GODLEY & CREME « Ismism »
Voici 41 ans dans BEST GBD renouait avec les allumés Godley and Creme, les héros du 10cc de son adolescence. Depuis la sécession avec Eric Stewart et Graham Gouldman, le duo Kevin Godley et Lol Creme avait tourné le dos à la popitude incendiaire de leur formation précédente, optant pour des albums aussi cinglés qu’expérimentaux… jusqu’à cet « Ismism » aux compositions bien plus accessibles, porté par le joli et néanmoins sarcastique brin de hit « Wedding Bells ». Flashback…
Bien entendu, comme la plupart d’entre nous, je les avais seulement découverts en 1975 avec leur fracassant hit, l’irrésistible « slow-braguette », comme on disait à l’époque, de six minutes et une seconde « I’m Not In Love » porté à tire d’ailes par son extraordinaire Melotron… remember, big boys don’t cry ! Alors, forcément j’avais acheté l’album, le brillantissime « Original Soundtrack » et découvert ses autres chefs d’œuvres, l’hallucinant medley « Une nuit à Paris » ( One night in Paris is like a year in any other town ) chaude histoire de prostituées, de bordel et de gendarme usant de tous les stéréotypes de notre capitale comme une « dark side » des scènes joyeuses de « Un Américain à Paris »… mais pas que. Il y avait aussi le délirant « Life Is a Minestrone » ou encore le rock and speed « The Second Sitting For the Last Supper ». C’est ainsi qu’au fil de mes voyages à Londres à LA, j’ai appris à remonter le temps des LP de 10cc jusqu’au premier 33 tours éponyme de 1973 bardé de hits totalement loufoques et pourtant si cool et si harmonieux : les neo-rock and roll « Johnny Don’t Do It » et « Donna », le glam-rock « Rubber Bullets » et enfin le sarcastique « Headline Hustler ». Un an plus tard sort « Sheet Music » également bardé de tubes after bubble-gum « Silly Love », « Wall Street Shufle » et le désopilant « The Worst Band In the World ». Il fallait être vraiment givré… et forcément British pour composer des trucs pareils. « Original Soundtrack » sort en 75 et enfin le lumineux « How Dare You », sous son incroyable pochette Hipgnosis ( Voir sur Gonzomusic STORM THORGERSON : le visionnaire du Floyd ) : en 4 ans, 4 albums de pop monstrueux.
Hélas dès sa formation, 10cc était un navire amiral destiné à couler, avec d’une part Kevin Godley et Lol Creme aussi allumés qu’expérimentaux et d’autre part Eric Stewart et Graham Gouldman super mélodistes choc. Gouldman depuis ses quinze ans n’avait jamais cessé de signer des fleurons de la pop-music d’abord pour Hollies ( Voir sur Gonzomusic GRAHAM NASH OU LES INCROYABLES CONFESSIONS DE WILLY Épisode 1 ) « Bus Stop » ou encore « Looking Through any Window », « For Your Love » pour les Yardbirds sans oublier l’immense « No Milk Today » pour Herman Hermit’s. S’ils avaient en commun l’amour de l’harmonie et dans leurs gènes cet humour juif ravageur hérité de Jerry Lewis et de Woody Allen – seul Stewart était goy sur les 4 -, les 10cc explosent en vol en 76, les deux paires se séparent. Et tandis que Gouldman et Stewart continuent sous la bannière 10cc Godley & Creme s’envolent vers de nouvelles et délirantes aventures. Mais si « Deceptive Bends » et « Bloody Tourists » sont de bons albums pour 10cc le cool reggae pop, « Dreadlock Holidays » n’arrive forcément pas à la cheville de « I’m Not In Love ».
De leur côté Godley & Creme publient juste un an après le split le triple LP absolument délirant « Consequences », un OVNI sonique que j’évoque très largement dans cette chronique de BEST de leur « Ismism » de 81. Peut-être est-ce un vieux reste d’atavisme, mais j’ai toujours eu un faible pour cette paire d’intellos, ces professeurs Tournesol du rock. D’ailleurs, quelques mois plus tard, j’aurais l’occasion de leur tendre mon micro pour le fameux mag de la rue d’Antin (Voir sur Gonzomusic )… mais c’est encore une autre histoire du rock !
Publié dans le BEST 261
Depuis leur triple album « Consequences » je suis un inconditionnel de Kevin Godley et de son petit camarade Lol Creme. « Consequences », c’était une véritable pièce de théâtre sonore et stéréo, l’histoire en six faces d’un professeur fou qui parvient à contrôler les éléments par sa musique. Avec « Conséquences » les deux échappés de 10cc ont rompu les ponts avec la face pop-commerciale de leur passé. Dans leur propre studio, ils construisent le Gizmo, un synthé de guitare aux sons très surprenants.
Les deux LP suivants « L » et « Freeze Frame » sont à des années-lumière de tout critère commercial. Si leur style reste encore dérivé du 10cc, il éclate du côté de l’électronique. Dans l’esprit, ils ne sont pas trop loin d’un Eno, d’un Fripp ou d’un Gabriel qui partagent cette sensibilité éclectique où la musique est un shaker qui mélange tous les genres. Godley et Creme sont peut-être de vieux frappés. mais cette fois, avec « Ismism » ils signent un disque sans concession qui marque la fin du tunnel où ils s’étaient engagés depuis leur départ du groupe. Quand on entend les premiers chœurs de « Wedding Belis », on comprend que Godley et Creme se sont enfin réconciliés avec les mélodies (remember « I’m Not In Love ») qu’ils avaient rejetées par crainte de s’enliser dans les sucreries commerciales.
Les deux compères pratiquent une musique très urbaine, une version British de Talking Heads qui sonne et qui résonne dans un dédale d’échos et de phasing. Godley et Creme utilisent la musique des conversations en fond sonore et les chœurs répétitifs, ils pratiquent une sorte d’écriture automatique pour des voix qui éclatent de tout côté. « Snack Attack » glisse sur une moquette profonde de cuivres, ce sont les délires d’un consommateur de burgers rythmés par une basse funk mi-black mi-Head.
Étranges Godley and Creme n’en restent pas moins fort accessibles. Leurs énumérations diaboliques parviennent à créer une relation sensuelle entre l’homme et la musique, entre les mots et leur musicalité. Ces mecs me fascinent, ls sont à la fois si simples et si compliqués : « The Problem », par exemple, où pendant plus de quatre minutes ils monologuent un problème de train comme on en trouvait dans les livres de maths de troisième. Tandis que sur « Lonnie » ils racontent minute par minute l’emploi du temps d’un témoin de l’assassinat de John Kennedy. Troublant ! La définition parallèle de la musique que nous propose Godley et Creme explose avec passion dans les sillons de « Ismism » : CQFD.
Publié dans le BEST 261 daté de décembre 1981