IGGY POP « Every Loser »
À 76 ans et à l’heure où certains jouissent d’une retraite bien méritée, Iggy Pop incarne toujours la rock’n’roll attitude. La preuve par « Every Loser » son petit nouveau qui témoigne d’une vitalité et d’une force époustouflante portée par un album forcément bruyant, bourré de testostérone et qui offre à notre iguane favorite l’occasion de démontrer qu’il n’a rien perdu de sa vitalité de grand fauve rock.
Par Jean-Christophe MARY
Iggy Pop, 76 printemps cette année, restera pour les fans et les puristes, le leader incontesté des Stooges, groupe tapageur des 60’s et70’s, aux hymnes nihilistes qui inspirera quelques années plus tard le mouvement punk. Usé par les drogues et les excès divers, il échouera au fond d’un asile pour revenir sous la protection de David Bowie qui produira pour lui quelques albums géniaux ou inégaux. Sa véritable deuxième carrière démarre grâce à une chanson extraite de la bande son d’« Arizona Dreams ». Le grand public découvre alors un frappadingue au physique improbable, sorte de croisement entre le danseur étoile Noureev et l’homme de Neandertal. Sur scène, celui que l’on surnomme l’Iguane se lacère le torse à coups de tessons de bouteilles, hurle comme un possédé et danse à demi nu dans une sorte de ballet démoniaque. Si il ne carbure plus aujourd’hui qu’au jus de carotte, en live Iggy sue et dégage ses tripes comme s’il allait mourir sous les spotlights, comme si chaque concert était son dernier, avec cette voix profonde et rocailleuse, identifiable entre mille. C’est donc avec un plaisir extrême que l’on goûte à ce retour inattendu. Retour d’autant plus satisfaisant que l’on oublie vite les précédents albums post 2000. On reprend l’histoire là où on l’avait laissé, autrement dit après les fabuleux « Beat Em Up » (2001) et « Post Pop Depression » (2016) produit par Josh Homme. Car « L’Iguane » chante le rock comme on devrait toujours l’entendre, avec cette puissance primitive. Boosté par une brochette de prestigieux musiciens « Every Loser » respire la fraîcheur et la férocité carnivore, la sauvagerie border-line d’un des meilleurs gang punk-rock américain. Un vent de folie souffle du début à la fin, les guitares sont brillantes, les arrangements furieusement déjantés. Bref un ensemble solidement charpenté, furieusement électrique, aussi rapide que bouillonnant.
Produit par Andrew Watt, ce nouvel album s’ouvre sur un « Frenzy » qui patate comme un uppercut avec des hululements et des chœurs aux cris stridents à l’appui. Direct le ton est donné : c’est lourd, massif, puissant, on en prend plein les oreilles. Tout au long des 11 titres, les guitares de Stone Gossard (Pearl Jam) et Dave Navarro (Jane’s Addiction) vrombissent, vous mordent les tympans, les gammes descendent, puis remontent à la vitesse de la lumière. La basse surpuissante de Duff McKagan (Guns N’ Roses) est lourde à vous en écraser le plexus, ou claque comme des coups de fouets. Les rythmiques charpentées de Chad Smith (Red Hot Chili Peppers), de Travis Barker (Blink 182), et du regretté Taylor Hawkins (Foo Fighters) échafaudent un mur de son impressionnant. Tantôt agressif, tantôt mélodieux, la voix sombre et abyssale est l’ADN, la signature de cet album. Du martial « Modern Day Ripoff « à l’ultra speedé « Neo Punk » aux gothiques « All The Way Down » et « Comments », le résultat nous laisse chaos, sous le choc d’une forge en pleine ébullition avec ces voix hurlées portées par un empilage de riffs de électriques tournoyants, ces frappés sec sur les cordes de basse et autres roulements de fûts à gogo. On trouve aussi de jolies ballades blues livrées avec une voix de crooner baryton basse comme « Strung Out Johnny », « New Atlantis », « The News For Andy » et le sublime « Morning Show » où la voix caverneuse rappelle Johnny Cash. Une excellente nouvelle que ce retour aux sources avec des chansons musclées à la taille de la légende. Quant aux lignes vocales, ce sont de véritables envolées lyriques comme des slogans tubesques. Les mélodies concises et l’énergie vitale donnent à cet artiste majeur toutes les chances d’être enfin propulsé au panthéon du rock une bonne fois pour toutes. Si ce n’est pas déjà fait.