DEACON BLUE LE POUVOIR DE LA TOUCHE ÉCOSSAISE
Voici 30 ans dans BEST, le chanteur de Deacon Blue affirmait à GBD que « Les meilleurs nouveaux groupes west-coast sont désormais écossais » et le pire c’est qu’il n’avait pas tort. Dans la foulée de son imparable premier album « Raintown », le groupe de Glasgow imposait sans peine sa pop léchée inspirée à la fois de la punkitude et du funk passé à la chaux vive de Donald Fagen et de Walter Becker alias Steely Dan. Rencontre parisienne avec Rick Ross, un chanteur sous la pluie. Flashback…
À l’instar de la plupart des groupes originaires du Royaume-Uni de cette période mid-80’s, Deacon Blue a splitté, puis s’est reformé avant de re-splitter pour mieux se re-re-former. La formation de Rick Ross avait su déjà me captiver en décembre 1987 par son fulgurant « Raintown » ( Voir sur Gonzomusic https://gonzomusic.fr/deacon-blue-raintown.html ), quoi de plus naturel, lorsque le chanteur mentor de Deacon Blue est enfin de passage à Paris, que de le rencontrer pour échanger avec lui tout ce qui concerne Glasgow, sa ville si pluvieuse et leur filiation avec Steely Dan, qui compte parmi mes groupes fétiches. Retour vers le futur du BEST mag ever….
Publié dans le numéro 235 de BEST sous le titre :
CHANTONS SOUS LA PLUIE
« I’ll learn to work the saxophone/l play just what l feel/ Drink scotch whiskey al/ night long/And die behind the wheel/They got a name for the winners in the world/l want a name when l lose/Call me Deacon Blues… »
(Steely Dan — 1977)
La pluie s’écrasait lourdement sur le bitume noirci de Glasgow. Ricky Ross pouvait l’écouter chanter sur les vitres de sa fenêtre, sur le toit, dans sa tête. Ricky avait tout son temps. Comme la plupart des kids il était au chômage et le rock and roll paraissait la seule issue probable… Un piano dans un coin, à côté sa collec de disques yankee et, sur le pick up, cet album, « Aja » de Steely Dan. Dans sa tête le Deacon Blues se mit alors furieusement à exploser. Le premier album de Ricky ne s’ouvre pas par hasard sur une chanson intitulée « Né dans la tempête ». Glasgow sous la pluie, Glasgow sous la crise et ce rêve américain qui parait si bleu, le rock de Ricky s’aventure jusqu’à l’ouest sauvage, jusqu’à ce Pacifique qu’il ne connait qu’a travers sa TV cyclopéenne. Depuis l’Average White Band et la série des Hipsway . Orange Juice, Wet Wet Wet on savait que le rock écossais penchait sacrement côté USA via la soul mais jamais il n’avait poussé aussi loin. Steely Dan, Jackson Browne, the Band… Deacon Blue, sous sa douche écossaise, reflète toute la chaleur de la côte ouest US. Mais son optimisme rageur et forcené tranche sur l’insouciance aisée de ses modèles. Comme Billy Mackenzie (Associates) et Danny Wilson, Rick est originaire de Dundee sur la cote ouest… de l’Écosse et il s’exprime en roulant les « r » avec cet incroyable accent qui fait si bien roller le rock:
« C’est vrai, j’ai écouté avec intensité les trois premiers LP de Jackson Browne lorsque j’étais étudiant. Ma sœur me les avait offerts, j’ai grandi avec « For Every Man » et « Late For The Sky ». C’était de superbes chansons, mais aujourd’hui le style californien a oublié qu’on pouvait innover. En Californie, dans le genre il n’y a que des dinosaures comme l’affreux Starship. Après ma période west-coast, le punk est arrivé et m’a balayé la tête. »
L’énergie des Pistols et le romantisme forcené du piano de Jackson Browne cohabitent sans heurt dans le rock de Deacon
« Je compose toutes les chansons sur un piano, je n’aime pas les synthés. J’étais avec Hue- aujourd’hui du duo Hue and Cry- il était bassiste et moi claviers et nous étions tous deux malheureux parce que nous ne chantions pas. J’ai monté mon groupe, mais je suis resté fidèle au vieux piano. C’est comme notre manière de bosser ; nous avons enregistré tout l’album « Raintown » pratiquement en live. »
On connaissait déjà la soul écossais, mais le west coast écossais…
« ll n’y a pas d’industrie musicale en Écosse, alors on va droit a l’essentiel, les chansons. On se concentre sur la substance de la musique et ses racines sont incontestablement américaines. Si la soul, chez nous, a toujours été essentielle, aujourd’hui avec Hue, the Big Dish et nous-mêmes, les nouveaux Californiens sont écossais. Dans notre musique il y a de l’espoir et même de l’humour, c’est le seul moyen d’affronter la crise économique. Notre album s’appelle « Raintown » car nous nous débattons dans cet univers glauque et carrément frustrant ou il n’y a pas de boulot. L’image du chômage en plein hiver avec la pluie qui tombe, c’est Glasgow. »
Avec son rock chaleureux comme un braséro sous le vent, Deacon Blue a choisi de combattre le feu par le feu. Mélange deux-temps de feeling et d’idéalisme ?
« L’Écosse, et tout spécialement Glasgow, a toujours eu une tradition socialiste. Ces dernières années, nous avons expérimenté à nos dépens ce revirement à droite qui nous tue a petit feu. ll est malsain de parier sur les mauvais instincts des gens ; or avec Thatcher, pour gagner, il faut savoir écraser les autres. Alors, j’espère que dans ce que nous faisons transparaissent les valeurs profondes de l’échange et du partage. Tout est devenu si individualiste, du hamburger à la vidéo en passant par le Walkman et le terminal d’ordinateur, alors que nous sommes faits pour vivre en tribus. »
S’il n’était pas chanteur/leader de Deacon Blue, Ricky Ross serait encore instit’ dans un village paumé de la lande écossaise. Un jour peut-être Rick aurait craqué et il serait parti pour le Nicaragua ou l’Afghanistan faire dans l’humanitaire, mais c’est une autre histoire, n’est-ce pas !
Publié dans le numéro 235 de BEST daté de fèvrier 1988