ANNIE LENNOX LA FEMME INVISIBLE D’EURYTHMICS

eurythmicsVoici 30 ans dans BEST, GBD retrouvait à nouveau le duo post-atomique Annie Lennox et Dave Stewart. Rencontrés à Londres en 81, retrouvés en 83 à Paris, puis à nouveau en 87 à Nancy, ses vieux complices d’Eurythmics ne pouvaient décidément rien lui cacher de leur excellentissime 8 éme pizza vinylée et lui livrer ainsi, par la bouche d’Annie, tous les secrets de fabrication de ce « We Too Are One » et sa recette pour devenir la première femme invisible.

eurythmicsAnnie, Dave et moi c’est une longue histoire, on va dire. Rencontrés dans un club forcément agité de Londres, après un concert de Kas Product et d’Orchestre Rouge, des années durant, un peu comme avec Depeche Mode, plus ou moins à chaque album j’avais l’occasion soit de poser ma caméra soit de tendre mon micro au couple phare de la pop anglaise qui avait toujours su se montrer si créative. Cette fois c’est un peu différent. Le couple s’est séparé à la ville tout en restant artistiquement soudé. Pour la première fois, Annie s’exprime sans que Dave soit présent durant l’entretien. Malgré leur rupture les deux membres d’Eurythmics ont tous deux choisi de résider dans notre pays. Dave vit désormais sur la Cote d’Azur tandis qu’Annie l’Écossaise est devenue la plus parisienne des chanteuses de Grande-Bretagne… après Jane Birkin. Bon ça c’était avant… il y a 30 ans, bien avant le règne destructeur d’Hidalgo-la-folle ! Libérée peut-être par l’absence de son binôme, elle nous invite sans pudeur dans l’arrière-cuisine où se mijote la nourriture spirituelle d’Eurythmics. On  apprend également, avec une certaine sidération, que la chanteuse souffre de cette notoriété qui fait d’elle un personnage public 24h sur 24 et qu’elle ne rêve que d’une chose au monde : posséder un super-pouvoir, celui de l’invisibilité. Flashback…

Publié dans le numéro 255 de BEST sous le titre :

LE FEU ET LA GLACE

« Même avec huit albums sous le bras, la paire d’Eurythmics n’a pas changé : un touche-a-tout génial débordant d’énergie constructive, et une chanteuse-femme aux perpétuels questionnements. C’est Annie qui se propose d’être le porte-parole de cette entité bicéphale, puisque le titre de leur nouvel opus l’affirme : « nous deux, on est qu’un » ! » Christian LEBRUN

 

eurythmicsC’était la toute première fois qu’Annie et Dave débarquaient à Paris. Dans son bureau de l’avenue Matignon, Pierre Yves leur label manager camembert ne pouvait en croire ni ses yeux ni ses oreilles: « Tout ce que nous voulons, c’est monter un spectacle de cabaret dans le genre Julio Eglesias où Annie chanterait seule face à des ordinateurs et des sequencers. » Dave Stewart, plus débraillé que jamais, et Annie, avec ses cheveux carotte électriques étaient déjà deux extra-terrestres à l’aube des 80’s. Duo atomique, leur vaisseau spatial Eurythmics les a menés sans peine jusqu’aux confins de la décade écoulée. Pierre et Marie Curie au pays du rock and roll, leur créativité exacerbée puise toute son énergie dans leur sens inné de l’excentricité. Annie en fugue de son Écosse natale et Dave le guitariste blanc d’Osibisa, étaient nés pour cette rencontre. Dans les années 70, Stewart, spadassin allumé de la musique travesti en troubadour, jouait du luth dans la grande salle d’un château pour un original et richissime lord british. Aujourd’hui, il raconte comment Dylan lui a appris le bottleneck avec le même sourire de môme émerveillé. Quant à la belle Annie, qui aurait cru que I’héroïne troublante de « Sweet Dreams » jouerait le jeu du rock-vérité en forçant sa propre conviction jusqu’à s’enlaidir pour la photo de pochette de « Savage » ? L’Eurythmie est décidément une culture baignée par le paradoxe. Et lorsque ses deux composants décident de la rupture publique – et consommée de leur vie privée- c’est pour mieux se retrouver dans le meilleur des mondes possibles, dans cette galaxie aux quarante-huit pistes digitales où leur imagination conjuguée dessine pour nous tous les jardins suspendus de Babylone. Après l’échec relatif de « Savage », Annie et Dave semblent avoir retrouvé l’alchimie feu et glace d’un rock qui n’a pas fini de nous secouer le cocotier. Le nouvel LP « We Two Are One », capturé à Paris ( Voir sur Gonzomusic  https://gonzomusic.fr/paris-la-ville-son-lorsque-les-stars-du-rock-enregistraient-chez-nous.html  ),  au-delà du simple mythe platonicien de la symbiose amoureuse, traduit l’union parfaite de leurs petites cellules grises pour leur meilleur LP depuis le sanglant « Be Yourself Tonight » de 85.

