WANNA BE YOUR SKYDOG

Marc Zermanti et Dinah Douïeb
Publié (sans doute) sans relecture ni editing, « Wanna Be Your Skydog » qui retrace l’épopée du mythique label rock du regretté Marc Zermati a certes le mérite d’exister, analysant disque par disque l’intégralité du catalogue Skydog, mais en republiant le verbatim non édité ( hélas) d’une longue interview de Marc sans filtre par conséquent cela devient fort indigeste à avaler. Fort heureusement, ledit ouvrage compte également une introduction signée Dinah Douïeb, la chanteuse du frenchy but chic funky en diable les Flambeurs, signés sur Skydog, qui a ensuite accompagné Marc plus d’une décennie, drivant notamment l’expo cruciale « Rock is my life » de 2008. Cinq ans après la disparition du dernier dandy du rock, et très précisément le jour de son anniversaire, rencontre avec Dinah, pour évoquer ce vibrant et si souvent enragé rock and roll animal.
Tout d’abord, il faut replacer Dinah Douïeb dans son contexte. A seize ans elle est chanteuse du premier groupe funk hexagonal à oser vocaliser dans la langue de Molière, un peu comme une enfant née des amours de Tina Turner, James Brown et Nino Ferrer. À l’aube des années 80, les Flambeurs osent ce pari dingue, sous l’aile bienveillante du label de Marc Zermati, un mini LP que j’avais d’ailleurs chroniqué dans le défunt BEST. S’en suivra une amitié sans faille au fil des décennies. Zermati, je n’ai nul besoin de vous le présenter, il nous a quittés en juin 2020 ( Voir sur Gonzomusic MARC ZERMATI MORT DU DERNIER DANDY DU ROCK et aussi ZERMATI SALUT À TOI, GOUROU ÉLECTRIQUE ! ) après moult batailles gagnées aux champs d’honneur du rock du fameux Open Market à Skydog en passant par les deux éditions historiques de, ce que d’aucuns tentent de lui dérober, soit la pleine paternité des deux live de ce mythique Festival punk de Mont de Marsan, qui a changé à jamais la face du rock, en France et bien au-delà de nos frontières, ce premier livre qui lui est consacré a au moins le mérite d’exister, mais franchement notre Marc mérite mieux. Dommage que le projet qu’il avait amorçé avec l’ami Stan Cuesta ait avorté. Mais ce dernier a des heures d’enregistrement avec le fondateur de Skydog, on peut doc espèrer un jour les voir publiés. Quant à Dinah, après avoir été aux cotés de Marc, elle milite activement pour la légalisation de la weed à travers ses écrits ( Voir sur Gonzomusic SPEEDBALL UNE HISTOIRE ILLUSTRÉE DES DROGUES et aussi CANNABIS ENTRE DIABLE ET BON DIEU ). Aujourd’hui, nous sommes le 21 juin et c’est justement l’anniversaire de Marc qui aurait fêté ses 80 ans…
« C’est quand même une terrible coïncidence que l’on décide de faire une interview pour évoquer Marc Zermati et on choisit le jour de son anniversaire c’est comme si il était là-haut en train de nous faire un pied de nez … ta première rencontre avec Marc tu t’en souviens ?
Bien sur ! Ma première rencontre avec Marc, c’est par l’intermédiaire de Simon Ben Dahan qui était le guitariste de Fashion Force, un trio de rock composé de Jérôme Bowman et Titus Williams. Donc Simon Ben Dahan était de Marseille ; il les avait rencontrés à Marseille dans un concert de soul music au début des années 70. Donc, il est devenu pote avec eux. Simon était dingue de blues et de de musique black depuis le départ et il s’est embarqué avec eux dans cette aventure. Et ils se sont retrouvés figure-toi en 1976 au Festival de Mont-de-Marsan…
… au tout premier donc …
Festival de Mont-de-Marsan où ils ont donné une représentation qui a duré 30 minutes. Simon était habillé comme les Touaregs, il revenait d’un voyage en Afrique car à l’époque il voyageait beaucoup. Avec sa 404 Peugeot, il traversait le désert ! S’il était né à Marseille, il savait que ses origines étaient d’Afrique du Nord et de l’Algérie. Il avait ce retour « Back to the roots », un peu à la manière des noirs américains avec l’Afrique. Donc il avait cette philosophie en tête et il était dans son élément et par conséquent, ils ont joué au festival de Marsan.
