HUMAN LEAGUE AND HEAVEN 17 SHEFFIELD GOLD Part 1
Voici 41 ans dans BEST GBD affrontait l’hiver anglais sous la glace, comme la grève du British Rail pour rejoindre Sheffield à tout prix et tendre son micro au phénomène Human League, sans doute parmi les tout premiers plumitifs hexagonaux à rencontrer Phil Oakey, escorté de Joanne Catherall, de Susan Ann Sulley et du vidéaste Adrian Wright dans le fracas du succès British de « Dare » propulsé par l’irrésistible « Don’t You Want Me ». Et découvrir à sa plus grande stupéfaction un pop band pionnier viscéralement rebelle, militant et de surcroit féministe… un comble en 1982 … lequel invente aussi les premiers dance-remixs electro ! Part 1 : Human League story, split et renaissance à Sheffield.
Si vous croyez que lors de ce tout premier reportage sur The Human League à Sheffield, doublé d’un entretien avec les sécessionnistes de Heaven 17 à Londres, on a parlé look, maquillage mais aussi promo, vente ou tournée …vous vous fichez le doigt dans l’œil jusqu’au tuchès. Ces années 80 étaient bien plus radieuses et insurgées, y compris chez les faiseurs de ritournelles. Et quelles ritournelles ! Lorsque Virgin, qui distribuait alors les deux groupes, m’a fait parvenir les deux singles, mon sang n’a fait qu’un (45) tour (s) D’abord l’éblouissant « Fascist Groove Thing » de Heaven 17, aussi efficace que politisé, puis la bombe « Don’t You Want Me » de The Human League, j’ai suggéré à Christian Lebrun de m’envoyer à Sheffield et Londres pour rencontrer les deux formations… au beau milieu d’une vague de froid polaire qui a recouvert la majeure partie de l’ Angleterre d’une couche de glace ET d’une grève des chemins de fer menée pour tenter en vain de faire plier Thatcher, la Dame de Fer. C’est ainsi que j’ai rejoint Sheffield, où m’attendait Phil Oakey, le chanteur leader de Human League. Sous sa longue mèche brune si fashion, j’avoue que je ne m’attendais pas à un tel esprit frondeur et militant. Idem en ce qui concerne les deux chanteuses que la presse anglais nous présentait comme des potiches, qui se révèlent aussi caustiques qu’en pointe sur le combat pour libérer les femmes de siècles et de siècles de préjugés en vue d’atteindre une nécessaire égalité des sexes. Carrément pour l’époque ! Quant à la technologie, les deux groupes auront contribué par leur art du-remix – avec d’autres contemporains bien sûr comme Depeche Mode ( Voir sur Gonzomusic ) – comme par leur usage intensif d’une nouvelle technologie entre Casiotone-jouet et toute nouvelle Linn Drum Machine à téléporter la pop-music dans son futur le plus proche. So beam me up… back in time… Scotty ! Part 1 : Human League story, split et renaissance à Sheffield.
Publié dans le numéro 165 de BEST sous le titre :
OR SYNTHÉTIQUE
« Ils ont transformé leur austère électronique en son pour ls foules des eighties, leur fief de Sheffield en Midlands… on a thousand dances, leurs disques en métal précieux dans tout le Royaume-Uni et Gérard BAR-DAVID en fan résolu. Qui rend visite aux boys and girls de Human League et, en passant, à leurs dissidents Heaven 17 » Christian LEBRUN
Ce lundi d’octobre 1980, le brouillard s’était abattu depuis le matin, noyant les Midlands d’une couche opaque et humide. Dans un immeuble délabré, recouvert d’affiches de concerts dépassés, en plein cœur de la petite ville industrielle de Sheffield, s’engageait une discussion violente. Martyn et Philip étaient bien décidés à en finir une bonne fois pour toutes. Dans cette atmosphère surchargée d’électricité, le split était ressenti comme une sorte de soulagement, en tout cas, la seule issue possible. « Non, je ne partirai pas avec vous en tournée, j’ai d’autres projets, Phil. Je n’ai aucune envie de me laisser emprisonner par cette foutue structure de groupe ». Une demi-heure plus tard, la rupture était consommée. Martyn avait claqué la porte d’un coup sec, comme un coup de ciseaux dans la trame de son destin. Pendant que dans l’immeuble lan se pose un certain nombre de questions, Martyn rentre chez lui et s’enferme dans sa chambre. « Il faut que j’en parle à Glenn » se dit-il en composant au téléphone l’indicatif de Londres. « …si, je t’assure, cette fois, c’est bien fini, Philip et moi, nous nous sommes balancé nos quatre vérités. De toute façon, il n’était pas question que j’accepte cette tournée. lan est encore indécis, mais je parie qu’il va marcher avec moi. Tu sais, Glenn, ce projet dont nous avons parlé au concert de Joe Jackson, le week-end dernier, je crois que ça va coller. Mais nous avons besoin d’un chanteur, alors débarque à Sheffield ». En fait, lan a déjà pris sa décision. Avec Martyn Ware et Glenn Gregory, il va former Heaven 17, puis la British Electric Fondation, une société occulte qui a déjà fait couler quelques gallons d’encre dans la rock-press britannique. Dans l’ancien Human League, il ne reste plus que Philip Oakey, le chanteur, troublant jeune homme dont le regard se cache parfois derrière une longue mèche de cheveux bruns et Philip Adrian Wright, le designer exclusif du groupe. Pour nous simplifier un peu la vie, appelons-le simplement Adrian. Pour lui, pas de problème, Human League doit coûte que coûte assurer sa tournée de trois dates en Angleterre et les concerts prévus en Europe.
