MARTIN STEPHENSON WORKING CLASS HERO

 martin stephenson

 Voici 30 ans pour BEST, GBD s’envolait pour Newcastle Upon Tyne à la rencontre du leader d’un de ses groupes british fétiches du moment : Martin Stephenson and the Daintees. Un an auparavant, il avait déjà craqué sur leur premier LP « Boat to Bolivia » publié par le petit label indé local Kitchenware. Les Daintees investissaient la salle de concert la plus prestigieuse de la ville, le fameux City Hall et il était hors de question de rater l’évènement. Flashback…

 

Avec le succès grandissant des Prefab Sprout, et la publication de leur troisième LP « From Langley Park to Memphis », Christian Lebrun, notre vénéré rédac chef de BEST avait décidé de consacrer un gros dossier à Kitchenware, leur label indé…qui était également celui de Martin Stephenson and the Daintees, à qui j’avais déjà tendu mon micro juste un an auparavant ( Voir sur Gonzomusic https://gonzomusic.fr/martin-stephenson-the-daintees-un-bateau-pour-la-bolivie.html ). Voilà pourquoi, au printemps 88 je débarquais à Newcastle pour retrouver mes petits Daintees et leur joyeuse folkitude sur scène et en backstage du prestigieux City Hall.

 

Publié dans le numéro 239 de BEST

 Publié sous le titre de 

City Hall

 

À quelques centaines de mètres de l’écurie Kitchenware, le poulain Martin Stephenson résiste à l’assaut de ses aficionados locaux au cours d’une séance de dédicaces chez HMV. Le chapeau légendaire incliné en arrière, Martin a toujours un sourire lunaire lorsqu’il se penche pour parapher son album. Les Stephensonmaniaques sont en majorité jeunes et jolies, plutôt bien fringuées et tout à fait excitées. Phil Mitchell finit par le repêcher pour le faire disparaître dans l’arrière-boutique où l’attend un DJ de radio locale, le micro de son Nagra au poing. Et la silhouette longiligne de Martin s’engouffre dans l’escalier qui monte au premier.

«Ma petite amie a acheté votre album, depuis je n’écoute plus que cela dans ma voiture », lui lance le DJ joufflu moustachu. Après une régate de questions bateaux, notre marin prend le large. Le public des Daintees est bien de toutes les couleurs. Phil planning secoue son artiste :  On devrait déjà être à la salle pour la balance l». À l’autre bout de la ville, le City Hall est une salle superbe et rococo, très fin du siècle dernier. Elle est aussi légendaire pour la mythologie du rock puisque Bob Dylan y a tourné la majorité des scènes du film de D.A. Pennebaker «  Don’t Look Back » au milieu des sixties. Sur la scène, dominée par des Grandes Orgues, les roadies ont suspendu des tentures décorées comedia del arte. Masques d’impassibilité, sourire et douleur illustrent les trois humeurs du nouvel album “Gladsome, Humor and Blue”. Dans les backstage, la loge du groupe ressemble à un cossu salon bourgeois. Martin Stephenson déguste une bière tiède et répond à mes questions avec l’indicible accent du cru :

« Le City Hall est un symbole pour nous, car la plupart des gens que j’aime se sont assis dans ces fauteuils. J’avais onze ans à mon premier concert dans cette salle et je rêvais de ces backstage, ce lieu inaccessiblepour un ado. Je sais aujourd’hui qu’il ne s’y passe pas grand-chose. Et puis tous les punks sont passés ici, les Jam, les Pistols, ne perçois-tu pas leur présence ? ». Ce soir, papa et maman Stephenson vont parcourir les 8 miles qui séparent Washington On Tyne de Newcastle pour voir leur progéniture au City Hall. À ce jour, la seule célébrité de la petite ville satellite n’est autre que Bryan Ferry. C’est peut-être un signe, mais Martin et Bryan sont pourtant nés dans la même rue, Gainsborough Avenue.

