AU REVOIR DODO FARRAN
C’est par les réseaux sociaux qu’est tombée cette triste nouvelle : Dominique Farran nous a quittés, bien trop tôt. Héros du rock sur RTL, au-delà de son immense talent professionnel, notre ami moustachu était surtout la gentillesse, la simplicité et la modestie personnifiée. A la fin des 90’s, après son aventure à la radio, l’ami Dodo avait accepté de mettre sa plume et son expérience au service du magazine BUZZ que je dirigeais. En septembre 2000, il nous faisait ainsi partager ses premiers pas de jeune assistant à l’Electric Lady studio où officiait un certain Jimi Hendrix. Flashback hommage…
C’est par un Tweet de Princesse Erika, confirmé hélas par une dépêche de RTL, que j’ai appris la fucking news: Dominique Farran s’est éteint hier à l’âge de 72 ans. Bien trop tôt, bien trop triste. Dés le tout début de ma carrière de journaliste, j’avais adoré ce grand moustachu au sourire jovial, aussi cool que zen, totalement amoureux de la musique et ouvert sur les autres, d’une simplicité à toute épreuve malgré son incroyable expérience au pays du rock qui lui avait fait croiser les plus grands. En 79, lorsque j’assiste à mes premiers concerts pour le boulot, à chaque fois une grande silhouette se détachait dans la foule, une silhouette qui ne manquait jamais de me saluer, alors que je n’étais qu’un tout petit pigiste inconnu, et qui ne passait pas tout le temps du show au bar, contrairement à tant d’autres éminents représentants du showbiz hexagonal. À force de le croiser, j’ai fini par échanger avec lui, confirmant ma première impression : Dominique Farran était l’un des plus cools dans le monde de la musique. Le début d’une amitié solide et sincère, à son image. Pourtant Dodo aurait pu se contenter d’être un fils à papa comme les autres : son père Jean Farran n’avait-il pas fondé la radio RTL ? Tout au contraire, Dodo était un bosseur passionné. Parfois il me faisait partager ses anecdotes d’un autre temps, comme cette histoire de Triumphs (automobiles), sachant que j’en conduis moi-même depuis l’aube des 80’s. Jeune journaliste au service des sports, il avait réussi à convaincre la radio d’investir sur une dizaine de Triumph TR3 car, en ce temps reculé de l’avant internet, pour ramener ses reportages sportifs au plus vite à la station, pour les monter et les diffuser, il fallait bien une voiture…de sport ! Et c’est ainsi que l’ami Farran a entamé sa carrière au volant d’une classieuse décapotable anglaise. Plus tard, aux cotés de Hebey, Lang et du regretté Bernard Schu ( Arschu…arschu…arschu tant il abusait de l’écho à la radio) il fonde WRTL, programme calqué sur le style des FM yankees et incarne RTL live capturant et diffusant les plus grands concerts rock. Des années durant, avec Dodo et tous les autres rock-critics, nous partagions le déjeuner du Bus d’Acier, qui décernait chaque année son « Prix du rock Français » suivi d’un concert au Bus Palladium. Quelque temps après avoir quitté la radio, Dodo avait accepté de mettre son immense science musicale au service de BUZZ, le mag musical que je dirigeais de 94 à 2004. Aussi modeste que discret, à l’occasion d’une réédition d’un coffret Jimi Hendrix, il avait pourtant accepté de nous faire partager sa rencontre incroyable avec le guitariste gaucher le plus fulgurant de toute la planète rock. Aujourd’hui, Dominique Farran s’est envolé, après hélas des années de galères neurologiques, et toutes mes pensées vont à sa compagne de longue date, à son fils Sebastien et à sa petite fille. Au revoir Dodo, tu seras toujours vivant dans nos têtes et dans nos cœurs, bro.
Publié dans le numéro 42 de BUZZ daté de septembre 2000 sous le titre:
JIMI AND ME…
MON EXPERIENCE D’HENDRIX
Par Dominique FARRAN
Trente ans que Jimi a quitté le building, nous laissant à jamais ses riffs acides dans les oreilles et sur les lèvres, ce gout amer de liberté. Happy Birthday Jimi ! Avec la publication d’un coffret 4 CD de prises alternatives de ses compositions allumées, BUZZ célèbre Hendrix en flash-back sur ces années dorées grâce à Dominique Farran, « Enfant du rock » et fameux music-lover qui nous ouvre sa mémoire vivante en rares instantanés du plus célèbre guitariste black de toute la Galaxie.
Londres, printemps 1969
King’s road, la rue la plus « in » de l’époque où une foule bariolée défile, non-stop , défiant bien avant l’heure les règles de la bienséance, arborant des accoutrements qui jurent glorieusement avec l’image fière de l’Albion de la City. La musique venue des cafés et autres bistrots, les odeurs, l’ambiance de fête , le grouillement permanent préfigurent trente ans plus tôt, le climat multiethnique de Notting Hill Gate à l’aube de l’an 2000. Les pubs commencent à s’ouvrir en terrasse et les filles aux yeux cernés de khôl, pantalons pattes d’éléphant (de marque Landlubber de préférence ) revendiquent une libération longtemps attendue en brandissant fièrement leur chope de pale-ale . Je déambule désinvolte dans ce courant humain, heureux de vivre ce que l’on croyait être alors un Nouveau Monde, la révolution des mœurs et la fin de l’ennui, quand j’aperçois plus loin dans l’avenue une coiffure dite « afro.
