YOU MADE ME DIZZY THIN LIZZY !
Voici 41ans dans BEST GBD se liait d’amitié avec un rocker si furieusement paradoxal, farouchement Irlandais, noir et rebelle, chanteur leader et bassiste, pratiquant un rock aussi tonitruant qu’inclassable sous l’improbable alias de Thin Lizzy. Au printemps 1982 Phil Lynott entamait ce qui constituait sans doute alors sa tournée la plus cruciale avec le « Renegade Tour » dans la ville d’Essen en Allemagne. Flashback émotionnel… Phil nous ayant quitté à seulement 36 printemps… il y a déjà 37 ans…
On ne s’est croisé que trois ou quatre fois, mais dès cette toute première rencontre en 1982 pour le démarrage du « Renegade Tour » , le courant est immédiatement passé entre Phil Lynott et moi. Peut-être était-ce dû à notre coupe afro commune ? Ou à nos gouts musicaux éclectiques ? Et si le leader de Thin Lizzy avait cette réputation de mener les journalistes en bateau, esquivant questions et interviews, il s’est toujours montré avec moi aussi cool que direct, aussi chaleureux que drôle et complice. Et surtout incroyablement visionnaire. Comme durant cet entretien rare pour le BEST historique – et reproduit dans le numéro 4 du mook BEST. Hélas, Phil décédera en janvier 1986… mais malgré toutes ces années j’entends pourtant toujours aussi distinctement son joyeux rire nasal résonner dans ma tête. Miss you bro…
Publié dans le numéro 264 de BEST et dans le numéro 4 du NOUVEAU BEST sous le titre :
LA ROSE NOIRE
Le hard…pour moi…heu non merci. À BEST c’était plutôt le jardin privé d’Hervé Picard. Mais comme partout, il y avait des exceptions. Et pour moi elle se comptaient sur les doigts d’une seule main. D’abord il y avait les Runaways rencontrées autour de la piscine du Tropicana Motel à LA en 78, lorsque je n’étais encore qu’étudiant en droit. Hélas le groupe se sépare quelques mois plus tard et je jure que je n’y suis pour rien. J’acceptais aussi d’aller interviewer les Girlschool… car, comme leur nom l’indiquait, c’étaient des girls et de surcroit les copines de Motörhead… et nul n’avait envie de se quereller avec Motörhead. Il y avait aussi Foreigner que j’affectionnais particulièrement. D’abord parce que cela me faisait marrer d’interviewer indifféremment DEUX Mick Jones guitaristes, celui du Clash et celui de Foreigner si francophile – même si l’ami Eudeline et moi avons un différent à ce propos- qui avait épaulé et composé quelques années moult hits pour notre Johnny national. Enfin et surtout, il y avait le Thin Lizzy de Phil Lynott, dont j’adorais la musique, ce vibrant cocktail de blues rugueux, de rock tonitruant et d’une sensibilité black à fleur de peau, un feeling illimité découvert en 76 sur les radios FM US. Son colossal « Jailbreak » nous avait accompagné durant un périple de trois mois à travers les USA. Dès lors j’avais suivi album après album ses fulgurantes aventures soniques. Aussi lorsque Christian Lebrun, le rédacteur en chef du fameux mag de la rue d’Antin m’avait proposé d’aller rencontrer les Thin Lizzy, à Essen en Allemagne, sur leur première date de tournée, j’ai bien entendu immédiatement accepté. Mais j’étais loin de me douter que le chanteur-bassiste du groupe irish se montrerait aussi cool à mon égard à chaque rencontre. Nous sommes entre nous, pas vrai ? Et ni ma femme ni ma mère ne lisant BEST, je vais vous faire partager mon secret. Durant l’interview suivante, pour la sortie de son second album solo, j’ai retrouvé Phil sur une péniche amarrée sur la Tamise. Après les salutations d’usage, Phil me tend son… portefeuille. Puis il se penche vers moi pour éviter que l’attachée de presse ne puisse entendre et me chuchote : « va donc aux chiottes te faire une petite ligne à ma santé. ». Et dans les toilettes en l’ouvrant, j’ai effectivement trouvé une petite enveloppe caractéristique contenant le coke. Cheers ! Phil était ainsi, généreux et instinctif envers ceux auxquels il accordait sa confiance au point de leur confer son portefeuille ! Sa disparition en 86 m’a fendu le cœur. Hélas il était multi-addict et ça l’a tué à seulement 36 ans, quelle tragédie de voir partir si tôt un musicien si doué et dont le style aussi perso transcendait si bien les races et les cultures. J’entends encore son accent irlandais résonner à mes oreilles. Heureusement, les mots et les chansons se révèlent de parfaites machines à remonter le temps… jusqu’en 1982…