Quand on s’est rencontré avec Simon chez une copine à moi, il vendait des vinyles à ses copains et j’étais justement là le jour où il les a ramenés. Je lui ai dit voilà : je joue de la guitare, je suis passionné de blues, de chanson… j’avais 16 ans. Il me dit : écoute, moi j’ai un groupe, c’était en 78, qui s’appelle les Flambeurs et justement, je cherche une chanteuse… tu ne veux pas venir faire un essai ? Quand on a fait une maquette avec les Flambeurs, il l’a fait écouter à Marc Zermati…
Les Flambeurs, pour mémoire c’était avec les frères Abhissira
Exactement… Michel, Frédéric, et Claude. Michel à par ailleurs été batteur de Valérie Lagrange mais surtout de Touré Kunda puis de Kaoma, fameux groupe brésilien de « La lambada ». Il était batteur de Touré Kunda, à une époque où aucun batteur non africain ne jouait avec des africains. Ses parents étaient du Maroc. On était branché musique d’Afrique du Nord, on avait ça dans notre sang. Et donc j’ai rencontré Simon comme ça et c’est quand on a fait cette maquette qu’il a fait écouter à Marc Zermati, on devait être fin 78/ début 79, juste après qu’il soit sorti de tôle. Et quand Marc a écouté, il a tout de suite voulu nous signer sur le label qu’il avait créé avec Dominique Lamblin et Albert Koski, le fameux Underdog. Il nous a signé avec Lamblin pour un premier album.
Personne en France ne faisait du funk à l’époque ?
Pas en français en tout cas ! Il y avait Black and White, le groupe de Sydney ; il faisait du funk soul plutôt disco à la Earth, Wind & Fire en anglais, avec tous les symboles qui allaient avec…
Alors que vous c’était total James Brown assumé… ( J’avais justement chroniqué le mini LP des Flambeurs dans BEST à l’époque : NDR)
Oui nous c’était plutôt James Brown assumé mais aussi avec une vraie énergie rock, dans une manière de jouer qui était proche du blues …
Un langage qui parlait bien entendu parfaitement à Marc Zermati !

Les Flambeurs Dinah Douïeb avec Simon Ben Dahan
Surtout le blues et James Brown et aussi Parliament/Funkadelic
Donc tu rencontres Marc à cette époque…
On signe un contrat avec Underdog, on sort le mini-album et déjà commencent les complications. Car l’album n’a carrément pas été mixé à cause d’une embrouille, justement avec le studio, et on a été obligé de sortir le truc comme ça. C’était une époque aussi où moi j’étais dans la défonce, dans l’héroïne et Marc aussi. On a tout de suite eu une relation par rapport à ça avec Marc c’est comme ça qu’on est devenus proches.
Proches, mais il n’y a jamais eu d’histoire de cul entre vous…
Ah non jamais ….
Ça a toujours été, comme on dit : en tout bien tout honneur
Non, je ne dirais pas que c’était une histoire de « tout bien tout honneur », moi c’était ma période « garçon manqué », d’ailleurs c’est ce qui faisait la différence avec les nanas de la soul qui minaudaient. Moi je ne minaudais pas, j’étais vraiment un petit mec manqué, avec beaucoup d’énergie et j’étais dans la dope, alors que les autres dans le groupe ne l’étaient pas du tout. Moi j’étais dans la contre-culture, lorsque les autres étaient quand même descendants de rabbin, il y avait une une discordance avec le groupe. Alors que Simon lui il avait la culture rock et le blues. Par conséquent, lui il avait beaucoup plus de maturité. C’est doute pourquoi on s’est séparé du groupe, quand on a fait le deuxième album sorti sur Overcat, parce qu’ils ont déposé le bilan sur Underdog. Marc qui n’était pas salarié s’est retrouvé à la rue.
Je croyais que le successeur d’Underdog c’était Skydog ?
Non, ça rien à voir. Skydog c’est le vrai label de Marc créé en 72. Underdog c’est le label qu’il a créé avec Albert Koski et Dominique Lamblin.
Voilà pourquoi les Sparks étaient chez Underdog distribué par Carrère.
Marc n’a jamais voulu signer ce genre de groupe… mais il faut savoir que Marc n’avait pas du tout sens des affaires, à part pour les groupes qu’il aimait, mais sinon il n’avait pas le sens du business, dans le sens commercial du terme. Marc s’est pris la tete avec eux d’où ce nouveau label Overcat.
Marc était un super A&R, il avait un instinct, une oreille … on est d’accord ?
Oui, incontestablement, il avait un flair, un instinct, une oreille… mais pas du tout le sens du commerce.
Alors comment il a pu durer aussi longtemps en étant aussi mauvais gestionnaire ?