Crédité sur les LP de la League comme responsable des diapos et des films, Adrian est un cinglé de l’image et de ses relations coupables avec la musique. A chacun des gigs de Human League, Adrian projette des images pour créer un complément indispensable au son : une musique pour les yeux. Grâce aux diapos d’Adrian, sa vision d’un esthétisme aux lignes pures devient l’image de marque du groupe. Imaginez un peu ce tout que pouvait être un concert multi-dimensionnel, tel que Human League savait le concevoir : sur fond de diapos qui s’enchaînent au rythme de la musique électronique, Philip, vêtu de noir, se joue des ténèbres tandis que sa voix définit un étrange climat où le battement de la drum-machine claque comme le fouet. A cette époque, Human League, c’était un peu Bowie dans les fauteuils première classe du Trans Europe Express de Kraftwerk. « Reproduction », leur premier LP, sort en octobre 79 suivi, six mois plus tard, de « Travelogue ». En Angleterre, la League s’impose chez les branchés, accrochés par le côté pop-recherche électronique et les images de séries TV des sixties comme LES AGENTS TRES SPECIAUX ( TTHE MAN FROM U.N.C.L.E. ») ou les premiers épisodes de STAR TREK .Au printemps 80, il exporte son show sur les scènes d’Europe. Le 12 juin au Palace, le concert s’achèvera sur une reprise du « Rock and Roll » de Gary Glitter assez grinçante dédiée aux 195 spectateurs et demi de cette première date française. Début juillet, le groupe rentre à Sheffield. Contrairement à la plupart des autres groupes, la League n’a pas eu le réflexe-capitale : en refusant de s’installer à Londres, le groupe parvient à préserver son identité. Les quatre Humans passent l’été autour de leur console huit pistes, dans leur laboratoire sonore. Mais l’ambiance commence déjà à se tendre. Phil passe la moitié de son temps à sillonner les routes du coin sur des grosses cylindrées Made in England. Le soir, il va traîner au pub; de toute façon, ici, il n’y a rien d’autre à faire. Petite ville industrielle près de Nottingham où l’on fabrique de l’outillage et des pièces métalliques, à Sheffield, la seule issue possible, c’est le foot ou bien l’eldorado de la musique. Sur son tabouret de pub, Philip repose sa pinte de John Courage. Le brouillard de Sheffield lui donnait décidément de plus en plus envie de partir… Dans le local de répète, lan Craig Marsh essaye un synthé ARP qui vient d’arriver. Dans une heure exactement, la première version de Human League aura disjoncté. Tandis que Martyn Ware et lan Craig Marsh s’en vont rédiger les statuts de la B.E.F., Phil Oakey et Adrian rafistolent le navire juste avant qu’il ne coule et assurent la tournée. lan Burden les rejoint. Le reste de l’histoire est un mélange de glitter et d’eau de rose. Un soir qu’il passait par une disco locale, le beau Phil rencontre non pas une mais deux jeunes princesses punk qui dansent sous les spots. Joanne Catherall et Susanne Sulley ont 17 ans et sont encore au lycée. « Voulez-vous danser avec moi ce soir, et demain soir… ». Les deux jouvencelles en laissent tomber leurs sacs de vinyl jaune avant de s’évanouir sur une banquette parfumée à la lager. Lorsqu’elles se réveillent, Phil occupe tout leur champ de vision.
C’est ainsi que la League s’est ouverte à l’autre sexe. La bio officielle précise que les deux minettes ont pris soin de revendre leur ticket avant de monter sur scène, prouvant ainsi qu’on peut perdre la tête sans pour autant perdre son sens du business. Le nouveau Human League sort coup sur coup trois quarante-cinq tours, tandis que Jo Callis, l’ex-Rezillos, débarque d’Édinbourg pour bosser sur le nouvel album, « Dare », que produira Martin Rushent. Le reste de l’histoire doit vous être familier : en un mois, « Dare » cartonne à plus de 1 million d’albums et deux millions de singles. « Don’t You Want Me », une superbe mélodie pop-électronique, balaie aisément Adam et ses fourmis des charts. En Angleterre, Human League est en passe de devenir LE groupe le plus célèbre du moment.
