CISCODATS : HISTOIRES SANS PAROLES
Au début des 80’s, pour la mythique rubrique « Le Rock d’ici » dans BEST consacrée à la fine fleur du rock Français, j’interviewais un duo électro-pop du nom d’Opéra. Ils avaient réussi à squatter la place de l’Opéra le jour de la fête de la musique mobilisant un public énorme pour un groupe inconnu. Et en cerise sur le gâteau, ils étaient même parvenus à se faire photographier sur le toit du Palais Garnier. Plus de trente années passées, Patrick Dattas l’ex-bassiste/chanteur d’Opéra revient avec une nouvelle formation, toujours sous la forme du duo, mais dont l’originalité est de n’enregistrer que des instrumentaux. Portrait d’un chanteur qui a renoncé à chanter pour ne pas être trop bavard, une rareté absolue dans l’univers si nombrilique du showbiz.
Certes, Patrick Dattas, l’ex-chanteur du duo pop synthétique Opéra, a perdu quelques cheveux au passage. Mais son enthousiasme est demeuré absolument intact. Rencontre avec un chanteur qui a su renoncer à l’addiction du micro pour mieux s’exprimer, un fait si exceptionnel qu’il mérite bien qu’on s’y attarde.
On s’est rencontrés en 1983
Oui je crois bien ; cela fait quelques années. C’était au moment de la naissance de mon groupe Opéra dont tu t’étais fait l’écho, dans la fameuse rubrique de BEST « Le rock d’ici », dont j’étais le chanteur-bassiste. Mon collègue du duo Gérard Tellier nous a hélas quittés voici déjà une dizaine d’années, malheureusement comme beaucoup. Tu vois, cette dualité dans la musique me poursuit puisque je fais à nouveau partie d’un duo avec Ciscodats. Même si j’adore les trios qui constituent, à mon sens, l’essence même du rock avec la trilogie guitare/basse/batterie, autant j’ai toujours travaillé en binôme. Que cela soit avec Gérard quand on a créé Opéra ou dans cette aventure Ciscodats que nous partageons à deux. J’aime bien ce travail à deux têtes. On n’a pas nécessairement les mêmes envies ni les mêmes connaissances musicales, on s’apporte à chaque fois mutuellement des choses.
Alors, tu viens d’où ?
Je viens de Paris, je suis un petit parisien, un gamin de la rue de la Fontaine au Roi. Dans le XIéme, où j’ai vécu plus de 12 ans avec mes parents. Les grands-parents étaient boulevard Voltaire. Puis nous avons migré vers la banlieue nord est, celle qui porte désormais le numéro 9-3. À Livry-Gargan et là, c’était vraiment une autre vie. Qui ne m’a pas du tout comblée, on va dire. Donc je suis revenu assez vite à Paris. Cette électricité propre à la grande ville me manquait terriblement.
Qu’est-ce qui t’a donné envie d’être chanteur. C’était pour impressionner les filles ?
C’est vrai que cela marchait toujours lorsque tu savais jouer un peu les Beatles et les Rolling Stones tout comme Maxime Le Forestier. Si tu savais jouer « C’est une maison bleue », c’était gagné d’avance. J’avais la chance de chanter juste aussi, cela aide. Mes débuts c’était dans ce qu’on appelait les « garage bands » lorsque j’avais 14 ans, avec trois copains. On jouait chaque samedi et chaque dimanche dans un garage pourri, avec un ampli pourri et des instruments qui n’existent sans doute plus. Cela a démarré comme ça. Je suis parti très vite de chez mes parents. J’ai fait la manche avec une gratte acoustique. Et là je me suis rendu compte que, plaire aux nanas et gagner un peu de sous pour manger, à 15 ans, c’était vraiment cool. Pourtant, dans ma famille, je n’avais aucun antécédent dans la musique. Je faisais des reprises de Crosby, Stills & Nash, Donovan, Dylan…tous ces gens-là, en guitare/voix. Cela remonte à 1969, dans la foulée de mai 68, des festivals de Wight de Woodstock avec Hendrix, les Who, Janis Joplin… et presque aucun français. Il n’y avait que la musique anglo-saxonne qui nous semblait vraie. Quand je faisais la manche, je ne faisais que des covers de Cat Stevens, les Beatles, Neil Young, les Stones, tout cela plaisait beaucoup. Après, quand j’ai commencé à monter des groupes, on faisait quelques reprises de Hendrix, Led Zep ou Deep Purple pour s’échauffer, avant de passer aux choses sérieuses. Une fois qu’on s’était bien cassé les doigts, comme on disait alors, on se lançait dans la création…voire la récréation ;). On inventait alors des morceaux de 15 minutes qu’on interprètait en Français. Bien entendu, j’écrivais les textes de ces morceaux à rallonges comme chez des groupes comme Yes ou Pink Floyd qui avaient su casser le fameux format de 3’’ 30’’ ! Je songe aussi à King Krimson ou Genesis qui n’avaient pas spécialement la côte à ce moment-là, Caravan aussi. On avait l’impression prodigieuse que tous ces artistes savaient repousser les frontières de notre imaginaire, que ces groupes étaient capables de tout. Alors, forcément, on cherchait à les imiter. On faisait comme eux des titres à rallonges. Après je me lance en parallèle dans des études de cinéma. Mais, à un moment donné, j’ai dû faire un choix. Mes parents n’étaient pas riches et j’ai eu la chance d’avoir une infiltration dans la musique.