En fait, tu dois distinguer la gestion du sens des affaires. Tu peux avoir le sens des affaires et du flair artistique, ce qu’il avait. Marc avait le flair artistique mais il n’avait pas le sens des affaires au sens commercial du terme et il était très mauvais gestionnaires. Comment il faisait ? Simple, au départ il faisait tout au black. Certes, Il avait une société qui était au tout départ Skygog, mais qui était basée à Amsterdam, qui bénéficiait ainsi de lois qui étaient beaucoup plus souples par rapport à la législation française. Il ne faut pas oublier que dans lesannées 80 et surtout 70, il y avait des choses qui n’étaient pas encore établies, même en France, comme le bootleg, par exemple. Quand il sortait un bootleg, la loi le permettait en Hollande avec des live concerts, ce qui n’était pas vraiment autorisé en Angleterre ou en France. Par contre, en ce qui concerne sa gestion de Skydog, il avait tout de même un comptable qui lui disait : vous faites comme ci ou comme ça, sinon il n’aurait jamais pu tenir. Moi j’ai bossé avec Marc en 93 en devenant son assistante. Et ensuite comme tu sais il avait un caractère très difficile, ce n’était pas facile de s’accorder avec lui sur tous les plans.
Comment tu t’es retrouvée à devenir l’assistante de Marc ?
En 89 à Londres, je travaillais à l’époque pour le guide L’officiel du rock, je m’occupais de la partie européenne et donc je tombe un jour sur un pote de Marc qui bossait avec lui dans un de ces cottages. On ne s’était pas revus depuis l’époque. Là je revenais d’Israël où je m’étais sorti complètement de la dope ; j’étais dans une nouvelle vie, comme une renaissance et je vais travailler donc pour le CIR le Centre d’Information du Rock. Marc est un anti-establishment, tout ça ne l’intéressait pas; il a jamais été arriviste dans ces institutions socialistes. On a commencé à se revoir, à être copains ; moi je bossais comme bookeuse, puis il m’a fait rentrer chez Gilbert Castro en 92 chez Celluloid comme attachée de presse. Ça duré six mois et c’est après qu’on bosse ensemble sur le label Kind of Groove, où il revient à la ses premiers amours sur le jazz, en signant ce groupe japonais UFO. Il fait un gros carton avec eux. Mais il était déjà devenu un individualiste forcené. Un trait qui ressurgissait dans son caractère, car il avait plusieurs visages. Il avait ce côté pieds-noir macho, grande gueule, imposant et à côté de ça il avait un côté ultra sensible presque féminin.
Une fragilité ?
Moi je dirais plutôt une sensibilité. Il s’entendait bien vraiment bien avec les femmes…
Et il était super coquet !
Marc était un dandy, ça c’est incontestable ! Et il avait avec moi une relation particulière, comme je t’expliquais tout à l’heure, car on n’a jamais eu de trucs sexuels avec Marc. Il n’y a jamais eu de séduction, tout de suite ça a été la musique. Il n’a jamais eu un geste maladroit avec moi. Moi j’étais en couple avec le père mes enfants et par conséquent on avait une relation fraternelle.
C’est sûr que quelque part il aimait bien qu’on lui résiste et qu’on le contredise ! Si tu étais d’accord avec lui tout le temps, il se faisait chier (rire)

Zermati et 54 Nude Girls
Oui, ça c’est clair. Mais moi je n’avais pas autant de connaissances dans l’histoire de la contre-culture, dans l’histoire du rock, donc c’est vrai il avait ce côté Pygmalion. Mais j’apprenais beaucoup avec lui, au niveau de la littérature et il n’avait pas ce côté supérieur et condescendant. Par contre, il faut reconnaitre qu’il pouvait être très cash et disait que les juifs d’Afrique du Nord étaient comme des bougnoules… des juifs bougnoules disait-il même !
Tu as raison, je me souviens. Moi ça me choquait. Je lui disais : Marc tu ne peux pas dire ça. En fait, c’est la musique qui vous a fait vous rencontrer et c’est la musique qui va vous réunir.