INVADERS
Quelle poisse, 7 heures du matin, je me retrouve dans la cafétéria de la Victoria bus station. Le jour ne s’est pas encore levé ; déjà, le taxi m’a jeté dans la rue glacée. Londres a les pieds dans la glace et elle n’est pas seule. Dans la cafète, on fait la queue en libre-service pour son breakfast. Ça pue l’oeuf au bacon et le café cheap. Sous les néons blafards, les working-class heroes ont le visage triste de la crise. La gare des autobus subit le contre-coup des tensions sociales qui secouent le British Rail, la S.N.C.F. britannique. Hier, pour la première fois depuis quarante ans, le B.R. s’est mis en grève illimitée, paralysant tout le trafic ferroviaire du Royaume-Uni. Ceux qui veulent voyager à tout prix font comme moi, ils se lèvent tôt pour prendre d’assaut les autobus. Celui qui mène à Sheffield attend sur l’emplacement quinze au fond du hall d’arrivée. Le conducteur réclame mon billet avec un lourd accent écossais. Je me pose au fond du car partagé entre le walkman et l’irrésistible envie de dormir. Si tout se passe bien, nous serons à Sheffield pour midi. En attendant, le bus se débat dans les embouteillages jusqu’à la sortie de Londres. Ensuite, c’est l’autoroute qui file jusqu’en Ecosse. L’Angleterre, c’est la banquise, de la neige glacée à perte de vue qui étincelle sous le soleil. Les arbres ont une seconde peau de glace ; jusqu’à Sheffield, ils rythment mon paysage. Cinq Camel- hé oui on fumait partout en Angleterre à l’époque, dans les bus, dans les métro, au ciné, dans les avions : NDR- et deux C 90 plus tard, les faubourgs de la ville crachent une fumée sombre. A la descente du bus, j’ai le bol de trouver un taxi. « Au Saint Andrews Hotel ! ». Le mec prend le temps de réajuster sa casquette et démarre. Dans le bar désert, Joanne et Susanne discutent avec un lourd accent : «Je te l’ai dit, ça ne me branche absolument pas de faire une séance photos pour ces ringards. La dernière fois, tout ce qu’ils ont trouvé à me demander, c’est l’adresse de mon coiffeur et la marque de mon rouge à lèvres. Quels crétins ! ». A dix-huit ans, les deux filles suivent leur training de stars. Apparemment, ça n’est pas drôle tous les jours. Les paparazzi pour teen-agers sont assez virulents dans la presse anglaise. Philip et Adrian débarquent à leur tour. Phil se dirige droit vers le Space Invaders au fond du bar et le gave de pièces de dix pence. Heureusement pour moi, Adrian semble plus bavard, même s’il cherche un peu ses mots. Je le branche sur ses diapos :
« Adrian Wright : Je squattais une chambre sous les toits dans l’immeuble pourri où Human League répétait. J’étudiais aux Beaux-Arts, mais j’étais surtout passionné par la photo. Je prenais n’importe quoi, mon terrain de chasse était mon téléviseur. Je m’amusais comme un fou, parce qu’en prenant une image qui bouge, tu ne sais jamais exactement ce que donnera la photo. Si tu te plantes, on voit sur ta photo les 819 lignes de définition du téléviseur, je ne te dis pas l’horreur. Au premier concert que j’ai fait avec la League, j’ai projeté plus de quarante plans de « Star Trek » sur un vieux projo piqué pour un soir à l’école. Aujourd’hui, j’ai une vingtaine de projos et plus de cinquante boîtiers pour un seul show. Je travaille à l’instinct, j’envoie les images lorsque je les sens. Au préalable, elles sont rangées dans un ordre déterminé. Nous pourrions bien sûr utiliser un computer mais ça ne serait pas très créatif. Comme je vivais au-dessus de leur local, je me suis lié avec les mecs de Human League qui montaient souvent prendre un verre chez moi. A force, j’ai dû finir par les intoxiquer, puisqu’ils m’ont proposé de faire partie du groupe, alors que je ne jouais d’aucun instrument. Depuis, je me suis mis un peu au synthé, mais je ne suis pas encore très doué. De toute façon, nous ne sommes pas des forçats de la scène : au lieu de se répéter tous les soirs dans une ville différente, on préfère donner un seul concert qui soit vraiment un événement. (Phil, pendant ce temps. se bat comme un lion contre sa machine. Son dernier vaisseau spatial démoli par les lnvaders, il revient s’asseoir parmi nous).