Oui…je me suis infiltré, mais professionnellement ! Avec la complicité d’une femme, Geneviève Paris. Moi, j’avais 21 ans, elle en avait 18 et j’ai vu arriver une fille absolument prodigieuse qui jouait de la guitare de manière insensée, qui avait la voix de Janis Joplin. Elle avait une très forte personnalité et chantait exclusivement en anglais. On a décidé de monter un groupe ensemble, on a même joué au fameux Centre Américain où l’on programmait des groupes à l’époque, mais elle a été très vite repérée par Maxime le Forestier. Elle est devenue sa guitariste. Avant de devenir celle de Julien Clerc qui lui proposait de faire trois chansons à elle durant ses propres concerts. Elle a dû enregistrer 3 ou 4 , qui n’ont pas franchement marché. Hélas, moi je me suis vite fait éjecter, mais cela m’a au moins donné une chance de mettre un pied dans le milieu et de découvrir l’aspect professionnel dans lequel j’avais choisi d’évoluer. C’est là que j’ai rencontré Jean-Yves Liévaux, au concert de Julien Clerc où Geneviève m’avait invité. Il était déjà signé chez Pathé-Marconi en tant qu’artiste, mais il devait encore monter son groupe. Entre temps, moi j’avais adopté la basse. Lui connaissait déjà un guitariste et en très peu de temps est né Lievaux Transfo où j’étais bassiste et compositeur des titres. C’était en 78.
Moi je n’ai démarré dans la presse qu’en 79 😉
On a fait le Bataclan, joué à la Fête de l’Huma avec tous les grands, c’était vraiment grisant. On a rapidement fait un premier LP, où j’avais composé le « titre phare », qui avait un tout petit peu marché en radio. Il n’y avait pas encore de « radios libres ». Mais, très vite, il y a eu un souci avec le chanteur. Comme le disait si bien un ex-bassiste de Magma « Il ne peut pas y avoir deux capitaines sur le même bateau. Et Jean Yves et moi avons clashé, car il avait à mon gout un penchant un peu trop marqué pour la variété française et moi je voulais plus l’amener vers le rock. Donc, je suis parti et j’ai été remplacé. Le groupe a continué un an ou deux. Moi j’ai commencé à jouer de la basse un peu partout, assurant aussi des séances pour des spots publicitaires. J’ai fini par rencontrer un claviers, Gérard, et, grâce à la complicité d’un ingé son du studio du Palais des Congrès, on a pu enregistrer la nuit, en douce, quatre titres en 24 pistes, ce qui était alors un luxe effréné pour l’époque. Et avec ça j’ai pu commencer à démarcher et j’ai rencontré cet incroyable éditeur anglais du nom de Paul Banes qui dirigeait Island publishing, la section édition du label de Blackwell. Je lui fait écouter la demo et il me dit dans son français approximatif, surtout à l’époque : ça me plait, ce que vous faites. Comment vous vous appelez ? » Et là, avec Gérard , en cherchant un nom, je balance le mot « opéra », car nous sommes dans les années 80 , on ne fait pas de rock and roll. C’est l’arrivée massive des synthés. Et on formait un duo, à l’instar d’OMD et autres. Alors on est devenu Opéra.
Le souvenir que je garde d’Opéra, c’est une new wave un peu schtarbée…
Voilà…c’était vraiment cet esprit-là. Et lui ça le botte. Il écoute notre quatre titres et nous dit : « tout cela me plait bien ; je vais vous envoyer en Angleterre rencontrer des producteurs. » Nous partons donc en Angleterre, à la rencontre de Rupert Hine, qui n’était hélas pas dispo. Puis nous tombons sur Steve James qui est marié à une Française, ce qui facilite les choses même si Gérard, mon partenaire avec sa double nationalité française et américaine parlait couramment anglais. Steve James était OK. On a enregistré là bas pendant un mois avec des super musiciens anglais. Puis on est allé mixer au Marquee Club.
Alice au pays des merveilles !
Un rêve, même si pour certains c’est plus les USA . mais pour nous c’était bien l’Angleterre ?