Marc avait quand même ce côté orgueilleux, donc il avait du mal à accepter que quelqu’un puisse lui apporter des trucs, que ça passe par quelqu’un d’autre qui lui. Il avait quand même, ce côté exclusif chez lui. Après, quand il y a eu l’exposition « Rock is my life » en 2008, ça en effet c’est moi qui ai tout bâti et il ne s’est pas comporté de manière très correcte au niveau du business. Moi j’étais en plein divorce et de la séparation avec le père de mes enfants, de surcroit je sortais avec le mec de la galerie et Marc ne supportait pas que je sorte avec un homme plus jeune que moi. Il n’arrêtait pas de lancer des vannes, il était paternaliste patriarcal, tel le grand frère qui tout d’un coup met le point sur la table. On a pourtant fini par la faire cette exposition, et c’est quand même grâce à moi, parce qu’il ne voulait pas la faire, car il était dans un état d’esprit horrible, parce que sa mère était gravement malade. Il avait un rapport avec sa mère qui était très troublant, donc le côté catholique pied-noir, pas le côté juif d’Algérie parce que c’est différent. Son père c’était juif d’Algérie et sa mère c’était une catholique française pied-noir. Et il nous en a fait voir des vertes et des pas mûres, ça a été très douloureux, mais en même temps extraordinaire. C’est à ce moment-là qu’il a accueilli chez lui cette crapule d’Alexis Quinlin, qui l’a escroqué en vidant peu à peu son compte en banque avec des chèques dérobés. Marc était à côté de la plaque, accordant trop souvent sa confiance à des gens qui ne la méritait pas. Et quand il y a eu cette histoire, il s’en est mordu les doigts et d’ailleurs son attitude a changé vis-à-vis de moi. Mais je n’étais pas sa béquille, j’étais sa pote.
L’héritage de Marc Zermati
L’héritage Zermati c’est le « Do It Yourself », c’est le côté guerrier résistant dans le combat rock, qui a dépassé le rock ‘n’ roll dans son essence pure, c’est-à-dire que ce soit du jazz, de la funk puisque nous, c’était de la funk. Et surtout de la contre-culture, à savoir ne jamais rentrer dans l’establishment. Marc ne supportait pas la récupération des gouvernement socialistes par rapport à la culture ; pour lui c’était juste impensable. Ce que j’ai hérité de lui, c’est la résistance, c’est la lutte contre l’establishment, c’est la parole libre. Le côté subversif, on va peut-être parler du XXe siècle, car aujourd’hui je ne pourrai pas en parler de la même manière, c’est-à-dire aller contre le courant, ne pas avoir peur d’être vrai et finalement à être résolu à être en cavalier seul, c’est-à-dire individualiste, dans le sens qui préserve l’individu. Ce n’était pas un militant, mais il avait un vrai problème avec tous ces mouvements bolcheviques. Et puis y avait le côté un peu mafieux au chez lui, c’est-à-dire mafia punk. Ce n’était pas le côté militant qu’il intéressait, c’était le groupe, c’est-à-dire la confrérie. Voilà, tu voyages, tu vas à hôtel, tu vas dans telle salle et on est tous en lien ; on se fait des plans entre nous.
Une sorte d’utopie rock ?

Marc Zermati et Philippe Manoeuvre by Chloe des Lysses
Oui c’était une utopie. Marc c’était le Don Quichotte du rock, parce qu’il savait que le rock n’a jamais été quelque chose d’énorme en France, de moins en moins présent chez les nouvelles générations. Il savait que la France était plutôt un pays de littérature, de la parole, du bla-bla. Il aimait se moquer, et d’ailleurs souvent ça devenait pénible, des franchaouis, comme il disait. Cependant, il avait cette contradiction : quand on lui posait la question sur le punk, quelles sont les racines du punk, comme il avait une super culture, il parlait des dadaïstes, il parlait des situationnistes de Guy Debord, revendiquant ces racines Françaises. C’était ça la contradiction avec Marc, qui en même temps avait ce côté très parisien où il s’exprimait comme un parigot. C’est tout Marc ce paradoxe : il critiquait la France et en même temps la revendiquait parce qu’il ne pouvait pas s’en passer de cette France. Ça a été toute histoire de sa vie, en fait.
Musicalement, le disque au top du catalogue Zermati, c’est quoi, c’est « Metallic KO » d’Iggy and the Stooges?
Il y a « Metallic KO » , bien sûr ; mais celui que je préfère, c’est « Family Affair » ( single d’Iggy Pop) , j’ai aussi adoré certains disque de Johnny Thunders, j’ai ausi adoré la compilation tribute to Johnny Thunders qui était sorti à l’époque chez Celluloid, avec plein de groupes français dont FFF et les Wampas, Wilco Johnson et également en top de liste les groupes japonais qu’il a pris en licence ; The Elephant Gun, et Sheena and the Rockets
J’adorais Sheena and the Rockets. À BEST, j’étais le spécialiste du rock japonais.
Dans le catalogue Skydog il y a ce premier 45 tours mythique des Damned que je ne possède hélas pas dans ma discothèque, mais que j’aurais bien aimé avoir. C’est le premier 45 tours qu’il a sorti en 77.
« Wanna Be Your Skydog : Les Diggers & Tony Marlow rendent hommage à Skydog »
Editions Camion Blanc