Nous sommes au Gruga Halle à Essen. La scène éclaire deux étendards rouges à étoile d’or, symbole du LP « Renegade ». Soudain, Phll Lynott paraît dans un blouson sans manche, tandis que le reste du groupe s’installe pour quatre-vingt-dix minutes d’un rock impeccable et indubitablement musclé. Heureusement pour moi, Phil a la chance de posséder une voix complètement attachante et sensuelle qui contrebalance par la mélodie l’effet rouleau compresseur des deux lead-guitars. Les titres de « Renegade » défilent les uns à la suite des autres ; forcément pour ce premier concert de l’année, le groupe met l’accent sur les nouvelles compositions. Cela ne l’empêche pas d’exécuter quelques classiques comme mes favoris « The Boys Are Back in Town », « Don’t Believe A Word » ou encore « Dancing In the Moonlight ». Lynott charme son public. Thin Lizzy tient toutes ses promesses, les fans en ont largement pour leur argent, c’est dix fois mieux qu’une partie gratuite de flipper. À la fin du gig, direction le Bredeley hôtel pour la traditionnelle party after-concert avec le groupe, les journalistes et les cadres du label. On me présente et d’emblée Lynott me fait vraiment marrer : il a su rester simple et si facilement abordable. L’absence de mégalo et de parano se faisant de plus en plus rare dans le monde du rock pour qu’il faille le souligner quand on a le privilège de croiser la route d’un type aussi cool. Car contrairement à sa réputation de fuir systématiquement les journalistes, avec moi notre héros du rock se montre particulièrement volubile ; l’alcool aidant, il me raconte, comme les pièces d’un puzzle sa vie d’Irlandais noir, la rencontre entre son père brésilien et sa mère irlandaise qui vivait à Manchester, l’improbable cocktail de sangs qui fait de lui cette rose noire dans un champ de rock blanc. Lynott porte en lui toutes les contradictions de sa musique : la tendresse et la violence, la soul et le rock très fort, la mélodie et le déchirement des riffs en dents de scie. Il est trop tard ou trop tôt pour l’interview. À ce stade de la nuit, les conversations s’enfoncent dans un brouillard cotonneux… mais rendez-vous est pris au bar du Bredeley demain, à treize heures.
Le lendemain, comme convenu, je retrouve mon Phil … qui tente pourtant de… « philer » à l’Irlandaise : « Heu… ne pourrions-nous pas remettre l’interview à demain ? ». Wouaf ! La bonne blague. Lynott, son verre de bière à la main, se paye gentiment ma tête. Mais forcément, le GBD ne lâche pas l’affaire et persévère en évoquant ses écrivains fétiches. Comme James Joyce, son auteur préféré qui a passé toute une partie de sa vie à Paris, Phil adore le style de la France. Pourtant, ce qui le branche plus que tout au monde, c’est son pays, l’Irlande : encore un point commun avec Joyce. Il y a aussi Beckett, Shaw et Wilde qui garnissent sa bibliothèque. Notre black Irish possède une maison sur le littoral, juste au nord de Dublin, une retraite qui lui permet, entre deux tournées, de renouer avec ses précieuses racines. Et cette vibrante fierté rock d’être né irish. Car par rapport à sa taille et à sa population de quatre millions d’habitants, l’Irlande possède un super cheptel d’excellents groupes de rock : les Boomtown Rats, U2, les Undertones, Gallagher, Van Morrison…
« Nous autres, les Irlandais, nous sommes les meilleurs. C’est normal, parce que c’est mon pays » proclame-t-il, « j’adore partir en tournée et jouer n’importe où sur le globe, mais je serai toujours heureux de retrouver Dublin ».
