LOU REED NEW YORK STORIES
Voici 30 ans dans BEST, BB retrouvait à nouveau Lou Reed pour la cover-story du numéro 252 de l’épatant mag rock de la rue d’Antin. Suite de la New York conversation exclusive entamée quatre mois auparavant entre Bruno Blum et le fulgurant baladin électrique de la Grosse Pomme dans la foulée de son magique « New York ». Le Lou lève ici le voile des secrets derrière ses guitares. Flashback…
C’est sûr, Gonzomusic a toujours un faible pour Lou Reed et son Velvet Underground ( Voir sur Gonzomusic https://gonzomusic.fr/le-mythe-velvet-underground.html et également https://gonzomusic.fr/lou-reed-rock-and-roll-animal-in-nyc.html ). Cette fois, toujours dans la foulée de la publication de son exceptionnel « New York », Bruno Blum tend son micro à Lou Reed pour parler « boutique » et le guitariste rock légendaire ne lui cache rien de ses secrets de fabrication guitaristiques. Et puisqu’il faut savoir hurler avec les Lous, rencontre rare avec l’icône rock de la East Coast…
Publié dans le numéro 252 de BEST sous le titre
L’ANIMAL ÉLECTRIQUE
« Grand activiste (aussi) de la guitare, Lou Reed s’est retrouvé en la retrouvant. » Christian LEBRUN
Par Bruno BLUM
Lou Reed guitariste ? Dès 1966, à la tête du Velvet Underground, il imposait un style rythmique absolument sauvage dont on trouve sans doute les fleurons sur « What Goes On », « White Light White Heat » version Live 69, ou encore « European Son To Delmore Schwartz ». Un son Gretsch Country Gentleman et Gretsch White Falcon sans effets, sans pédales, sans aucun trafic autre que I’huile de coude et un ampli Fender. Ce gling gling de base, minimaliste, suractivé, frénétique, fût le terrain de décollage des grands délires instrumentaux qui font encore un des nombreux charmes du Velvet. Une direction pour les improvisations de Sterling Morrison, son guitariste, pour John Cale, alors violoniste-bassiste-organiste. Une façon d’exciter inconnue a l’époque. Lou ne se contente pas d’écrire les plus sublimes chansons, pour ensuite les interpréter sans pareil: son style de guitare rythmique exacerbé a donné naissance, dans les années soixante, aux premières expériences de guitares solos distordus et hystériques. Après les Doors, pour qui un concert du Velvet Underground and Nico lors de l’« Exploding Plastic Inevitable » de Warhol fut une influence déterminante, ce fut Jimi Hendrix, surexcité par la performance délirante de Lou Reed lors d’un des premiers concerts du Velvet a New York en 66, qui fracassa une chope de bière contre la scène et opta alors pour la surenchère. Lou Reed poussait son ampli a fond, méthode inédite, et se livrait à d’incohérents larsens, succession de violents spasmes de bruit et d’envolées de notes ineptes techniquement, mais gonflées à bloc. On trouve quelques rares exemples de ces explosions de rock’n’roll en fusion sur des titres du Velvet comme « Sister Ray ». Au cours de sa carrière solo depuis 1970, Lou a souvent laissé d’autres musiciens que lui s’occuper des guitares, assurant pour sa part une rythmique discrète, mais essentielle comme sur « Walk On The Wild Side ». On se souvient notamment du mémorable duo Steve Hunter-Dick Wagner du concert d’où « Rock’n’Roll Animal » et « Live » ont été extraits. Après d’autres grands moments comme « Coney Island Baby », il est revenu seul à la guitare sur « Rock’n’Roll Heart » en 77 et depuis, la formule Velvet, Lou + un autre, est à l’honneur. Sans doute un poil plus technique, mais toujours aussi primaire, le son de guitare de Lou Reed sur son dernier album « New York » est une merveille, une symbiose ou l’expérience parle vraiment. Simplicité, efficacité, originalité, ce dernier disque est une claque de par ses chansons, son optique résolument antidigitale, et le bonus guitare. Le solo si spécial de Lou sur « Dime Store Mystery » en est une des facettes.
