Au revoir ami Jiří

Jiri Smetana, fier de sa fille Emma

Jiří Smetana, fier de sa fille Emma

 

Un authentique héros de la rock culture nous a quittés hier. Au tournant des 80’s, Jiří Smetana était aux commandes (cruciales) de la programmation du Gibus, le seul club de rock parisien, depuis que le Golf-Drouot avait été transformé en MacDo. Jiří choisissait avec art les formations – souvent punks ET Pub rock – qui se succédaient alors, grâce à lui, chaque soir, sur la scène du Gibus. Hélas, l’ami Jiří souffrait depuis 2014 d’un lourd diabète suite à plusieurs erreurs médicales et, voici dix huit mois, il était tombé dans le coma. Emma Smetana, sa fille chanteuse-comédienne nous a annoncé ce jour la plus triste des news : Jiří s’est éteint hier soir. Il venait tout juste d’avoir 71 ans. Son décès me donne la boule au ventre, tandis que les flashs de nos fous-rires résonnent à nouveau dans ma tête. So long Jiří .

 

 

Jiri & Emma Smetana

Jiri & Emma Smetana

Si je suis incapable de me souvenir de la toute première fois où j’ai vu Jiří, le lieu par contre ne fait aucun doute : c’était au Gibus, rue du Faubourg du Temple. J’étais pigiste depuis quelques mois seulement pour « Sandwich », le supplément de Libération dirigé par le brillant Jean-Luc Hennig et pour Rock & Folk. J’avais débarqué dans le club de la République, sans doute à l’invitation d’un groupe. Et c’est là que j’ai rencontré Jiří. Son français impeccable se distinguait par une pointe d’accent venu de l’Est. Lorsqu’on discutait avec lui, il vous confiait qu’il était originaire de Prague et l’on comprenait alors qu’il avait voulu échapper au régime communiste de sa Tchécoslovaquie natale en se réfugiant à Paris. Il avait d’ailleurs quitté son pays en 68, juste après la chute de Dubcek. À l’instar de son ami, le dissident Vaclav  Havel, Jiří vénérait les Beatles et le Velvet Underground de Lou Reed, des symboles de liberté de l’Europe de l’ouest. Musicien et parolier, il avait participé à la composition de chansons pour les légendaires groupes de rock tchèques les Matadors et Blue Effect, et fréquentait Plastic People of the Universe, le groupe dissident de Milan Hlavsa qui deviendra Pulnoc en 1990.

 « Un groupe de rock local débutant, The Primitive Group, a découvert le Velvet Underground en 1967. Juste après le coup d’état communiste qui met fin au Printemps de Prague, leur leader Milan Hlavsa fonde The Plastic People of the Universe. Dans les années qui suivent, The Plastic People of the Universe jouent semi-clandestinement dans un cercle urbain. Ils n’ont donc pas le statut de musiciens professionnels. Ils ont tous un emploi légal dans un pays et dans un système social où le chômage n’existe quasiment pas. Ils jouent dans des soirées privées gratuites, de type grange en dehors de la ville. Leur répertoire comprend plusieurs titres du Velvet Underground, qui les inspirent beaucoup, dont « All Tomorrow’s Parties ». Ils les interprètent en compagnie de leur ami poète Ivan Jirous, qui dit ses poèmes à un auditoire restreint. Des deux côtés du rideau de fer, la musique anti-autoritaire du Velvet Underground est perçue comme un vent de liberté qui donne le vertige à certains, à l’ouest comme à l’est. À Prague, comme les disques des Beatles (très appréciés en Europe de l’Est), le Velvet Underground compte parmi les symboles de la liberté d’expression tant malmenée par la dictature soviétique. The Plastic People of the Universe joueront quelques années plus tard un rôle dans la vie de Lou Reed (voir 1990-1991). »

 » En 1976 à Prague, les membres de The Plastic People of the Universe sont arrêtés et emprisonnés. Chantées en tchèque, leurs paroles très punk expriment leur rejet de la société (approximativement : « On a 17 ans/quand on voit la vie ici/on ne peut que vomir /on est dégoûtés »), comme au même moment celles du Clash à Londres, de Métal Urbain à Paris, de Nina Hagen à Berlin Est, de Peter Tosh à Kingston ou de Suicide à New York. Elles sont radicalement inverses au message optimiste exigé par la dictature communiste. Ils interprètent aussi des chansons du Velvet Underground lors de leurs concerts privés, auxquels assistent parfois des dissidents et intellectuels. C’est à ce stade que le dramaturge dissident Václav Havel leur apporte son soutien et se rapproche d’eux. Ils resteront amis. Amateur du Velvet Underground comme eux, Havel est à ce moment-là l’un des auteurs de la charte des 77, un mouvement dissident tchécoslovaque qui finira par prendre le pouvoir en 1989.  »

Extrait de « Lou Reed, Electric Dandy » de Bruno Blum, auquel Jiří Smetana a participé pour toute la partie tchèque).