Et il se met soudain à chanter devant moi. Comme dans une comédie musicale où le dialogue se transforme en chanson. « C’est super de voyager, mais qu’il est doux de retrouver son foyer » vocalise Phil. Une fois, il est allé au Brésil chercher les odeurs et les cris de Rio de Janeiro tels que son père les dessinait dans ses histoires. Lynott n’oublie jamais qu’il est noir ET irlandais ; mais il parle le gaélique en sachant très bien que, dans dix ans, ce sera une langue morte, parce que les Anglais ne lui donnent pas les moyens de survivre. « À la fin, c’est toujours « Dallas » ou « Mickey » qui finissent par triompher et je crois que nous n’y pouvons rien ». Du coup, Lynott en vide sa bière d’une seule traite. Je lui demande ce qu’il attend pour se mettre à chanter en Gaélique ? Il ne faut tout de même pas prendre les Thin vessies pour des lanternes Stivell ! Et pourtant, sur la pochette de « Renegade », un bras musclé lève assez haut l’étendard de la révolte, mais au fait, laquelle ? C’est à ce moment que Phil se montre aussi engagé que visionnaire.
« C’est un symbole qui se prête à toutes les interprétations. Chacun peut y trouver le reflet de sa propre révolte, au lieu de se laisser bêtement imposer la mienne. C’est comme dans mes chansons, je n’utilise jamais le « je », tout se passe à la troisième personne. Pourtant, un titre tel que « Renegade » parvient à rester engagé tout en étant ouvert à tout le monde. Dans les sixties et les seventies, des gens ont essayé d’utiliser le rock and roll pour faire passer leurs messages idéologiques. Tout le mouvement hippie les a conduits droit au cul de sac. Au lieu d’être un reflet de son public, le rock est devenu un reflet de la personnalité de ses groupes ».
Et Lynott commande une autre bière. Tandis qu’il s’amuse avec mon Zippo, je le branche sur l’étymologie du nom Thin Lizzy. Il se marre et m’explique que deux thèses sont en présence, la légende et puis le reste. Eric Bell, le premier guitariste de Thin Lizzy, adorait John Mayall. Il écoutait sans cesse le LP John Mayall Featuring Eric Clapton . Sur la pochette du disque, on voit Clapton lire une B.D intitulée « The Dandy » dans laquelle apparaît un robot au féminin qui répond au nom de Tin Lizzie ( soit Lizzie boîte de conserve). Comme avec l’accent de Dublin, on oublie de prononcer le « h », Lynott en rajoute un et remplace le « ie » de Lizzie par « y », ce qui donne Thin Lizzy, et voilà… C.Q.F.D ! Cependant, la légende est nettement plus romantique. Phil, voilà bien longtemps, sortait avec une fille. C’était juste avant le début du groupe. Il l’avait rencontrée dans un club, un soir de fog ; une fille superbe que son goût pour les drogues dures avait hélas rendue complètement disjonctée. Un jour, elle lui a dit : « Il faut que tu choisisses, ce sera ton groupe ou moi… ». Phil a opté pour le groupe, mais elle est morte d’une OD. La fille en question se prénommait Lizzy ; pour qu’elle survive à son tragique destin, elle a donné son nom au groupe. Quelques Kleenex plus tard et un peu plus sérieusement, le chanteur-bassiste de Thin Lizzy accepte d’analyser le son de sa formation : « Les groupes de Heavy Metal construisent leur son sur un certain nombre de riffs ; une fois qu’ils ont trouvé le riff qui leur convient, ils l’étirent jusqu’à en faire une chanson. Pour nous, c’est l’inverse qui se produit : nous composons d’abord des mélodies sur lesquelles nous injectons ensuite les riffs ».
