STEELY DAN « Gaucho »
Voici 40 ans, dans son tout premier BEST, GBD chroniquait l’ultime LP des années dorées de Steely Dan, avant leur re-formation plus de vingt années plus tard. Devenu un cas d’école, « Gaucho » incarnait toute l’obsession du duo pour le perfectionnisme avec 42 musiciens différents, en un peu plus d’un an en studio explosant largement l’avance initiale accordée par leur label MCA. Quatre décennies plus tard, ce son juste vertigineux n’a pas pris une ride.
Steely Dan et moi c’est une longue histoire d’amour ( voir sur Gonzomusic https://gonzomusic.fr/my-steely-dan-storyso-long-walter-becker.html ) voici trois ans, à l’occasion de la mort de l’immense Walter Becker à seulement 67 ans, je racontais ma découverte du groupe dans le LA de mes 18 ans au milieu des 70’s. C’est dire combien si cette chronique dans le tout premier numéro de BEST auquel Christian Lebrun m’avait convié pouvait me tenir à cœur. Un peu comme celle des Eagles que j’ai re-publiée la semaine dernière ( Voir sur Gonzomusic https://gonzomusic.fr/eagles-live.html ). Cependant on doit admettre que ce « Gaucho » si mégalo ne manquait pas d’ambition. Si on observe la liste des studios utilisés par Donald Fagen et Walter Becker, elle est juste vertigineuse : Sigma Sound, Soundworks, Automated Sounds, A&R, à New York, City Village Recorders, à West LA, studio perso de Gary Katz Producer’s workshop à Hollywood. Durant tous ces mois, le Dan a du enregistrer au moins 5 albums, mais à l’instar du gringo de la publicité Jacques Vabre ce « Gaucho » n’était jamais assez parfait, jamais assez précis dans une quête perpétuelle de la perfection. 40 ans plus tard, un tel aboutissement laisse encore sans voix. Certes avec ses références au free-base de coke » chasing the dragon » dans « Time Out of Mind » ou à son texte aux confins du détournement de mineure dans « Hey Nineteen », ce « Gaucho » incarne une époque désormais révolue, mais constitue néanmoins une incroyable, groovy et nostalgique time-capsule d’une quête si aboutie de la perfection.
Publié dans le numéro 150 de BEST
Le Steely Dan nouveau contient tous les ingrédients habituels du genre : un peu de palmiers et de sable chaud, une incroyable pureté sonore et surtout un funk agile, décoloré a l’eau oxygénée ; la formule magique qui transforme le polyvinyle en or. Depuis « Can’t Buy A Thrill » (1972) le Dan est peut-être le music-club le plus prisé de l’Amérique : avant d’être une formation, le groupe est un son : l’équation des plus beaux spécimens de requins de studios, les plus doués, les plus talentueux aussi : Larry Carlton, Steve Gadd, les Brecker Bros, Rick Derringer et quelques autres guest-stars. Créé autour de Walter Becker et Donald Fagen, Steely Dan a ainsi conquis sans effort les charts US. Les visages ont peut-être défilé, mais l’esprit et la construction musicale sont restés en tous points semblables. C’est pourquoi ce « Gaucho » est un disque sans surprise. On y retrouve les thèmes chers au couple Fagen/Becker qui détient le monopole des compositions : Hollywood se dessine avec « Glamour Profession », le fossé des générations avec « Hey Nineteen », la jalousie avec « My Rival » ; les personnages des chansons du Dan ressemblent à leur public : des américains middle class confrontés à leurs problèmes quotidiens. Chacun des titres est construit sur le même schéma quasi mathématique où le son des guitares est poussé très en avant. La voix de Fagen est soutenue par une cohorte de choeurs féminins (Valérie Simpson, Patti Austin etc…) et les exercices de style défilent comme une bande vidéo affolée. Chaque titre contient SON solo de guitare exécuté sans passion par un maitre de l’art : Steve Khan, Carlton et même Mark Knopfler de Dire Straits… le nec plus ultra du studio sound. Ainsi le LP flirte allègrement avec la perfection et c’est normal : Steely Dan a pris son temps, un peu plus d’un an dans les studios les plus sophistiqués (Sygma Sound, Village Recorder) on en a donc pour ses dollars. À la croisée des chemins du jazz-rock, du funk et de la super-variété USA à la Scaggs ou à la Benson, « Gaucho» heureusement n’est pas qu’une addition salée de talents éparpillés ; le miracle Steely Dan c’est qu’à force de bosser, ces sur-musicos parviennent à dépasser leur technique, ils sont comme les cadavres de ces films d’épouvante : ils exhibent leurs tripes et leurs boyaux, that’s the secret boys !
Publié dans le numéro 150 de BEST daté de janvier 1981