HOLÀ CARMEN, QUE TAL ?
Holà Carmen… que tal ? Mais si, voyons allons… le fameux opéra « Carmen » de Georges Bizet ! Vous savez l’amour est un enfant de Bohème et toréador en garde … la totale durant 4 actes et près de trois heures de show. Mis en scène par Calixto Bieto, pour un retour triomphal annoncé à l’Opéra National de Paris, place de la Bastille « Carmen » se téléporte dans l’Espagne au crépuscule de l’ère du « Caudillo » Franco !
Par Jean-Christophe MARY
Sexe, alcool, Mercedes Benz, l’amour, la mort… Calixto Bieto, place le mythe de la passion amoureuse dans l’Espagne franquiste du milieu des 70’s. Soutenue par la musique vive et enflammée de Georges Bizet, le metteur en scène espagnol braque la lumière deux des rôles les plus exigeants du répertoire lyrique. À Séville en Espagne, Carmen, une jeune bohémienne rebelle et séductrice, déclenche une bagarre dans la manufacture de tabac où elle travaille. Elle se fait arrêter. Le brigadier Don José, chargé de la mener en prison, tombe sous son charme et la laisse s’échapper. Par amour pour elle, il va déserter et rejoindre les contrebandiers. Mais Carmen très vite va se lasser de lui et se laisser séduire par Esacamillo, un célèbre torero. Don José, fou de désespoir et dévoré par la jalousie, la frappe à mort avec un poignard.
Quel scandale le 3 mars 1875, lors de la création de Carmen à l’Opéra‑Comique devant un public choqué par ce « dévergondage castillan » ! Georges Bizet mourra trois mois plus tard, sans se douter que sa partition deviendrait l’une des plus jouées au monde. Si le succès de l’œuvre est dû à ses mélodies inoubliables, il doit beaucoup au caractère affranchi de la célèbre cigarière. « Jamais Carmen ne cèdera, libre elle est née, libre elle mourra », lance l’héroïne à Don José à la fin de l’opéra. Cette irrépressible liberté, couplée à la nécessité de vivre toujours plus intensément sur le fil du rasoir, la mise en scène de Calixto Bieito en rend compte comme nulle autre. Vamp aguicheuse et insoumise, témoin de la brutalité masculine et sociétale, elle roule à grande vitesse, pressée d’exister. Durant deux heures quarante, l’œuvre adaptée de la nouvelle de Prosper Mérimée (1847) est certainement l’une des plus connue et des plus accessible du répertoire français. L’histoire retrace le destin tragique de deux amants. Un amour fou dont la délivrance sera la mort
Crée en 1999 au festival de Peralada (Espagne) et donné pour la première fois en 2017 à l’Opéra National de Paris, la mise en scène de Calixto Bieito frappe toujours autant par sa modernité Dans un décor sobre et des jeux de lumières aussi froids qu’éclairants, sa vision de Carmen prend le contrepied du cliché que l’on se fait du personnage de Mérimée. Loin d’être une femme fatale, la Carmen de Calixto Bieito est une femme complexe aux multiples visages, une femme de son temps, avec son propre ADN. Pas plus que Frasquita et Mercedes, ses deux amies ouvrières, Carmen ne serait une prostituée. Certes, il lui arrive d’entrainer les soldats à boire, de se donner à eux si elle en a envie. Mais Carmen est avant tout une femme libre, simple, pas spécialement éduquée. Elle veut aimer, se sentir désirée, pouvoir courir, voler dans cette Espagne sous la chape de plomb franquiste. Carmen c’est l’irruption d’une sexualité affirmée en réaction à des décennies de puritanisme. Concernant le rôle masculin principal, Calixto Bieito fait du soldat José un homme violent, en souffrance, luttant avec lui-même, son devoir de militaire, l’influence de sa mère.
Cette reprise est particulièrement attendue de ceux qui auront déjà vue cette production ici en 2017 et 2019 avec on s’en souvient, l’immense Roberto Alagna dans le rôle de Don José. Dès le premier acte, le rideau se lèvera sur un dispositif scénique minimaliste : une cabine téléphonique sur laquelle grimpent des soldats franquistes en rut, un mat central remplacé en 2eme partie par un panneau publicitaire en forme de taureau, des Mercedes Benz 70’s pour évoquer les roulottes des gitans contrebandiers ou les taureaux de corrida (quand les phares sont allumés !), des robes à fleurs, des mini short à carreaux et santiags, une glacière et une chaise de pique-nique, autant d’objets et costumes qui rappelle l’univers d’Almodovar. A l’opposé du décor « traditionnel » de la mise en scène d’Alfredo Arias (1997) qui reconstituait de manière très réaliste une arène andalouse du siècle dernier, Calixto Bieito propose la vision contemporaine d’une Espagne entre le milieu des 70’s et le début des 80’s, encore marquée par Franco. Dès la scène d’ouverture, le spectateur est plongé dans cette période trouble avec ces soldats en treillis et au garde à vous, face à l’épreuve infligée à un malheureux soldat qui court torse nu, en slip et rangers, jusqu’à l’épuisement. Cette scène renvoie à la torture typique de qu’infligeaient les gradés aux soldats. La mise en espace est sobre de bout en bout jusqu’à la scène finale avec ce cercle dessiné à la craie blanche, au milieu duquel Don José (assimilé à Escamillio qui lui combat à côté dans une vraie arène ! ) et Carmen (représentant le taureau que l’on met à mort !) s’affrontent, voués au désespoir et à la mort, dans une ultime corrida sentimentale. Un final grandiose qui vous colle des frissons !
A noter que cette belle production d’exception réunit sur un même plateau une flopée de pointures lyriques parmi lesquelles Michael Spyres en alternance avec Joseph Calleja (dans le rôle de Don José), Gaëlle Arquez dans le rôle de Carmen en alternance avec Clémentine Margaine (qui était déjà présente sur la production de 2017 !), Golda Schultz et Adriana Gonzalez (Micaela) et Lucas Meachem dans le rôle du torero Escamillo. Si on ajoute à cela un mariage de costumes colorés des années 70, la musique imposante et majestueuse de Bizet, une direction d’orchestre confiée à la baguette de Fabien Gabel qui fait ses débuts à l’Opéra National de Paris, ces quinze nouvelles représentations raisonnent déjà aux airs de triomphe. Du 15 novembre au 25 février 2023. Pensez à réserver !