Donc vous enregistrez ce premier LP qui sort en…
83…chez Ariola ( qui deviendra ensuite BMG : NDR) et, bien entendu, aux édition Island. Nous ne pensions qu’à une chose : tous les concerts qu’on allait faire, toutes les premières parties que nous allions pouvoir assurer. Cependant, la maison de disques n’a pas bougé le petit doigt, car ils avaient un autre groupe du nom d’Indochine sur lequel ils misaient tout. Même si ce que nous faisions n’avait rien à voir avec la musique d’Indochine. De même, Lio semblait beaucoup compter également, contrairement à nous. Mais bon, on se fait une raison. On enregistre le second Opéra, cette fois en France, mais toujours dans de bonnes conditions. On est au milieu des 80’s, ce sont les premières fêtes de la musique et nous parvenons à décrocher…la place de l’Opéra, le parvis devant l’Opéra de Paris. Un rêve. Pour donner un concert absolument génial devant 5000 personnes. On a même eu une double page dans Paris-Match et nos photos sur les toits de l’Opéra de Paris. Mais Ariola s’en fichait. On a également donné un super concert au Rex-Club. On a assuré la première partie parisenne de Talk Talk. Du coup, on a fait toute la tournée d’été avec eux, dont les fameuses arènes de Fréjus. Jamais aucun représentant du label ne s’est déplacé pour venir nous voir sur scène. En 87, finalement, ils nous rendent notre contrat.
Et ensuite?
Après tous ces déboires, j’entreprends une carrière solo avec plus ou moins de succès. Je continue à travailler dans la pub et là cela marche très fort. Je rencontre Francis Martin, qui était à l’époque producteur dans la publicité. C’est une rencontre qui se passe bien. Au fil des années, on décide d’essayer de faire des choses ensemble. Mais on se perd de vue, avant de finalement se retrouver voici 5 ans. Et là, il finit par me dire : « pourquoi ne pas tenter ensemble une aventure musicale ? ». Moi qui n’écrivais que de chansons, cela me faisait un peu peur. Mais en fait, je m’y suis très vite fait. Lui était très doué avec les machines, là où moi je suis nul. Par contre, je lui apportais tout le côté « acoustique » comme les guitares, les vraies basses, etc… Il vit en Normandie où il a son studio. Je suis parti là-bas bosser pendant une semaine et on avait déjà engrangé des tas de titres qui nous plaisaient beaucoup. Du coup, cela nous a donné envie de continuer à faire de la musique dite instrumentale que moi j’appelle à « vocations multiples », car elles peuvent servir pour de la pub, pour des films, des téléfilms, des documentaires, pour des reportages, des émissions de radio…ou juste pour le plaisir. Car, de notre côté, nous prenions un énorme plaisir à bosser ensemble et sans aucun tabou, sans aucun interdit, comme si l’instrumental nous apportait plus de liberté que le format chanson. C’est ainsi qu’est né notre association Ciscodats, si libre de ses mouvements, car nous n’avons de compte à rendre à personne. Et il n’y a pas d’ego de chanteur leader quand c’est instrumental. Et la technologie d’aujourd’hui nous a aussi beaucoup aidés avec les ordis et les échanges de fichiers. On a sorti « Atmo-Sphaira », notre premier album, en 2013. Puis, on a enchainé avec le bien nommé « No Lyrics », puisque toujours instrumental. Et, cet été, on a sorti un « Best of » des deux premiers albums, histoire de s’amuser un peu plus. On prépare déjà le troisième album de Ciscodats.
Histoires sans paroles, mais aussi histoires sans public ?
Oui, pour l’instant, car une tournée est difficile à mettre en place. Surtout sans label, sans éditeur ni manager. Et sans tourneur.
Mais le public serait-il prêt à aller voir un groupe instru qui ne soit ni classique ni jazz ? T’es-tu posé la question ?
Je suis certain que oui. Le public est bien plus ouvert qu’on ne le croit.
Musicalement, Ciscodats, dans le son et dans la démarche me rappelle Stewart Copeland, le batteur de Police, qui faisait justement de brillants albums instrumentaux. On songe aussi aux collaborations Eno and Byrne, pour leur côté funk glacé.
Normal ce sont un peu aussi nos influences; mais on cherche avant tout à se faire plaisir sans avoir de compte à rendre à quiconque à part nous-mêmes. D’ailleurs, le seul critère entre nous, c’est unanimité et jusqu’à présent on est toujours tout le temps sur la même longueur d’onde.
LOL,ca fait un poil vieux couple !
Tu as raison c’est un peu ça. Mais ce vieux couple s’entend bien, c’est le cas de le dire, et on n’est pas prêt de divorcer.
Et, au moins, on ne peut pas vous faire le reproche que la voix du chanteur soit emmerdante !
(rires)
https://ciscodats.bandcamp.com/releases