HOMMAGE A SPATSZ DE KAS PRODUCT
Voici 37 ans dans BEST, GBD éclairait pour la toute première fois deux nouvelles formations remarquables : Orchestre Rouge et Kas Product. Premier papier dans le mag de la rue d’Antin et premier concert à Londres pour les deux groupes. Après le choc de la disparition si soudaine de Spatsz la semaine dernière, flashback en forme d’hommage nostalgique au charismatique claviers nancéen…so long mister Spatsz !
La semaine dernière, c’était le choc de la disparition de Spatsz à seulement 62 ans emporté par un arrêt cardiaque. De retour à Paris, en ayant de nouveau accès à mes archives de BEST, je tenais impérativement à saluer la mémoire du cool et débonnaire claviers de Kas Product en republiant mon reportage à Londres pour le BEST 171 qui leur était consacré quelques mois après la sortie de leur fracassant « Try Out ». Spatsz nous a peut-être quittés le week-end dernier à Nancy ( Voir sur Gonzomusic https://gonzomusic.fr/au-revoir-mister-spatsz.html ), il sera toujours vivant dans nos cœurs. Spéciale dédicace à sa long time musical partner Mona Soyoc. Flashback…
Publié dans le BEST numéro 171 sous le titre :
PRODUITS D’EXPORTATION
Si en France un œuf est un œuf, il n’en est pas toujours de même à l’étranger. Pour une maison de disques, c’est pareil. CBS, ici, n’est pas comme CBS là-bas, on n’y trouve pas les mêmes produits. De même, RCA France n’est pas RCA Angleterre. La réciproque du théorème discographique, c’est que l’ensemble RCA ne contient pas les mêmes éléments selon qu’il se place à Paris ou à Londres. Ainsi, RCA Paris peut ne pas presser certains disques, tout comme les Anglais peuvent refuser de distribuer Orchestre Rouge ou Kas Product. Plus que la barrière de la langue, ce qui a toujours empêché les groupes français de percer à l’étranger, c’est l’absence de vinyle: un groupe qui tourne sans disque sur le marché a dix fois plus de mal à s’imposer. Pourtant, six mois après sa sortie, «Try Out» (l‘import français) est déjà chroniqué dans Zig Zag et Sounds où Johnny Waller, mon confrère, écrit: « Kas Product est tout ce qu’on était en droit d’espérer d’un groupe comme Blancmange ou Vicious Pink Phenomena, ils sont assez vrais pour vous mordiller le lobe de l’oreille ou pour vous arracher les yeux. Hé RCA. c’est maintenant où jamais qu’il faut leur faire traverser le channel! »
Martin Heath est journaliste free-lance. En mai dernier, il traînait à Paris pour trouver des sons nouveaux. Sans le savoir, Martin cherchait les sources d’un « Euro-rock », à la fois semblable et différent du modèle anglais. Un soir de mai. dans le 20éme arrondissement, au squatt de la rue des Cascades, le son recherché fut enfin débusqué: « Ce concert où j’ai vu Orchestre Rouge et Kas Product pour la première fois était plutôt agité. Ça me rappelait le tout début du punk en Angleterre: le public, les flics dehors. C’est ce qui m’a donné envie de les faire jouer à Londres. » Martin a beau être aussi speed qu’une pile alcaline, on ne chamboule pas si facilement les mentalités rock. Pour éviter le sempiternel « Ici pas de groupes français», il a dû «vendre» les deux groupes aux Clubs londoniens. Heureusement, Kas et l’Orchestre s’expriment en anglais, le contraire leur aurait certainement été fatal. Sur la scène anglaise, la xénophobie à l’encontre des groupes métèques ( au sens Athénien du terme, stricto sensu) aurait tout de même tendance à s’atténuer. Pour les groupes européens, c’est le moment où jamais de foncer. Martin leur décroche trois dates: l’Embassy, le Venue et le Rock Garden. Reste le problème du financement des gigs, les cachets couvrant à peine les frais de cigarettes. RCA et les éditions Clouseau ( Philippe Constantin : NDR) vont engager les frais des trois dates, un budget d’environ 30 000 F ( 5000€) C’est à peu près le prix d’un mauvais 45 tours ou d’un album de Kas Product, mais cela vaut le coup d’essayer. Si les concerts font assez de foin, RCA Londres pourrait revenir sur sa position et sortir enfin les albums en pressage anglais… même s’il faut un peu leur forcer la main.
