LES SPARKS À PARIS
Voici 40 ans dans BEST GBD rencontrait pour la première fois Ron et Russell Mael, héros de son adolescence avec les sémillants Sparks et début d’une longue amitié à travers les décennies. Ils venaient de publier « Whomp That Sucker » leur 10éme LP. A l’heure où Ron & Russell triomphent à Cannes avec « Annette » le film palmé d’or de Leos Carax, retour vers le futur des étincelles les plus géniales du rock and roll… Flashback !
Devenir journaliste à BEST m’aura permis de croiser nombre des héros de mon adolescence, à l’instar justement de Ron et de Russell Mael que le jeune DJ que j’étais avait si souvent matraqué avec leur colossal « This Town Ain’t Big Enough » dans les clubs et autres boums où j’officiais. Peut-être était-ce à cause de nos cheveux frisés communs, à moins que cela ne soit nos origines juives russes mutuelles et le sens de l’humour qui va forcément avec, ou tout simplement notre amour partagé pour les « classic cars » ( en ce temps-là Russell conduisait une sublime Ford Thunderbird 56 cabriolet vert amande, un véritable piège à Lolitas et moi, à chacun de mes voyages à LA, des Ford Mustang vintage 68 ou 69 : NDR) dès cette première rencontre, c’est comme si je connaissais Ron et Russell depuis toujours. Et comment ne pas fondre sur leur humour exacerbé, l’intense fantaisie en forme de folie douce qui les habite ? Tout simplement humains et si créatifs, les amis Sparks tout au long de leur vertigineuse carrière ne m’ont jamais déçu. En mai 1981 dans BEST j’écrivais à leur sujet : « demain je vous parie qu’on canonisera les Sparks »… quatre décennies écoulés, ma prophétie s’est enfin réalisée… mazel tov !
Publié dans le numéro 154 de BEST sous le titre :
R & R
Face à l’ambassade des USA, place de la Concorde, le CRS et sa mitraillette en bandoulière me lancent un regard d’acier. La pluie transforme les trottoirs en miroirs sales où se reflète son uniforme. Les Sparks peuvent être rassurés, on veille a leur sécurité. Je retrouve Ron et Russell dans le salon « airport » de leur hôtel. Les frères Mael sont accompagnés par leur nouveau bassiste. Mais enfer, damnation et bobines de ciné, je suis prêt à parier la collection intégrale des Cahiers du Cinéma que j’ai déjà vu ce type quelque part… C’était lui dans I’« Arnaque » et « Butch Cassidy », ce bassiste-la n’est autre que Paul Newman. Les Sparks ne se refusent rien, Leslie mériterait de succéder à Ronnie Reagan en 84: son look crève l’écran. Le mois dernier, je fulminais contre les interviews industrielles (ou à la chaine) ( Voir sur Gonzomusic https://gonzomusic.fr/phil-collins-simple-comme-un-coup-de-phil.html ), cette fois avec les Sparks, je pourrai me livrer à mon sport favori en toute liberté, loin de l’ambiance pesante des salons de grands hôtels. A l’origine, je devais aider Russell à compléter sa collection de tours Eiffel ( sic !) en allant avec lui fouiner au marché aux Puces. Pour finir, je me suis retrouvé sur les escaliers (Rock and) roulants des légendaires Galeries Lafayette en compagnie de mon infernal trio.