À cette époque, Sly Stone ou bien Angela Davis étaient l’image médiatique de la coupe « afro. Les couvertures de Time magazine ou de Rolling Stone stigmatisaient cette nouvelle génération. Mais l’arborescence de celui ou celle que j’avais repéré à une centaine de mètres de moi dépassait de loin en extravagance tous ses précédents. Il s’agissait véritablement d’une colonne rigide et verticale culminant facilement à plus de cinquante centimètres. En me rapprochant, je constatais que l’homme (oui c’était un homme) portait un tee-shirt fluorescent et couvert de petits miroirs ainsi qu’une paire de lunettes rouge et or, largement surdimensionnée. La surprise n’a duré qu’un temps. J’ai vite reconnu notre homme : c’était Jimi. Il arpentait la rue avec nonchalance, mais sans frime. J’étais étonné qu’il me reconnaisse, mais c’est lui qui m’envoie un « comment m’as-tu reconnu ? » Plein de charme et de naïveté. Je l’avais rencontré assez peu de temps auparavant à New York, où m’avait conduit un désir très juvénile de faire de la musique et en tous les cas d’apprendre les rudiments du jazz piano. Poussant le zèle un peu plus loin, j’avais également entrepris de m’inscrire dans une école d’ingénieur du son. Ce cours offrait à ses élèves les plus méritants un stage en entreprise, comme on le dit aujourd’hui. C’est ainsi que je me suis retrouvé jeune assistant au Electric Lady studio de la huitième rue Ouest à Manhattan, le studio de monsieur HENDRIX. Mon travail était assez élémentaire, un peu de câblage et beaucoup de « tea and sympathy », une sorte de factotum permanent. Le patron du studio, Eddie Kramer, m’avait à la bonne et j’avais lié des rapports très amicaux avec Michael Jeffrey, le manager de Jimi de l’époque, qui devait malheureusement disparaître quelques mois plus tard dans un crash d’avion au-dessus de la France. J’ai pu partager plusieurs semaines ce cocon musical, moi le petit frenchie timide et effacé. Jimi occupait le studio en permanence. Il était un véritable bourreau de travail. Il enregistrait jour et nuit, le plus souvent seul, et quittait le lieu aux premières heures du jour. Je le savais pour avoir senti l’odeur encore fraîche des cigarettes à mon arrivée, le matin. Je le croisais souvent. L’homme était direct, discrète, jamais grande gueule, mais toujours solitaire comme enfermé dans un monde à part, trainant ça et là une grande carcasse à la fois élégante, dégingandée, rarement assurée. Un sourire tendre et énigmatique, sans faire de démagogie, il était toujours courtois, il disait bonjour à nous autres petits employés, sans doute les restes d’une éducation simple et de son passage en Angleterre, quelques mois auparavant .
J’ai appris sa mort comme tout le monde le 18 septembre 1970 par la radio FM à New York. Pour ceux qui avaient adulé la star, pourtant si neuve, le choc fut énorme, pareil à celui de la disparition de John Lennon, quelque dix ans plus tard. Les circonstances étaient hélas bien différentes, bien moins claires. Les premiers communiqués des radios font état d’overdose d’héroïne. Plus tard, l’hypothèse du suicide est invoquée, appuyée par le témoignage d’Eric Burdon des Animals, qui assure devant les caméras de la télévision que Jimi a laissé plusieurs messages dans ce sens. Michael Jeffrey, son manager, avait réfuté toutes ces propositions, arguant que Jimi, souffrant du dos depuis une chute en parachute pendant son service militaire, avait peut-être abusé de la combinaison de pilules anti douleurs trouvées chez Monika , l’amie peintre allemande où il avait passé la soirée précédente son décès. Les témoignages les plus divers abondent, chacun apporté par des personnages décidément trop ravis d’être assimilés à l’épopée de la star, et ils sont nombreux à ce moment. Certaines radios vont diffuser du Hendrix non-stop 24 heures d’affilée… ce qui n’était pas évident, puisqu’il n’existait, au plus, que cinq albums disponibles de l’artiste au moment de sa mort. Dans l’esprit des carrières et des morts fulgurantes, seule Janis Joplin allait le battre moins de trois semaines plus tard avec deux albums parus seulement. L’époque est aux ascensions démesurées : dans les hits américains, les genres musicaux les plus divers se côtoient au sommet : Crosby Stills and Nash flirtent avec Chicago, Simon and Garfunkel , Neil Diamond ou les Jackson Five. Les maisons de disque, découvrant le business désormais très lucratif du rock, signent à tour de bras. Pourtant, rien ne prédestinait Jimi à une carrière aussi intense et aussi brève. Originaire d’une banlieue triste et petit bourgeois de Seattle (Washington state), ce n’est pas la Californie, le jeune Jimi se fait offrir une petite guitare acoustique quand il a onze ans, passant à l’électrique un an plus tard . Comme tous les adolescents américains de cette époque, Jimi se retrouvera membre de plusieurs groupes de rock, rythm’n’blues, sans que ses camarades de jeu puissent jamais imaginer à aucun moment qu’il devienne superstar. De l’avis de la plupart d’entre eux, il n’était qu’un musicien moyen, peu original et surtout tellement timide. Apparemment, et toujours selon eux, il n’avait aucune aura sur scène. Musicien prodige ? Quand il part au service militaire, en 1963, devançant l’appel comme volontaire, il en oublie même d’emporter sa guitare. Son père lui enverra quelques mois plus tard et n’entendra plus parler de son fils avant sa période londonienne. Entre-temps, deux ans durant, Jimi parcourt les États Unis où il joue derrière une bonne quarantaine de groupe de rythm’n’blues sous le nom de Jimmy James, avec Wilson Pickett, Little Richard, Jackie Wilson, les Isley Brothers et surtout Curtis Knight and the Squires avec qui il aura droit à un léger vedettariat, au point d’enregistrer un album où ils figurent tous les deux à l’affiche.