Phil Oakey : Je n’ai pas envie d’être célèbre si, en retour, je dois faire des choses que je réprouve. Tu sais, parfois, les raisons qui nous motivent tiennent presque du caprice : par exemple, j’adore jouer au Palace, parce qu’après, c’est un super endroit pour danser. De la même manière, nous avons donné un concert dans un vieux pub de Vienne pour la seule raison que le décor nous attirait. Depuis le début, nous avons toujours été assez ferme sur ce point et sur quelques autres. Quelques mois avant le phénomène déclenché par « Dare », nous passions nos après-midis dans les bureaux de Virgin à Londres où l’on nous ressassait les mêmes salades : cette fois, pas de synthés exclusivement, utilisez d’autres instruments. Nous n’avons jamais cédé parce que ça fait partie de nos principes et, à nos yeux, ils ont bien plus de valeur que l’argent. Je ne crache pas sur le blé, mais nous pouvons nous en passer.
Quelle a été la réaction de votre label après le succès ouragan de « Don’t You Want Me »?
PO: lis ont débouché beaucoup de bouteilles de champagne et les ont bien bues. Je crois qu’en fin de compte ils ont été ravis. Mais je suis certain que nous pouvons faire beaucoup mieux que cela. En fait, je crois surtout que nous avons eu la chance d’avoir Martin Rushent au mixage avec nous, parce qu’il fait ça à la perfection les vocaux sont extrêmement bien en place. Donc ils ne sonnent pas trop mal. Pour la scène, je crois que nous avons encore du boulot.
Maintenant que tu as deux filles avec toi, vas-tu les laisser composer ou, au contraire, imposer une sorte de monopole des mecs?
Susan Sulley : Ç’en est un, justement ! (rire)
PO : Défaitiste !
SS: Ces mecs sont extrêmement arrogants.
Tu veux dire qu’ils sont sexistes ?
SS: Comme leur expérience en musique est évidemment plus grande que la nôtre, ils pensent qu’ils ont tout compris. Ils ne nous prennent pas au sérieux et parfois même se paient carrément notre tête.
Où trouvez-vous les sujets de vos chansons, ce que les deux leaders d’Orchestral Manœuvres ont qualifié de « de superbes thèmes sur les rapports humains et amoureux »?
PO: Un peu de tous les côtés. Ça dépend aussi de l’auteur car nous sommes plusieurs à écrire. Je crois que depuis l’origine les rapports humains ont toujours été notre terrain de jeu favori.
Tu veux dire depuis le début de Human League, avec lan et Martyn ?
PO: Yeah. Nous nous cachions plus derrière des paraboles, mais elles ne faisaient que dissimuler ce sujet qui nous a toujours obsédés. Tu comprends, c’est beaucoup trop évident pour un groupe de synthés de raconter des histoires de science-fiction. La seule jamais composée se trouve sur » Travelogue », « The Black Hit of Space » et nous l’avons écrite par dérision.
C’est pour démontrer que les synthés savent aussi être humains ?
P.O.: Non, je crois simplement que les textes n’ont rien à voir avec le fait que nous jouons des synthés. Si nous les utilisons, c’est parce que nous les comprenons. Adrian et moi avons dessiné l’image du groupe, nous tenons à conserver un minimum de contrôle sur notre jouet. lan, par exemple, est un excellent bassiste. Lorsqu’il prend sa gratte pour en jouer, c’est peut-être super, mais je ne sais absolument pas ce qu’il est en train de faire. De même lorsque nous sommes en studio et que Joe et Martin se mettent à parler cordes ensemble, pour moi, c’est aussi incompréhensible que du chinois.
Vous passez beaucoup de temps en studio ?
PO : Pour « Dare », nous avons enregistré pendant plus de deux mois et demi au Genetic Studios qui appartient à Martin. A mon avis, c’est beaucoup trop long.
ZOMBIES
Est-ce que les gens d’ici vous revendiquent comme LEUR groupe ?
P.O.: Pas vraiment. En fait, les jeunes s’en foutent et tout spécialement ceux que nous avons pu connaître. Je crois qu’ils aiment s’attacher à un groupe inconnu pour te donner l’impression qu’ils en savent toujours un peu plus que toi. En fait, ils sont très « parisiens » (en français dans le dialogue).
Pourtant, vous vivez encore ici. Vous n’êtes toujours pas décidés à vous installer à Londres ?
PO: Absolument aucune envie : l’air de Londres m’a toujours paru malsain. Ce qui nous motive avant tout, c’est la musique. Si tu pars à Londres, ça n’est pas pour l’art, mais pour le business ou les mondanités.
À SUIVRE…
Voir sur Gonzomusic THE HUMAN LEAGUE AND HEAVEN 17 : SHEFFIELD GOLD Part 2 THE HUMAN LEAGUE AND HEAVEN 17 : SHEFFIELD GOLD Part 2
Publié dans le numéro 165 de BEST daté d’avril 1982