« J’étais encore au lycée lorsque le président Jimmy Carter a débarqué à notre Washington pour y planter un arbre. Mais c’est si proche de Newcastle qu’on venait tout le temps y faire la fête avec les copains. ll y a beaucoup d’argent dans le Nord-Est et donc autant de conservateurs. On peut dire que l‘ère Thatcher a sacrément enrichi leur business. »

Papa Stephenson est ouvrier chez Dunlop. Toute la journée il conduit un Fenwick, sa casquette noire et blanche aux couleurs du Newcastle United vissée sur la tête. Maman Stephenson bosse avec d’autres femmes dans la cadence répétitive de la principale usine de filtres de la région. Martin écrivait ses chansons dans la cuisine familiale et s’en allait les interpréter dans le métro et les rues de Newcastle.

« On plaçait des affiches la veille pour annoncer notre venue aux gens du quartier. Mon numéro de téléphone était inscrit en bas à droite et Keith Armstrong a téléphoné un soir. ll voulait que l’on joue dans un magasin de disques. On a débarqué avec nos instruments et lorsque nous avons fini de jouer, Keith était survolté. ll m’a parlé du label qu’il était en train de monter en produisant un groupe du coin. ll m’a dit: «  S’il nous reste un peu de temps en studio, tu pourrais peut-être enregistrer quelque chose rapidement ». C’était magique. Nous avons suivi Hurrah ! en séances et enregistré « Roll On Summertime », le premier 45 tours des Daintees sur Kitchenware. Keith n’avait que 23 ans à l’époque, mais il était si déterminé ! Il a pris Paddy (Mc Aloon de Prefab Sprout)  sous son aile et également signé le Kane Gang. Après avoir « découvert » ces quatre groupes, il a décidé que cela suffisait s’il voulait les défendre correctement. ». Ce second et nouvel album des Daintees est produit par l’illustre  Paul Samwell-Smith, l’ex- Yardbird  devenu réalisateur attitré de Cat Stevens, et de All About Eve.

« Je n’ai jamais été fan de Cat Stevens, mais lorsque je le voyais à la télé, ce mec savait trouver les mots et les sons qu’il fallait pour me toucher. J’aime les gens qui se laissent aller à leurs passions. Un type comme Samwell-Smith est une force vive de la musique, parce qu’il respecte les musiciens en les mettant en valeur à la différence des producteurs du moment dont l’égo artistique dépasse trop souvent celui de leurs artistes. »martin-stephenson-

Si Martin avait suivi ses rêves jusqu’au bout, il serait sans doute aujourd’hui champion de ping-pong.  Mais le punk a débarqué et déverrouillé les blocages des kids. N’importe qui pouvait se saisir d’une guitare et Martin a assimilé la leçon. Sur la scène du City Hall, les Daintees enchaînent les ballades. Et le folk glisse vers la country, la pop et le jazz. Avec ses réminiscences de Leonard  Cohen, Michael Franks, James Taylor et Van Morrison, le show est une parfaite osmose de feeling et de précoce maturité. Fous rires sur scène et dans l’assistance,  ambiance familiale, le public réagit fiévreusement à la poésie de Martin. Sur son premier LP il scandalisait en chantant «  la fausse couche de sa sœur» et  « la liaison homo d’une autre née de son imagination ». Son lyrisme folk colle au rythme du temps. « L’autre moitié ressemblait à un œuf pourri couvert de crachats/dans une atmosphère salée, l’horloge humaine s’emballe sous l’influence de la nature… » chante Martin sur les accords déchirés à la Neil Young de sa guitare sèche.

«J’aime mieux faire cela à chaque fois, plutôt que de tourner une vidéo », lance-t-il à la fin du gig en guise de conclusion. Et, backstage, dans le Saint des Saints, petit Martin retrouve ses parents. Keith me présente son père et nous lui chantons Happy Birthday. Les Prefab Sprouts et le Kane Gang font la foire à côté, Angela, la girl-friend de Martin ( qui figure sur la pochette du premier 33 tours « Boat to Bolivia »: NDR) , trace des crobards sur un carnet. Il n’y a ni drogue, ni alcool dur. Les cans de bière se vident, tout le monde se tient par le cou. Kitchenware est décidément une drôle de cuisine pour une drôle de famille.

 

Publié dans le numéro 239 de BEST daté de juin 1988BEST 239

 

 

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