HIER SOIR LE VOISIN EST MORT : CHRISTOPHE, PAR YANN PLOUGASTEL
Hier soir le voisin est mort… mon éminent collègue, Yann Plougastel était géographiquement très proche de Christophe. Apprenant la mort du dernier des Bevilacqua, l’ami Ploug a laissé filer le cours de l’émotion, écrivant ces quelques mots, emprunts de poésie et de références à ses chansons. Alors, en route pour « les paradis perdus » de Montparnasse, fief de son éternelle « dolce vita » sonique.
Décidément, le déchirant départ de Christophe ne peut laisser quiconque indifférent. Après Dominique Duforest et ses souvenirs de gosse traduits en « mots bleus » ( Voir sur Gonzomusic https://gonzomusic.fr/les-mots-bleus-de-dominique-duforest-pour-christophe.html ), puis Pierre Mikaïloff et ses flash-backs d’une nuit magique chez le chanteur de « Merci John d’être venu »( Voir sur Gonzomusic https://gonzomusic.fr/il-y-a-plein-de-gens-quont-jamais-compris-le-vrai-truc-daline-ma-nuit-chez-christophe.html ), c’est au tour du journaliste du Monde Yann Plougastel de nous faire partager « son » Christophe.
Par Yann PLOUGASTEL
Ce sont juste trois mots griffonnés après une journée à écouter ses disques. Le plus dingue pour moi, c’est que ce soir dans la rue, les gens ont diffusé aux fenêtres ses chansons en applaudissant. Il aurait été stupéfait je pense.
Hier soir, le voisin est mort. Rien ne va plus chez les gringos car rien ne sera plus comme avant. La Closerie des Lilas est fermée. Le Rosebud aussi. Les fins comme au cinéma, cela n’existe pas et Hollywood, paraît-il, ne veut pas mourir. Il n’empêche. ll était le dernier à tout jouer sur une paire de rois. Les mots se lézardent sur le boulevard. Quand on rentrait, tard ou au petit matin, il suffisait de lever la tête vers la baie vitrée du troisième, pour voir la lumière mauve et l’imaginer, vigie écorchée veillant sur la ville endormie, assis devant son piano, à tisser quelques mélodies pour saluer l’aube. Parfois, il surgissait sur le boulevard juché sur un vélo électrique. D’autres fois, il s’engouffrait dans une berline noire qui l’attendait devant l’immeuble et partait pour Tanger. Ou Rome. Ou Capri. On ne savait. Insaisissable.
Il y avait Isabelle Adjani qui poussait la porte. Laetitia Casta, aussi. Ou Jacques Dutronc. Ou des jeunes femmes en robe noire qui venaient lui lire des romans gros comme le Ritz. On le croisait chez le marchand de fleurs d’à côté. La dernière fois, il était assis derrière la vitre du japonais d’en bas. Seul. Comme dans un tableau de Hopper. Hier soir, le voisin est mort. Là-bas, près de cette rade où j’ai grandi en écoutant les piou piou des mouettes. Ce soir, nous allons ouvrir les fenêtres, celles qui donnent sur la rue, au-dessus de chez lui et nous mettrons fort, très fort, « Les marionnettes ». Ce soir, la rue de « À bout de souffle » applaudira le dernier des Bevilacqua.