C’est vrai, pour un groupe de hard, Thin Lizzy fait preuve d’un incroyable éclectisme musical, doublé d’un rare sens de la mélodie, mais il se manifeste encore plus dans les albums solos de Lynott Phil. Fatalistic Attitude, le prochain (en fait il parait sous le titre The Phill Lynott Album : NDR) est d’ores et déjà enregistré, mais on le garde sous le coude pour éviter qu’il ne vienne concurrencer Renegade pendant la tournée. Comme sur Solo in Soho , l’album compte un impressionnant casting de guests stars tels que son pote Midge Ure d’Ultravox , Mark Knopfler, Huey Lewis, Scott Gorham ou encore Bobby C Benberg, le batteur de Supertramp. D’une certaine manière, à l’instar de Jimi Hendrix, Phil Lynott revendique sa négritude tout en rejetant l’idée qu’elle doive se manifester obligatoirement par le funk : le rock doit être noir, ça n’est pas le terrain privé des blancs. L’Irlandais black a bien d’autres projets ; les scénarios s’accumulent, il rêve de tourner un film, sans toutefois jamais se décider à sauter le pas. Phil Lynott n’est pas le seul membre du groupe à se lancer dans des albums solos; les deux guitaristes, Snowy White et Scott Gorham, l’Américain qui a remplacé Gary Moore en 74, ont déjà chacun dépassé le stade des maquettes. White nous rejoint d’ailleurs au bar ; à cette heure, il marche à l’eau minérale. Il a commencé à enregistrer avec Richard Bayley, un ancien Jeff Beck Group et quelques copains. Snowy, c’est le plus posé des Lizzies. Il fréquente les galeries d’art et se met au blues dès qu’il rentre chez lui. Son album promet d’être un havre de paix par rapport aux décibels des Thin Lizzy. Quant à Scott Gorham, l’autre lead-guitar, se révèle bien plus frappé. À deux heures de l’après-midi, il est déjà fait comme un rat. Pour son album, il a passé un deal avec Bobby C Benberg, son beau-frère, batteur de Supertramp, qui a la chance de posséder son propre studio vingt-quatre pistes dans sa résidence de Woodland Hills, dans la San Fernando Valley de L.A. Ainsi, Scott assurera les guitares sur l’album de Bobby et, en échange, celui-ci lui prête son studio et joue sur le projet solo de Scott.
En quittant le bar, Phil Lynott me tend un badge promo Renegade rouge à l’étoile dorée en me lançant avec cet humour qui le caractérisait si bien : « Vote pour moi aux prochaines élections ». Puis il disparaît au bras d’une groupie toute gainée de cuir, preuve que les clichés du rock vivent hélas plus longtemps que leurs idoles…Après la sortie de son second album solo, en 82 le 33 tours Thunder And Lighting marquera le chant du cygne de Thin Lizzy qui finit par se séparer. En 84, à force d’excès de drogues et d’alcool, son mariage avec la mère de ses deux filles vole en éclats. Le soir du Noël 85, Philomena, sa propre mère le retrouve chez lui inanimé. Conduit à l’hôpital on découvre qu’il souffre d’une septicémie. Il reprend connaissance, mais quelques jours plus tard son état ne fait que s’aggraver. Phil Lynott est placé sous respiration artificielle, mais il décède le 4 janvier 1986 d’une pneumonie doublée d’un arrêt cardiaque, il n’avait que 36 ans. Immense tristesse. Pour célébrer le 45e anniversaire de l’album live Live And Dangerous de Thin Lizzy en 1978, Universal Music Catalogue sortira une édition super deluxe de 8 CD et 63 inédits comprenant une nouvelle version remastérisée de l’album ainsi que tous les concerts enregistrés pour Live and Dangerous ! Ces sept concerts de Londres, Toronto et Philadelphie ont été fraichement mixés par Ben Findlay à partir des multi-pistes originaux, sous la supervision du guitariste historique de Lizzy, Scott Gorham. Je ne peux également que vous recommander le superbe coffret 4 CD Thin Lizzy Vagabonds, Kings, Warriors, Angels. À son écoute, je demeure sidéré par l’éclectisme et la puissance de ce rock porté par la voix si attachante de Phil et son style qui ne ressemblait à aucun autre. Il laisse un vide immense que nul n’avait vraiment jamais réussi à combler… jusqu’à Ayron Jones peut-être ( Voir sur Gonzomusic ME AND MISTER JONES ) … mais c’est encore une autre histoire du rock and roll 😜
Publié dans le numéro 264 de BEST daté de mars 1982 et dans le numéro 4 du NOUVEAU BEST
» THE SUN GOES DOWN » parceque cette song me file des sueurs et des palpitations depuis des décennies .
Un de mes soleils s’est couché quand le palpitant à Phil n’a plus battu le tempo .
Ainsi va la longue histoire du Rock .
Un trèfle Irlandais à 4 feuilles pour LE MONSIEUR .