« Comment « New York » a-t-il été enregistré ?
J’ai passé trois ans à y réfléchir. Je me demandais ce que je n’aimais pas dans le son, dans la production de mes derniers disques. Qu’est-ce que je voulais ? À New York, il y a tellement de technologie, l’engouement est facile. Un grand changement s’est produit avec les consoles digitales à automatisme. Moi j’ai beaucoup bossé mon son de guitare pendant toutes ces années, depuis I’époque où je copiais les solos de gens comme Roy Orbison. Et si tu écoutes les guitares aujourd’hui, le son, c’est plus ça. Ma grande question a été : Pourquoi? Comment était-ce possible ? Moi je sais comment obtenir le bon vieux son: tu branches une vieille Fender dans un vieil ampli Fender et le tour est joué.
Le problème c’est les nouveaux micros de guitare a électronique active ?
Oui, beaucoup de gens vont dans ce sens-la. Mais moi, j’ai un technicien de guitare génial.
Il te monte des guitares Schecter.
Comment tu le sais ?
Tu en as une sur la pochette de « Mistrial » !
Ah! Ah! Oui, c’est ça. Mais ce ne sont pas des Schecter d’origine. Je n’en utilise que les pièces, et mon luthier les trafique. J’ai acheté un petit stock de manches de super-qualité quand ils étaient disponibles. J’en ai en laurier indien, en wingai africain, et quelques-uns en palissandre. Mon luthier se fournissait directement chez Schecter et montait les pièces lui-méme. Ce n’est donc pas une Schecter, il n’y a que le manche, et encore, c’est lui qui a écrit « Schecter » dessus ! Ça pourrait tromper les gens qui me voient avec. C’est comme pour Fender: ils les fabriquent au Japon, mais les meilleures pièces pour te bichonner une custom guitar aujourd’hui, il faut les prendre sur les vieux modèles américains. J’ai toujours voulu avoir le vieux son, mais en plus je voulais le trafiquer avec de la distorsion et de la saturation. Mon luthier m’a branché avec un fabricant d’amplis très intéressant qui me permet ca. Je ne te parle pas d’une pédale minable, pas de la saturation en boite, mais de la VRAIE distorsion. Hé ! Hé ! Hé ! »
La boucle est bouclée: Lou Reed est revenu aux techniques d’avant les années 80, celles d’avant les micro- processeurs, mais en les perfectionnant encore alors qu’elles étaient abandonnées de tous. Et il gagne quoi ? Il gagne le grain du son, la chaleur, l’intimité, la couleur, l’artisanat. Son disque en est I’illustration majestueuse.
« Mes amplis se sont beaucoup améliorés. J’ai eu de petits amplis, qui étaient pratiques pour obtenir un gros son sans devenir automatiquement sourd. Mais le son change d’une salle à une autre, les murs sont trop durs, trop mous… tout se fait à tâtons. Par exemple je n’aime pas les vieilles Stratocaster parce que le bouton de tonalité n’agit pas sur le micro aigu. J’ai essayé des dizaines de micros et j’ai enfin trouvé Red Rhodes, un luthier de L.A. qui joue de la pedal-steel guitar. Son micro s’appelle le Velvet Hammer, il est super. Il est comme les vieux micros, pas très puissant. Tout le monde veut des micros puissants. Moi je me fous de ce qu’on raconte, plus le micro est puissant, plus tu perds le grain du son. Ce sont des micros « a simple bobinage », et au début j’ai fait faire un modèle qui en reliait deux ensemble, avec un interrupteur, qui me permettait de les transformer en un seul, double bobinage donc, a volonté. Comme ça j’obtenais les deux possibilités, puissant ou grain. Je ne suis pas sûr que tout ça intéresse les lecteurs de BEST, mais si je lisais un article sur moi, c’est de ça que j’aimerais entendre parler ! »
Aujourd’hui, au beau milieu de la musique d’ordinateurs, apparaissent des groupes acoustiques, Ô contraste, qui reviennent aux racines du son, comme les Pogues ou Tracy Chapman. Lou, lui est revenu aux racines du son… électrique.
Publié dans le numéro 252 de BEST daté de juillet 1989