L’Amérique est capable de produire parfois d’étranges réactions. Elle s’excite sur les Knack et foire complètement avec Jonathan Richman ou Tom Waits. Dans la galerie des méconnus géniaux, il y a, de toutes façons, un portrait tridimensionnel de Ron (le moustachu pince sans rire) et de Russell(le beau gosse de la famille). Aujourd’hui, la quasi-totalité de la faune rock musicale se réclame d’une influence New-York Dollsienne, demain je vous parie qu’on canonisera les Sparks ! Ecoutez «Kimono my House » (1974), l’album conserve toute la pèche de son délire. Les Sparks se jouent de la mode, mais la mode n’hésite jamais à les piller. Alice Cooper et son « No More, Mister Nice Guy », Queen et son « Bohemian Rhapsody », etc… Les deux frères de LA s’accrochent à leur trip élégant et raffiné, à leur folie en paroles et musique. C’est le propre des véritables stars. Pourtant, au détour de I’hiver 78, ils tombent entre les griffes d’un méchant magicien disco. Giorgio « Poum Poum » Moroder tentera en deux albums de leur inoculer son terrible virus. « N° 1 Song in Heaven » et « Terminal Jive » sont un peu désespérants, comme un oeuf de Paques aussi vide que l’ensemble du même nom, même s’ils ne sont pas désagréable, ils ne sont certes pas à la heuteur du génie des Sparks. Mais les Mael ont fait amende honorable. « Whomp that Sucker », leur nouvel LP, porte en lui I ‘énergie qui manquait aux deux précédents. Mais bon sang, mais c’est du Rock… et oui, coco ! Du pur, du vrai, du dur, dans la grande tradition Sparks : les voix démultipliées de Russell glissent sur l’arc en ciel des claviers de Ron. C’est presque un flash-back jusqu’à « Sparks » (1972), leur premier LP, produit par Todd Rundgren…
Rue Caumartin, on court de tous cotés, je m’accroche aux pas des Sparks. Sur les escaliers mécaniques des Galeries, les messages de pub volent comme des escadrilles de moustiques. Rayon disques : Russell s’étonne d’y trouver James Brown: « Si je comprends bien, il faut attendre 52 ans avant de devenir une star, chez vous! » ( Il en a 72 aujourd’hui et Ron 75 et ils foulent enfin le tapis rouge de cannes en stars reconnues: NDR). Ron et Russell ne s’habillent qu’en fripes. À Paris ou à LA, ils écument les soldeurs et les stands de I’armée du Salut, c’est leur truc. Prochaine étape, le rayon jouets. Les deux frères jouent à Starwars et au Space Invaders dans le creux de leur main. Gadgets et bip bip ou football électronique, les robots n’obéissent qu’a leurs ordres : les vendeuses sont à deux doigts de craquer. Au dernier étage, dans la cafétéria, Leslie le bassiste me relate sa première rencontre avec les Sparks:
« Tu comprends, nous étions destinés a nous retrouver : on boit notre café au même endroit. Face aux studios de CBS TV à LA, il y a le « Farmer’s Market », un endroit unique ou se mêlent les odeurs des fruits tropicaux. Avant Sparks, je jouais avec les « Beates Motel » (référence au motel du « Psychose » d’A. Hitchcock: NDR) ».
Demain soir, les Sparks tournent au Palace pour I ‘émission TV Palace One. Comme leur batteur et leur guitariste sont restés à LA, ils doivent se dénicher des figurants pour assurer le playback… dur, dur! Les Sparks vivent au Westwood Village, le quartier étudiant de LA. Face à UCLA, c’est peut-être le seul coin de la cité où l’on puisse observer une race en voie de disparition : les piétons.
« Ron : Marcher ? Mais qu’est-ce que c’est ?
Russell: Oh, c’est une vieille coutume. européenne, ces mecs sont vraiment rétro.
Ron: Mais chez nous, il y a ces choses qu’on appelle autos. Elles ont 4 roues et 4 personnes peuvent les utiliser en même temps, au lieu d’user bêtement leurs jambes. Lorsqu’elle tombe «en panne », on la jette et on en rachète une autre, c’est tout simple. »
Les Sparks, dans leur célèbre numéro de duettistes, sont impayables. Un teenager s’’approche. Il est un peu timide, son 45 tours à la main. Encore un autographivore ! Russell signe en tirant la langue un single de « When I’m With You » ( le hit de « Terminal Jive » leur LP précédent sorti un an auparavant : NDR) et lance: « … beurk… j‘ exècre les vieilleries. On ne devrait jamais dépasser la date limite de vente ! »,
La réaction de Russell résume assez bien l’amas de problèmes qu’ils trimbalent depuis l’an passé. En France, par exemple, personne ne voulait distribuer leur disque. « Ces vieux décadents, pouah… ». Heureusement pour lui, Underdog ( le label fondé par Dominique Lamblin et Marc Zermati … Voir sur Gonzomusic https://gonzomusic.fr/marc-zermati-mort-du-dernier-dandy-du-rock.html ) n’a pas dit non. Trois mois après la sortie de « Terminal Jive », c’était la panique dans le poulailler des hit parades. Pour la première fois, les Sparks se retrouvaient à la tête d’un capital tube assez colossal. Hélas, trois fois hélas, ce tube-là était bien trop « danse orienté » pour accrocher le tortillard des R and R puristes. À l’époque, je travaillais pour Rock and Shnock ( Voir sur Gonzomuic https://gonzomusic.fr/best-vs-rock-folk-ou-la-rue-dantin-vs-la-rue-chaptal.html ), la concurrence, et j’ai proposé un papier sur eux. À peine avais-je prononcé leur nom maudit, les foudres de la dérision Paringauxienne ont fondu sur moi: « Les Sparks! Vous n’y songez pas, voyons, il n’y a pas de place pour eux dans notre journal »… balle de match! J’ai tenté le coup à Libé ou j’ai déposé une interview sur le bureau de Bayon-collègue-rock-chroniqueur. Si la poussière ne I’a pas bouffée, elle doit encore s’y trouver. Heureusement pour les Sparks, « Whomp that Sucker » est un pied de nez géant a tous ces sonotonnés. Les deux frérots se sont libérés de l’emprise Moroder pour imposer Leur son.
