ADIEU VANGELIS L’EGONAUTE
Voici 41 ans dans BEST, GBD rencontrait l’immense Vangelis O . Papathanassiou pour percer avec lui le secret de ce que j’avais qualifié d’ « égonaute », soit le fait de composer, d’interpréter, d’enregistrer, d’arranger, de produire seul sa musique en studio. Alors qu’on apprend hier la mort du génial magicien grec des synthés terrassé à Paris par le COVID, mon cœur saigne, cependant je tenais à lui rendre l’hommage qu’il méritait en re-publiant cet entretien vintage. So long mister V 😭 !
Bien sur, comme tant d’ados de mon âge à l‘époque j’avais dansé lors de mes premières boums sur les hits dorés des Aphrodite’s Child tels « It’s 5 O’ Clock » et « Rain And Tears », mais c’est surtout avec le monumental double LP« 666 » que j’ai commencé à vénérer ce groupe grec arrivé par hasard en France dans le tumulte de la révolte de mai 68 ( Voir sur Gonzomusic https://gonzomusic.fr/aphrodites-child-666.html ). Vangelis avait composé la majorité des titres de cet album aussi planant qu’un « Ummaguma » du Floyd. plus tard, au crépuscule des 70’s lorsque j’ai rencontré François Reichenbach qui avait tourné un petit documentaire sur un ami non-voyant, Gilbert Siboun et notre bande de potes qui l’entourait, j’ai découvert que Vangelis signait toutes les Bandes Originales des documentaires animaliers de Reichenbach tels « Le carnaval des animaux », « La fête sauvage » ou encore « Opera Sauvage » capturés dans son fameux studio Nemo de Londres.
C’est ainsi que quelques mois après mon arrivée à BEST, je propose à Christian Lebrun un sujet ambitieux consacré à ces artistes qui enregistrent seuls leurs albums en studio comme un « one man band ». « La meilleure façon de créer c’est dans la solitude », m’avait confié Vangelis. Certes je n’avais pas encore rencontré Prince à l’époque – mais cela ne devait guère tarder puisque le concert du Palace où je l’avais interviewé s’est déroulé quelques mois plus tard-, mais pour cet article du numéro 160 de BEST que Christian Lebrun avait titré « One Man Show » j’avais réuni un casting de stars avec à l’affiche Stevie Wonder ( ( Voir sur Gonzomusic https://gonzomusic.fr/stevie-wonder-la-merveille-de-detroit.html ), Stevie Winwood ( Voir sur Gonzomusic https://gonzomusic.fr/?s=Stevie+Winwood+ ) , Todd Rundgren ( Voir sur Gonzomusic https://gonzomusic.fr/all-my-new-york-1981-heroes.html ), Vangelis O Papathanassiou et un certain Jean Philippe Rykiel ( Voir sur Gonzomusic https://gonzomusic.fr/?s=Jean+Philippe+Rykiel++ ). C’est dire si l’annonce du décès de Vangelis O Papathanassiou hier à Paris terrassé par le fucking COVID à seulement 79 printemps m’a filé un sacré coup de blues. En hommage à l’immense compositeur de « Blade Runner », des « Chariots de feu » et de tant d’autres BO de films, héros de la musique électronique, mais aussi un rebelle invétéré qui n’aura jamais cessé de se battre pour son indépendance et contre le capital, voici l’entretien qu’il m’avait accordé en septembre 1981 dans la foulée de son LP en duo avec Jon Anderson de Yes « The Friends of Mister Cairo ». Triste flashback…
Publié dans le numéro 160 de BEST sous le titre :
NEMO
Après Todd, encore un forcené du recording en solitaire : Mister V a déjà enregistré 10 LP solo et il ne semble pas près de s’arrêter en si bonne autoroute. Depuis « 666 » et sa Deux-Chevaux qui percute un mur de brique (symbolisant la destruction du joujou Aphrodite’s Child par son cerveau), Vangelis a sauté le pas des stades !successifs. La période Rossif et ses longues plaintes musicales, la période «Albedo » et le côté spatial, la période « Beaubourg » et sa récupération comme chair à jingle, etc. Vangelis seul, ou en duo avec Irène « Infinity » Papas ou Jon Anderson, s’est toujours tiré juste à temps des créations trop rangées. S’il n’a pas, au niveau créatif, autant de diversité que Todd, Vangelis pratique, par contre, comme lui, l’alternance LP solo/LP groupe ou groupe de création. Enfin, dernier parallèle avec Todd, V avoue aussi qu’il ne peut pas se passer d’un assistant lorsqu’il enregistre. La solitude des égonautes ne serait-elle qu’une simple légende? Pour en savoir juste un peu plus, je suis allé gratter à la porte du pied à terre parisien de Vangélis…
« Tu n’es jamais réellement seul dans ton studio ; en fait, il y a toujours un assistant avec toi ?