« Nous ne sommes pas un groupe normal, nos chansons ne sont pas normales et nous ne les enregistrons pas dans un studio normal», m’avait lancé Dave, un soir après un concert. Sweet dreams are made of this… le duo s’agite aujourd’hui comme la nitro et la glycérine avant la fusion-explosion de leurs tribulations nouvelles sur les planches et au creux du sillon. Londres 81, Paris 83, Nancy 87… Paris 89, tombé sous le charme d’Annie Lennox, le rock critique à chaque rencontre manque de se noyer dans son regard trop bleu. En eurythmique éclairé, je m’accroche a mon micro avant de plonger :

 » Tu vis au Quartier latin, tu enregistres tes albums à Paris, mais pourquoi Paris ?

Simplement parce que nous nous sentons bien ici. Nous nous amusons bien et en plus c’est pratique, donc nous y restons. Moi je passe le plus clair de mon temps à Paris, même si mon boulot de nomade m’expédie trop souvent à mon gout aux USA ou en Angleterre. J’ai trois valises et j’ai parfois l’impression de vivre vraiment dedans. Heureusement, je reviens toujours a Paris. Avec mon mari, nous possédons un appart dans le centre et pour que nous nos sentions vraiment chez nous, nous venons de refaire toute la décoration. 

EurythmicsHome sweet home ?

Je ne me sens jamais à la maison nulle part, mais je me sens plus chez moi à Paris qu’ailleurs, sans doute à cause de sa splendeur historique. Lorsque je me promène dans les rues, cela me donne la pêche, alors que celles de Londres me dépriment. Bien sûr je suis consciente du fait que mon français est si limité qu’il ne me permet pas toujours de comprendre tout ce que les gens me disent. Si je comprenais tout, peut-être serais-je déçue, mais j’ai une vision très romantique de Paris et même si c’est un peu cynique, je suis prête à tout pour conserver ce sens vital. Mais si je ne lis pas les journaux, je n’oublie jamais que ce monde n’est pas un paradis. Cela parait évident dans les textes d’Eurythmics. Mais il faut bien se bouger, sinon qu’est-ce qui t’empêcherait de sauter par la fenêtre. Moi je n’ai aucune envie de me suicider. 

Si toi tu as choisi Paris, Dave de son côté semble préférer la Cote d’Azur ?

En ce moment Dave est basé a Cannes. Il s’est même offert un terrain là-bas pour se construire un studio ; car dans chaque endroit où il passe, il se construit un studio. Moi je suis une fille du macadam, j’ai en moi ce besoin de jungle urbaine qui me pousse en avant. Je n’ai rien contre la campagne, mais je m’y ennuie très vite. Il me faut ma dose de pollution, de speed, de stimulation. 

Pourquoi Dave construit-il tous ses studios, pour finir par se retrouver inlassablement au studio de la Grande-Armée au Palais des Congrès ?

Il utilise ses studios, car il a sans cesse besoin de pouvoir enregistrer là où il se trouve. Plus tard, lorsqu’il sera plus vieux il pourra ainsi mener de front tous ses projets de production. Moi je ne suis pas producteur, je n’ai pas besoin d’avoir sans cesse un studio à portée de la main. Dave possède déjà deux studios, The Church à Londres qui nous appartient tous les deux et celui de LA qu’il a baptisé The Chapel. Et ne crois pas qu’il ait un profond sentiment religieux, car ça n’est vraiment pas le cas. 

Celui de Cannes sera-t-il baptisé The Synagogue ?

… et on y bouffera exclusivement cEurythmicsasher !

Parlons un peu du nouvel album.