Au Venue, après les deux concerts, je glane sur le vif, avec mon walkman Aiwa recorder les réactions du public: «Je crois que Kas Product a compris le sens de l’electronic rock». Randy est un fan de Bauhaus. Il a adoré les deux groupes: «Ce sont les plus excitants que j’aie vus depuis longtemps », affirme-t-il. Shirley ne savait carrément pas qu’ils étaient français: «Je parie que ça peut marcher en Angleterre.» « Pas mal pour des Français », me lance un groupe de punkettes aux cheveux colorés par DeLuxe. Wattie Buchman, chanteur des Exploited et iroquois de son état, a craqué sur Mona, la chanteuse de Kas. Quant à Orchestre Rouge: « Ils sont diablement bons. »
L’espace des deux sets. Chris. l’honorable représentant de RCA Londres a tourné comme un fauve en cage : son stylo à signatures devait certainement le démanger. Dans le même temps, son confrère de Charisma prenait note sur note sur un carnet à spirales. Au Venue, effectivement. Kas Product dévoilera ses aspects les plus fascinants. La musique de Kas sait déranger, c’est l’un de ses charmes, mais il n’est pas seul. Spatsz, dans les escaliers de secours, se confie au micro de BEST
« Pour Mona et moi, c’est un concert comme les autres. Mais l’effet de surprise a joué a fond, tout s’est décidé en moins de quinze jours. C’est un truc où l’on ne gagne pas de fric, c’est promotionnel comme un séjour dans une vitrine. La preuve, les articles dans la presse rock ont eu un caractère déterminant: Melody Maker, Sounds et Zig Zag. Demain, on fait l’interview pour le NME. Les gens de RCA Angleterre sont tombés sur le cul: on a des papiers, on passe tous les soirs sur BBC One On n’est pas vraiment connu, mais ça commence. RCA avait négligé de sortir le disque, aujourd’hui, ils sont un peu dépassés. »
Spatsz et Mona ont respectivement 25 et 21 ans. Ils savent exactement ce qu’ils veulent. Avec Gérard N‘ Guyen, leur co-producteur, ils ont autoréalisé leur LP à un coût dérisoire. Le duo électronique nancéien compte déjà un following montant: Ludovic est grenoblois et il a acheté « Try Out » depuis longtemps. Au Venue, il aura cette remarque : « Nous, les provinciaux, on est obligé d’aller à Londres pour voir les groupes français qu’on aime. » C’est à son t-shirt ABC que j’identifie Johnny Waller, rock critique de Sounds. Lorsque je lui braque mon enregistreur sous le nez, il a un net mouvement de panique: « Hé, d’habitude, c’est moi qui manipule ces engins! » Johnny parie à fond sur les chances de Kas:
« Je suis certain que ça peut marcher, à condition qu’ils trouvent un deal avec une compagnie anglaise. KP peut vraiment décrocher le hit. Quant a Orchestre Rouge, ils ont une chance, mais je ne les imagine pas dans le peloton de tête. Lorsque la possibilité d’un succès massif se présente, il faudrait être stupide pour passer à côté. Kas Product me rappelle complètement Soft Cell, au moins dans son potentiel de N° 1.» Le chef de l’Orchestre Rouge, Théo Hakola, après le gig marathon du Rock Garden, conserve la tête froide : « On est trop vieux pour flipper sur les mythes du rock and roll. On n’est pas encore au niveau des mythes, on est juste venu assurer un boulot. Si tu imagines que l’éditeur français et la maison de disques raquent pour nous, il y a peu de gloire avec ça sur le dos. Je crois simplement qu’on a été a la hauteur: maintenant, on peut jouer n’importe où et se comporter avec un certain savoir-faire. Ce qu’on vient de faire, ça n’est pas encore un triomphe. c’est juste un départ. » Les nouveaux morceaux d’OR comme « Think of All the Starving Children in India » ont toujours ce mordant à la Clash sur toile de fond revendicative. D’ailleurs, lorsque les deux groupes se retrouvent au restau américain au-dessus du Rock Garden, un vif débat s’engage entre Spatsz et Pascal d’OR qui affirme :
«Je crois que le rock a perdu une certaine quintessence de l’art. Or, l’art doit échapper à son époque. Il y puise ses racines puisque le gars vit dans son époque. Mais il est nécessaire qu’il y échappe s’il veut survivre. »
« Donc, pour être un groupe de rock valable, il faut être mort ! Tu crois qu’Elvis n’a pas marqué son époque ? », le tacle Spatsz.
Réponse de Pascal : «Exact, mais tout ce qu’on fait ne passera au futur que comme un art populaire. L’optique qui consiste à se vendre sur un marché, c’est de la cochonnerie. C’est une distorsion qui nous introduit dans un rapport à l’argent, un rapport auquel toute société est condamnée. »
Kas Product et Orchestre Rouge sont en passe de gagner leur pari: RCA Londres va pressera « Try Out», tandis que Virgin sortirait « A Yellow Laughter ». Ces deux groupes seront-ils les premiers représentants de l’euro-rock français? Réponse dans quelques mois lorsque tomberont les premiers chiffres de vente.
Publié dans le BEST numéro 171 daté d’octobre 1982