Comme le dramaturge et futur président Václav Havel, Jiří avait été marqué par le Velvet Underground, ce qui explique peut-être son ouverture aux artistes controversés, notamment les punks qui incarnaient alors une puissante révolution sonique, face aux dinosaures des groupes de rock qui s’embourbaient alors dans les sables mouvants de longs solos de guitare ou autres instruments. Comme les Ramones qui prônaient le « 1…2..3…let’s go » et balançaient des chansons de moins de trois minutes. Ouvert à la punkitude, mais esthète, Jiří pratiquait le culte de la culture. Et à ce titre, ses choix musicaux se révélaient toujours affirmés… et défendus, notamment face aux propriétaires du Gibus de l’époque, la fratrie Taïeb.

Un producteur musical éclairé

Jiri & Emma

Avec Jiří, le temps n’existait plus. Au Gibus, les concerts commençaient rarement avant une heure du matin, ce qui nous laissait tout le temps de deviser sur l’état du rock en particulier et le monde en général. Il évoquait souvent sa fille Emma.  Il se distinguait également par son extraordinaire générosité. En ce temps-là, le Gibus était doté… d’une pizzeria et Jiří savait fort bien que les jeunes journalistes free-lance comme moi crevions la dalle, car nous étions évidemment sous-payés, avec des piges de misère. Grand seigneur, Jiří m’invitait souvent à diner, je ne l’ai jamais oublié. Grâce à lui, des milliers d’artistes ont pu avoir accès à une scène à Paris, ouvrant des portes à des musiciens souvent jeunes et inexpérimentés.

« Mon travail n’était pas tellement difficile parce qu’il n’y avait pas vraiment de concurrence, parce qu’il n’y avait pas d’autres clubs qui programmaient des groupes inconnus. Je recevais une cinquantaine de cassettes par semaine. C’était assez facile avec les groupes français, et un peu plus difficile avec les groupes anglais parce qu’il fallait payer les déplacements, les hôtels. Parfois, certains groupes étaient déjà connus en Angleterre mais inconnus en France. Je n’avais pas d’aide de l’extérieur, sauf celle parfois des maisons de disques et plus tard celle de Jack Lang, qui à partir de 1986 m’a donné des subventions pour dédommager les frais des groupes français qui venaient jouer, donc cela aidait beaucoup. Quand il y avait des groupes connus, les concerts étaient à 20h parce qu’on savait qu’il y aurait du monde. Mais il n’y avait pas beaucoup de groupes connus, parce que souvent, on a programmé les groupes avant qu’ils ne deviennent connus, comme Police ou les Pretenders. Personne ne les connaissait quand ils sont passés au Gibus, et ils sont devenus après mondialement connus. Parfois ces groupes revenaient ensuite quand ils étaient en fin de carrière. » (entretien avec Anne-Claire Veluire)

En plus de ses programmations courageuses au Gibus, Jiří était également un producteur musical éclairé, pariant sur des formations d’excellentes factures, comme les anglais d’Orange Disaster ou le jeune Christophe J, justement une réincarnation de Lennon pour lequel il avait écrit « Wall of Kampa » (composée en l’honneur de John Lennon et des hippies tchèques qui résistaient en inscrivant, malgré les risques de poursuite policière, leurs messages « peace & love » sur un mur du quartier de Kampa, au cœur de Prague) et « I Say Yeah » inclus sur l’album « Sons of Waterloo », qu’il avait aussi produit. Parfait érudit des Beatles et grand admirateur de John Lennon, il était également sensible au clacissisme blues du pub rock de ses amis The Inmates — et autres Nine Below Zero, qu’il programmait souvent dans son club.

Emma

Jiri & Vaclav Havel

Jiri & Vaclav Havel

 

En 1996, dans la foulée des révoltes de Solidarnosc en Pologne, de la perestroïka de Gorbachev et de la révolution de velours de son ami Havel, Jiří décide de retourner à Prague où vit également sa fille Emma. Son pote Président n’était-il pas lui aussi un aficionado affirmé du Velvet et de Lou Reed, à une époque où écouter du rock occidental derrière le « rideau de fer » était déjà un acte politique en soi ? C’est à Prague, justement, qu’il fit découvrir la chanteuse Věra Bílá, surnommée la « Ella Fitzgerald de la musique tzigane » dont il devint quelques années l’imprésario et la fit tourner dans le monde entier.