J’ai toujours un assistant parce qu’il faut bien que quelqu’un m’aide: l’homme ne peut pas tout faire seul. Il ne peut pas non plus se dédoubler. Au moment où moi je suis en train de jouer, il faut que quelqu’un pousse le bouton du magnéto et fasse un peu attention aux VU-mètres.
Et la télécommande?
Ça c’est possible de le faire, mais ça ne me gêne pas d’avoir un assistant. Dans le fond, c’est même plus facile. Surtout pour opérer avec les magnétos parce que tu perds beaucoup de temps.
(Parenthèse technique : depuis l’interview de Vangelis, j’ai visité le studio Family Sound à Paris, là où Higelin a enregistré (entre autres) « La bande du Rex ». À Family, on a résolu le problème de manipulation des machines posé par Vangelis. Un cerveau électronique relié à la console et au magnéto programme et analyse chaque piste enregistrée. Cela supprime complètement toute la manipulation des aller- retours pour repérer exactement le morceau de bande à ré-enregistrer. Avec le computer, il suffit d’appuyer sur un bouton et youpee, la machine s’arrête aussi sec qu’un beauf en Renault 14 Poire face à un représentant de l’ordre. Voilà qui rajoute une agréable pincée de suspense dans notre trip chez les égonautes et la solitude va rebondir à nouveau sur le tapis vert.)
Ta musique a souvent servi de toile de fond sonore à des films, comment travailles-tu ?
Avant tout, je vais voir le film et je rencontre le metteur en scène pour discuter avec lui. Après, c’est au feeling : c’est le plus important. Le reste, ça n’est que de la spéculation. La technique, c’est important, mais utilisée pour servir le feeling. Il faut sentir la chose sans romantiser (sic), sans la transformer en quelque chose de trop cérébral pour finir par l’avoir en soi.
Est-ce que la solitude permet de mieux faire exploser ce feeling ? Avec un groupe n’es-tu pas, de toute façon, tributaire de la personnalité des autres?
Je crois qu’en effet la meilleure façon de créer, c’est dans la solitude. Mais il y a dans certaines créations un travail collectif, j’en ai fait aussi l’expérience. En fait, chacun de nous, chaque individu peut être un créateur.
Everybody’s a star?
Qu’est-ce que ça veut dire star, ça n’est qu’une valeur sociale. Star est le phénomène qui démontre l’existence d’une in sécurité collective et elle passe par l’admiration de quelqu’un à qui on colle un sticker « star » pour justifier certaines choses. Ça devient une valeur commerciale : on y trouve à vendre et à acheter.
On devrait donc l’écrire $-t-a-r !
Exactement.
Et si on parlait un peu de Nemo (le home studio de Vangelis). Comment va-t-il?
Ah (rires) il va bien. Nemo, il se bat contre le commerce. Bien sûr, il en a besoin pour vivre, mais il est conscient que là n’est pas sa seule raison d’exister. Il utilise le business pour survivre. Nemo est extrêmement fidèle, mais moi je lui suis fidèle aussi.
Et ton petit séjour à Davout pour le disque avec Jon Anderson ( « The Friends Of Mister Cairo ») ?
Ça c’est autre chose, c’est un travail avec quelqu’un d’autre. On s’est retrouvé à Paris avec Jon et comme nous avions chacun du temps libre, ça nous a donné envie de faire quelque chose ensemble. En tout, nous avons passé quatre jours au studio Davout, mais c’est vraiment exceptionnel. Et puis, c’est juste la première fois.
Donc Nemo ne va pas trop t’en vouloir?
Non, non… au contraire puisqu’on a fini le disque là-bas.
À quoi ressemble-t-il physiquement?
Physiquement… il n’est pas mal: c’est un bel animal à 24 pistes, avec beaucoup de claviers et des percussions dans tous les coins. Nemo est assez grand, il n’a rien d’un studio conventionnel.
Qu’est-ce que Nemo a de plus qu’un studio traditionnel?
Ce qu’il a de plus ? Il est tranquille, il a l’âme, tu vois. Et surtout, il n’a pas ce réflexe : faire de l’argent.
Tu veux dire que lui au moins ne regarde jamais sa montre ?
Non, parce qu’il n’a pas de montre. Mais c’est très à l’aise, on peut se mettre comme dans un appartement. En plus, c’est en plein centre de Londres, à Marble Arch, juste en face du Park.
Tu le fréquentes depuis longtemps?
Ouais, depuis 1975 exactement, lorsque je l’ai conçu pour être enfin indépendant. Mon premier album à Nemo, c’était « Heaven and Hell » et, depuis cette date, on est comme des amis intimes. J’ai d’ailleurs enregistré des bandes là-bas avec Jean-Philippe Rykiel. J’aime vraiment ce qu’il fait il a l’art de cultiver une certaine beauté. Je n’ai pas encore écouté son disque. Mais même s’il le rate, ça n’est pas grave, on ne peut pas juger quelqu’un sur un premier disque. De toute façon, il a vraiment du génie et une sensibilité fantastique. »
À suivre….
Publié dans le numéro 160 de BEST daté de novembre 1981