ICI SONT LES DRAGONS AU THÉÂTRE DU SOLEIL
Le Théâtre du Soleil s’illustre une nouvelle fois avec « Ici sont les dragons », une œuvre audacieuse et dérangeante qui n’hésite pas à évoquer l’horreur de la guerre, qui résonne en écho, hélas si proche, de la sale guerre que mène Poutine contre l’Ukraine à travers une mise en scène captivante pour un spectacle qui ne peut laisser quiconque indifférent et au premier chef JCM dont l’esprit rebelle et militant ne peut que valider la démarche si engagée d’Ariane Mnouchkine.
Par Jean-Christophe MARY
Sur la scène du célèbre théâtre dirigé par Ariane Mnouchkine, le public est plongé dans un univers plein poésie et de colère, résonnant particulièrement avec les tragédies contemporaines, notamment le conflit en Ukraine. Dès l’entrée à la Cartoucherie, le spectateur est plongé dans une atmosphère immersive : une vaste carte de la Russie et de l’Ukraine orne le hall, tandis que le restaurant propose des mets traditionnels tels que le bortsch et les pirojkis. Ces éléments créent un pont sensoriel entre l’époque révolutionnaire et les réalités contemporaines. La mise en scène s’ouvre sur un extrait d’un discours de Vladimir Poutine justifiant l’invasion de l’Ukraine, qualifiant le régime de Kiev de nazi. Cette introduction ancre immédiatement le spectacle dans une actualité brûlante, établissant un parallèle troublant entre les ambitions impérialistes d’hier et d’aujourd’hui. Ariane Mnouchkine, en collaboration avec Hélène Cixous, orchestre une narration où les figures historiques de 1917 prennent vie avec une humanité désarmante. Les personnages, portés par la troupe du Soleil, évoluent dans des décors en perpétuel mouvement, reflétant le chaos et l’effervescence de l’époque révolutionnaire. Les masques aux accents guignolesques dépouillent des figures telles que Lénine, Staline et Trotsky de leur aura mythique, révélant leurs failles et contradictions. Dès le lever de rideau, le spectateur est transporté par un défilé de décors et une mise en scène réglée au millimètre. On apprécie et ce tapis de neige scintillant qui recouvre l’immense plateau. Il cette Marseillaise revisitée en langue russe comme un écho la révolution français, la poésie de ce petit train à vapeur qui traverse la scène ou ces trois Babayagas qui surgissent périodiquement dans la pénombre avec leur lampe à pétrole pour ponctuer la narration, tel un chœur antique.
Les costumes flamboyants et sombres, symbolisent la dualité d’un monde en proie aux dragons de la destruction. Magistralement dirigés, les acteurs s’expriment en russe, en anglais ou en allemand et incarnent les personnages historiques aux prises avec des dilemmes moraux qui résonnent avec ceux que subissent aujourd’hui des millions d’Ukrainiens face à l’agression et la violence. Leurs voix portent un message clair : la résistance face à l’oppression est non seulement. Le choix de revisiter cette période n’est pas anodin. En explorant les racines des bouleversements qui ont façonné la Russie moderne, le spectacle invite à une introspection sur les cycles de l’histoire et les répétitions des erreurs du passé. Les spectres de l’impérialisme, de la répression et des luttes de pouvoir résonnent avec une acuité particulière à l’heure où l’Europe est témoin de nouvelles tragédies. Ici sont les dragons n’est pas seulement une leçon d’histoire ; c’est un miroir tendu à notre époque, une invitation à questionner les dynamiques géopolitiques actuelles à la lumière des événements passés. Ariane Mnouchkine réussit, une fois de plus, à faire du théâtre un espace de réflexion profonde, où le passé éclaire le présent, et où les dragons d’hier nous rappellent ceux qui rôdent encore aujourd’hui. A découvrir absolument jusqu’au 28 avril !
Théâtre du Soleil. Cartoucherie, 12e. A 19h30. De 15 à 35 €.