la côte est avec le Velvet Underground et la côte ouest avec les Doors, deux formations apocryphes qui échappent totalement au mouvement hippie qui agite alors l’Amérique. De même, il insiste sur l’aspect éternellement mouvant des interprétations live de ses chansons, une créativité exacerbée qui le pousse en avant, un puissant moteur artistique mais dont le carburant est hélas l’alcool. Incroyable animal de scène, Jim est un puissant vecteur de séduction auprès de ses fans féminines. J’avais oublié son mépris pour tous les biens matériels en général et les autos en particulier, son choix de résider dans mon cher Tropicana Motel ( qui aura sans doute servi de détonateur à ma carrière de rock-critic lorsqu’étudiant en droit j’y ai rencontré Tom Waits et les Runaways avant de me lier avec Joey et Dee Dee Ramone ) sur Santa Monica à un jet de pierre de son label Elektra situé sur La Cienega. Quant à ses rapports avec la presse, Hervé l’évoque avec une cruelle précision : Jim était toujours plus brillant que ses intervieweurs. « Face à un intervieweur, Morrison ne se contentait pas de répondre à des questions. Il essayait déjà de prévoir l’article, de l’orienter. » écrit-il, pour l’avoir justement expérimenté. Mais hélas sur ces derniers jours à Paris qui seront fatal à Jim, on découvre et c’est juste glaçant, que le chanteur lançait déjà à la cantonade : « le numéro 3, vous l’avez devant vous », se référant aux disparitions à 27 ans de Jimi Hendrix et de Janis Joplin. Mais ce qui apparait, c’est son inconcevable propension à ingurgiter des litres et des litres d’alcool. Et puis il y a cette nuit fatale du 3 juillet 1971 où Hervé Muller tranche le nœud gordien des non-dits et des fausses dépositions, du Rock and Roll Circus or not Rock and Roll Circus, de l’eau froide ou de l’eau tiède de la funeste baignoire de l’appart de la rue Beautreillis et de l’héro asiatique ultra-puissante… or not ? Hervé a également retrouvé la déposition de Pamela Courson où Alain Renais jouait le rôle d’interprète et nous livre sa propre analyse sur la disparition de ce Jim qu’il a bien connu. Étrange ironie de l’histoire, Jim est enterré au Père-Lachaise en juillet 1971… coincidemment l’espace vert le plus proche de mon lycée Voltaire, que j’ai fréquenté de 68 à 75… et où nous allions fumer nos premiers pets sur la tombe de Jim lorsque nous séchions les cours… ce même Père Lachaise où j’avais accompagné Hervé Muller pour disperser les cendres de sa maman.
« Jim Morrison Derniers Jours à Paris » par Hervé Muller
Le Mot Et Le Reste