Il y a cette chanson au texte très critique à l’égard d’un certain pays, elle s’appelle « King and Queen Of America ». Mais tu sais, Eurythmics n’a jamais raconté beaucoup d’histoires dans ses chansons, comme nous évitons les messages trop directs. En fait, je ne sais pas comment nous viennent les sujets des chansons, mais je suis toujours reconnaissante lorsqu’ils nous arrivent, car c’est un combat que de continuer à écrire des textes forts qui savent rester frais sans tomber dans les clichés. Je suis toujours en quête de nouveaux et meilleurs moyens de dire les choses, de communiquer avec les gens. C’est comme toucher du doigt ce que tu es vraiment, comment tu vois le monde et ce que tu en penses. Les gens me demandent souvent : « Mais comment écrivez-vous vos chansons ? » Si j’y repense, je sais que nous n’avons jamais appliqué de recette. Bien sûr, il existe une certaine approche, mais en fin de compte tu te retrouves dans une pièce avec ta tête et ton âme, ton stylo et ton papier, ton ordinateur. Moi je ne prends pas de drogue et je ne suis pas alcoolique, alors si quelqu’un a un truc, il est le bienvenu, car c’est carrément dur de faire des chansons. 

Eurythmics occupe une grande partie de ta vie ?

Oui, 90 %. 

Quoi, Annie Lennox ne se préserve pas un jardin secret ?

Tu as raison, je me préserve un Jardin secret et c’est essentiel si tu ne veux pas finir par te laisser consommer par le système. S’il n’y avait qu’à écrire des chansons, les interpréter et les enregistrer, tout serait si simple. Mais il y a les interviews, les sessions photos et toutes les contraintes inhérentes a un groupe. 

À t’entendre, cela n’a pas l’air très excitant ?

C’est un peu répétitif, mais cela vaut mieux que d’être serveuse. En fait, le moment que j’apprécie le plus c’est lorsque nous finissons un disque, que je l’écoute et que je trouve cela bon. De même que j’apprécie vraiment lorsque nous finissons un concert et que je me dis: « là… c’était bien ». Tout le reste n’est que boulot, c’est intense et ça vous prend la tête. Beaucoup de groupes ne passent pas le cap de leur première année. Ils disparaissent et tu oublies même qu’ils aient pu exister. C’est notre huitième album et j’ai toujours en moi ce besoin de me retourner sur ce que nous avons fait précédemment. Ces disques contiennent beaucoup d’amour et de passion, je suis fière de chacun d’entre eux, mais jamais je ne glisserais moi-même la K7 dans le lecteur. J’aurais bien trop la sensation de relire mes vieux agendas. C’est une mémoire trop vivante attachée à trop de gens, trop d’expériences. 

Annie LennoxDepuis « Revolution » avec Al Pacino, tu n’as tenté aucune nouvelle aventure cinématographique ?

Je sais que je peux le faire, mais je ne suis pas si ambitieuse. C’est déjà assez dur de devenir une bonne chanteuse. Peut-être reviendrais-je un jour au cinéma, mais avant cela je veux avoir des enfants. Dans le futur le plus proche, je souhaite bâtir une vraie famille et cela passe avant mon désir d’être actrice. 

Doutes-tu de la sincérité des gens en général et des médias en particulier ?

Ces gens font avant tout leur boulot. Ceux qui bossent dans les journaux tenteront toujours d’obtenir le plus d’infos verbales pour remplir un max de pages. Le problème c’est que j’ai tant de choses à raconter, parce que je suis passionnée. Et lorsque je m’avance dans mes convictions, ça leur passe carrément au-dessus de la tête, car leur canard n’est qu’un truc de hit-parades et ils ne se fichent pas mal de toutes ces injustices qui me retournent le coeur. Mon rôle ne consiste pas à prêcher aux gens ce qu’ils doivent penser ou être. Nos chansons sont si ironiques, elles contiennent des paquets de symboles, mais elles ne sont jamais directement politiques. 

Comment assumes-tu l’Annie Lennox personnage public au quotidien ?

Il est lourd le revers de la médaille, car je suis extrêmement sensible. Et lorsque des gens viennent me voir et qu’ils me passent de la pommade en étant incroyablement gentils avec moi, ne crois pas que j’aime cela. Je hais cela, ça me rend mal a I’aise. Dans ces moments-la, je voudrais disparaitre, devenir invisible ; je rêve de n’être qu’une mouche sur un mur, car je me sentirais tellement mieux que d’être le point de mire de tous, simplement parce que je pénètre dans une pièce. J’ai dû apprendre a passer dans la rue sans croiser le regard des gens, c’est mon truc d’invisibilité.

Dur de te voir invisible !

Dur d’être invisible lorsqu’on est une propriété publique ! Pourtant je ne le cherche pas tant que cela, je ne joue pas trop avec les médias. Certains se propulsent en première page de chaque magazine et s’ils ne s’y trouvent pas, leur vie n’a soudain plus de sens. 