« Russell: On a effectivement enregistré à Munich, dans les studios Musicland, qui appartiennent à Giorgio. Mais le son n’a plus rien à voir avec lui. Moroder, en ce qui nous concerne, ne touche plus a la réalisation : trop de chefs gâtent la sauce, c’est ce qu’on dit généralement. Cette fois, nous avons utilisé Mack, un habitué, ancien de huit ans à Musicland ou il a déjà « fait» les deux derniers Queen et tous les disques d’ELO. Pendant le boom du disco, le studio tournait jour et nuit, maintenant heureusement, c’est beaucoup plus calme. Pour une ville olympique, Munich n’a rien d’une cité excitante. Tous les bars s’y ressemblent, on se croirait en province. Ils servent du porc sous toutes ses formes, mais on s’y ennuie à mourir. »
Pourtant, sur les crédits de « Whomp That Sucker », (Démolis ce bidon), les deux frères remercient tous les bars de la ville! Leur LP marque la distance avec les deux précédents. ll est bien plus électrique, plus corrosif aussi: Sparks est à nouveau un groupe de rock. David Kendrick (rien à voir avec les Temptations), le batteur, Leslie, le bassiste et le guitariste new-yorkais, David Mc Allister, accompagneront sur scène les deux frangins pour leur tournée d’été, la première depuis bien des lustres. L’atout principal du groupe, c’est sans conteste son sens hypertrophié de I’humour. Chacune des dix chansons ressemble à un comic strip, une bande dessinée où Ron laisse libre cours à ses fantasmes. « Tips For Teens », « That’s not Nastassia » et les autres font la part du lion à ce que les Sparks appellent des « Wacky Women », ces cinglées de nanas. Comme ils disent :
« Ce sont des créatures de Dieu, elles sont folles. Quoi qu’on fasse, elles ne sont jamais contentes et, pourtant, les mecs ne peuvent pas vivre sans elles ». Ron et Russell ont pourtant déjà craqué sur quelques nymphettes : Nastasia Kinski, d’abord, et puis Lio.
« Elle est cool et surtout folle. On a parlé de produire son prochain 33 tours, mais ça dépend exclusivement d’elle. De toutes façons, ce sera plus enrichissant que l’expérience Bijou. Il parait que nous étions tyranniques en studio, je te promets qu’on ne les a pratiquement jamais fouettés. Quant au batteur de Bijou ( Dynamite, donc ! : NDR), il peut vraiment aller se faire voir dans un camembert géant, après ce qu’il a balancé à notre sujet ». ( Ron et Russell avaient effectivement produit « Pas dormir » le 3éme LP du trio rock hexagonal Bijou : NDR).
Les Sparks ne craignent pas les étincelles car elles font exploser leur musique. J’écoute leurs disques depuis dix ans et, pourtant, je suis tout à fait incapable de classifier leur rock. Ils forment un genre à eux seuls, un rock délirium tremens, prêt à vous possèder mais qui ne ressemble à rien d’autre qu’à lui-même. Si vous rentrez dans leur jeu, c’est comme un aller-simple pour le musée Grévin : les portraits défilent, il ne reste plus qu’à sélectionner. Aux Galeries Lafayette, ce matin là, les Sparks ont joué les explorateurs. Comme des mômes, ils m’ont entrainé d’un étage à l’autre pour tout essayer: les fringues, les jeux, les meubles et même les accessoires autos. Après leur passage, il parait qu’à l’infirmerie les vendeuses faisaient la queue: crises de nerfs et dépressions nerveuses en tous genres ont été dument homologuées. Décidément, les Sparks ne laissent personne sombrer dans les containers de l’indifférence. Lorsque je les ai raccompagnés, le CRS était encore en faction. Russell voulait lui piquer sa mitraillette et la remplacer par un mirliton, moi, j’ai préféré m’éloigner. À bientôt les Sparks…
Publié dans le numéro 154 de BEST daté de mai 1981