Avec Jiří, nous nous étions perdus de vue depuis des années. J’étais pour la première fois de ma vie à Prague en 2008 et je me souviens avoir découvert avec terreur qu’il y avait au moins deux pages de Jiří Smetana dans l’annuaire local. Mais la « magie » Zuckerberg nous a réunis. Après s’être retrouvés sur Facebook, nous avons pu à nouveau échanger au téléphone. Jiří était particulièrement fier de sa fille Emma, aussi ravissante que douée, mannequin, comédienne , présentatrice télé et bien entendu tradition familiale oblige, chanteuse de rock. Elle a écrit ces quelques mots à Bruno Blum : « Papa a décidé de nous quitter ce matin à 8 heures. Il a fait connaissance de sa petite fille Lennon mardi. Elle est née le 16 décembre comme lui… comme s’il avait décidé d’attendre son arrivée pour pouvoir partir tranquille. » Emma précise également que l’enterrement aura lieu le 29 décembre. Je me demandais pourquoi Jiri n’avait pas réagi à mes vœux d’anniversaire, en fait il souffrait d’une forme particulièrement agressive du diabète suite à plusieurs erreurs médicales – à un mauvais diagnostic (tumeur du pancréas) et une opération inutile (ils lui ont ôté 7 organes, dont le pancréas). Jiří était dans le coma depuis déjà de longs mois. Il nous quitte à seulement 71 ans. Les visages du rock et du punk n’auraient jamais été les mêmes, sans l’ami Jiří.  Bruno Blum m’a annoncé la triste news, ils étaient proches, Jiří l’avait aidé à publier en tchèque sa biographie de Lou Reed. Dès qu’il s’agissait de filer un coup de main au nom du rock, Jiří ne répondait toujours t’il pas présent ? U will B miss my friend…au revoir Jiří.

PS: Un message d’hommage émouvant de Peter Gunn, le guitariste des Inmates vient de me parvenir: « J’ai eu la chance de connaitre Jiří durant 36 ans. Nous avons passé tant de bons moments ensemble. Jamais il ne cessera de me manquer… »

 

 

GBD avec Bruno BLUM

 

 

 

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8 réponses

  1. GOOD BYE JIRI je me joins a ta peine gérard que d’artistes et de soirées et de nuits géniales passer grâce a cette légende.

  2. Peter Gunn dit :

    I am fortunate to have known Jiri for 36 years. We had some great times together. He was such a good friend. I will always miss him….

    • GBD dit :

      Hey Peter…this is Gerard BAR-DAVID ( BEST mag etc…& Gonzo) many thanx for your kind testimony…I published it at the end of the article on Jiri…check it up . If you have more to say about our dear friend, I’ll be happy to publish it. My personal mail is gerardbardavid@gmail.com …take care !

  3. Cheffik Michèle dit :

    Je suis complètement attristée de ton départ Jiri ! j’ai tellement passé de bons moments au Gibus avec ma sœur, tu nous parlais avec ton petit accent tchèque qui m’allait droit au cœur, tu m’as séduite par ton regard bleu et tes idées sur la vie, j’étais folle de toi et te sentais envahie par la bonne musique ! Tu m’as manqué, tu me manques, tu me manqueras !

  4. MarieMICHEL dit :

    J’ai connu Jiri moi aussi il était DJ au Gibus Club dans les années 1976 j’avais 20 ans et j’y étais tous les samedis soirs j’en ai vu des supers groupes là-bas. Merci pour ce bel hommage à Jiri je me souviendrai toujours du morceau « a horse with no name » du groupe America , Jiri me le passait toujours en fin de soirée et la folle qui dansait toute seule sur la piste … c’était moi. Merci Jiri je t’aimais bien, je me souviens encore de ton regard bleu et ton sourire qui cachait une grande timidité et beaucoup de gentilesse. Jamais je ne t’oublierai. Marie « le colibri » c’est comme ça que m’appelait ton pote le photographe du Gibus.

  5. Frédéric LO dit :

    Bonjour Gérard,
    Je viens seulement de lire ce mapierysur Jiri.
    Je l’ai bien connu aussi, dans les années 80, il programmé très souvent mon groupe, Eleonora, le week-end au Gibus. Que de bons souvenirs…
    Je t’embrasse.
    Frédéric LO

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