Entre l’interview sur le thème de ton nouvel album et l’interview sur le thème de ton nouvel amant, ou faut-il rayer la mention inutile ?

En France, j’ai remarqué qu’on Eurythmicsinvite facilement certains journaux à la maison. Et je te montre ma piscine et mon amant qui y barbotte… oh vous me surprenez justement à la sortie de mon bain. Et tout est monté d’avance, C’est insensé. Pour moi c’est un marchandage carrément Faustien et moi je ne vends pas mon âme au diable. Je n’ai aucune envie de retrouver des inconnus dans mon salon et je ne me vends pas ainsi. C’est carrément dégoutant. Je refuse de vivre 24 heures sur 24 avec Annie Lennox. Elle, elle aime son boulot, mais crois- moi, je ne suis pas la pour perpétuer le mythe ripoux du succès. »

C’est pour tout cela que vous êtes Eurythmics ?

Parfois c’est comme chevaucher un cheval sauvage, ça va très vite, mais on apprend à le contrôler. 

Ce qui explique que tu sois parfois soupe au lait ?

Je sais que parfois j’ai pu choquer les gens par mon attitude. Lorsque je suis chaleureuse, c’est à l’extrême et c’est pareil lorsque je suis glaciale. J’ai toujours été ainsi, cela n’a rien à voir avec le fait que je sois star ou pas. Potage au lait… c’est aussi mon tempérament artistique, je ne me cherche pas d’excuses, mais c’est aussi parfois la saine antithèse d‘aseptisée. 

En parlant de « non aseptisé », au cours de la dernière tournée, l’un des moments les plus forts du show c’était lorsque tu te retrouvais en soutien-gorge noir sur scène, à la fois intouchable et pudique.

EurythmicsLorsque j’ai commencé à le faire c’était instinct, uniquement parce que j’avais trop chaud. Mais c’était si puissant… Tant de fois je me suis retrouvée sur scène et j’ai senti voilà des années que les femmes sur les planches n’étaient que des objets sexuels. Comment casser cette logique implacable ? C’est pour cela qu’aux débuts d’Eurythmics J’ai choisi de porter des vêtements de mec pour redéfinir le rôle des femmes sur scène trop longtemps considérées comme de belles plantes. Je voulais prouver qu’en ôtant ma chemise, je pouvais rester très forte, comme un homme qui travaille dur peut retirer la sienne. Ça m’a donné un certain sens du pouvoir, une fragilité et une force en même temps. Pour d’autres, c’était juste : « Woawww à poils Annie » ; pour moi cela avait un tout autre sens et je crois que la plupart des gens ont compris ce que je voulais exprimer. Je n’ai jamais été punk, même si la musique m’a influencée et j’étais trop jeune pour être une hippie. Je suis née en 54 et je n’étais qu’une petite fille de 14 ans dans sa province d’Écosse lorsqu’a éclaté la révolution du Flower Power. Le temps que j’arrive a Londres, les fleurs des hippies étaient déjà fanés et à l’époque des Pistols j’avais 23 ans, J’appartiens a une génération qui ne se laisse pas classer et si je n’ai qu’un message a transmettre c’est bien celui-ci : ne vous laissez pas étiqueter. Trouvez votre propre identité, car elle ne se trouve sans doute pas au sein d’une tribu. Ces temps où nous vivons sont très aliénants ; les gens ne connaissent plus leur valeur. Toute la société est brisée, la structure familiale éclate et pourtant nous vivons dans une ère globale où l’on passe du Zaïre à Memphis en quelques heures, où les Russes s’en vont faire du surf à Malibu beach. Drôle d’époque, mais je suis ravie de ne pas avoir vécu en ces temps médiévaux où l’on se coupait la tête en combat singulier pour un hypothétique jugement de Dieu. Je n’ai pas a me plaindre. »eurythmics-

Annie + Dave… Dave + Annie, leurs rythmes européens n’ont pas fini de nous électro-choquer. Avec leur label Anxious (London Beat, Toni Halliday), les productions diverses (Boris Grebenchikov), leur « We 2 R 1 Tour » et cet album pulsé et bluesé en diable rien ne devrait désormais enrayer l’offensive Eurythmics. Annie passe sa langue sur ses lèvres asséchées et se désaltère de quelques gorgées de thé. Et a cet instant précis, j’ai décidément tant de mal à oublier qu’elle est in-vi-si-ble.

Publié dans le numéro 255 de BEST daté d’octobre 1989Sugarcubes

 

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