Le grand break, ce sera la rencontre avec Chas Chandler, le bassiste d’Eric Burton et des Animals, le groupe mythique du blues blanc, dit« blues aux yeux bleus » d’outre-Manche. Chandler avait repéré Jimi dans un club de Greenwich Village de New York, le Café Wha et réussi à le convaincre de revenir avec lui à Londres ce qui fera de lui une superstar. En Angleterre, les sixties swinguent à fond et tout va très vite. Les copains de Chandler sont tous mobilisés et conviés aux premiers essais scéniques de notre héros. Eric Clapton, les Beatles, Pete Townshend, et quelques autres du Gotha musical et mode du moment, font partie de sa première campagne de marketing. Quelques semaines seulement après avoir quitté New York, Jimi a formé son groupe avec un bassiste qui n’était au départ que guitariste (Noel Redding ), et un batteur plutôt inconnu, Mitch Mitchell, formé au jazz plus qu’au rock. La Jimi Hendrix Expérience est née : une première tournée européenne vire au délire. L’Olympia de Paris n’est qu’une version soft, même sous la houlette de notre Johnny national, et ses quatre titres qui mettent le feu. La consécration vient quelques semaines après, au festival pop international de Monterey en 1967 en Californie, où l’on attend ce guitariste génial qui joue avec ses dents, quelquefois même derrière la tête. C’est à Monterey que Jimi inaugurera son numéro de guitare en feu avec un peu de kérosène et un briquet façon Zippo offert par Chandler. La justification de ce jeu de scène n’est pas bien claire, mais elle fait son effet. Selon l’expression de la jeunesse de l’époque « the man is far out »…si loin. Le jeune homme introverti de la banlieue de Seattle est nommé musicien de l’année chez les Anglais de Disc Magazine, et, ironie du sort, il reçoit en honneur les clés de sa ville natale, additionné d’un diplôme honoris causa de son collège. Papa, James Hendrix Sr., architecte fonctionnaire de son état ne reconnaît pas son fils, tee-shirt fluorescent et cape de velours rouge dont la seule apparition en ville inquiète les mères de famille qui paniquent pour leurs adolescentes de filles. Il est désormais un symbole du rock en personne, même si avant le festival de Woodstock, autre grande performance, il est déjà loin devant. Son « blues progressif » est une forme de jazz avancé. Ses idoles depuis longtemps sont John Coltrane, Archie Shepp , Elvin Jones ou même Miles Davis avec qui il jouera le fameux concert de ce soir de Nouvel An 1970 au Fillmore East de New York, la nuit où la musique n’en finissait pas . Sans faire de jeu de mots, l’homme est déjà « miles ahead » ! Voilà qui lui sera reproché. « Je ne veux plus être un clown désormais » dit-il dans les interviews à la presse dés 1969. Il semble s’éloigner du monde bien avant son départ ultime. Les concerts avec son groupe suivant, Band of Gypsies ne seront pas toujours les fêtes annoncées, voire même quand Jimi pose sa guitare pour ne plus en jouer et quitter la scène (tiens comme un certain Miles) au beau milieu de la représentation. On le sent chercher à brouiller les pistes. Certains mettront cette attitude au compte de certains abus de substances prohibées. L’affaire est tout de même plus essentielle. Quelques semaines avant sa mort, à l’époque du festival de l’île de Wight, répondant aux questions du journaliste de Melody Maker, ne parlait-il pas d’une musique à venir, une forme de musique classique de l’ère post rock où Strauss, Wagner et Bach rejoindraient le blues, le jazz et toutes les aventures d’une époque qu’il n’aurait pas pu vivre.
Jimi paraît-il, écrivait beaucoup de poèmes, un peu comme son contemporain Jim Morrison. L’un des derniers, cité par sa compagne Monika disait : « l’amour , c’est bonjour et au revoir , jusqu’à la prochaine ».
Dominique FARRAN