STEVIE WINWOOD LE VISITEUR DU SOIR
Voici 42 ans dans BEST GBD retrouvait tout juste deux années après leur première rencontre, celui qui « parlait à nouveau à la nuit », en la personne de Stevie Winwood. En effet, ce dernier publiait son quelque peu décevant « Talking Back To the Night », le successeur de son brillant « Arc Of a Diver », porté par le cool hit « Valerie » et aussi par le sourire éternellement innocent de l’ex jeune prodige du Spencer Davis Group désormais agé de 34 ans. Flashback…
Je crois bien que c’était mon premier reportage à l’étranger après mon arrivée à BEST et ma « défection » du terrible Goulag de chez Rock & Folk pour rejoindre le « monde libre » de BEST (Voir sur Gonzomusic BEST VS ROCK & FOLK OU LA RUE D’ANTIN VS LA RUE CHAPTAL ), j’avais rencontré Stevie Winwood dans les backstages de l’Hammersmith Odeon avant son concert de Londres ( Voir sur Gonzomusic STEVE WINWOOD “Arc of a Diver” , STEVIE WINWOOD L’AUTRE MERVEILLEUX STEVIE W. et aussi STEVIE WINWOOD « Roll With It » ) , fier d’interroger à nouveau un de mes héros « égonautes » avec Wonder, Rundgren, Vangelis ou encore Rykiel (Voir sur Gonzomusic SOLO STUDIOS HEROES Épisode 1 et aussi SOLO STUDIOS HEROES Épisode 2 ), même si ce « Talking Back To the Night » n’était pas mon Winwood favori, impossible rester insensible au groove délicat et insouciant à ce retour de l’ex-leader de Traffic.
Publié dans le numéro 171 de BEST sous le titre
L’ILE DE ROBINSON
Quand on aime, on a vraiment du persil dans les oreilles et du béton armé en guise de champ de vision. Lorsque McCartney chante « Ebony and Ivory », j’achète sans illusion, en sachant parfaitement que le single en question ne vaut pas tout à fait le prix du vinyle sur lequel on l’a gravé. Appelez cela du charme ou de l’envoûtement, sentimentalement, c’est encore plus fort que le ketchup. Steve Winwood, c’est un peu la même histoire, et ce, depuis le « Gimme Some Loving » du Spencer Davis Group. Mais cette fois, son « Talking Back to the Night » m’a laissé plutôt indifférent : bis re-petite non placent (les choses répétées plusieurs fois plaisent moins). Stevie, cette fois, a couché sa souI blanche dans une recette de cuisine, un savoir-faire sans excès ni passion qui laisse un arrière-goût d’amertume. A l’heure où les ABC et Haircut 100 pilonnent les charts de leur funk blanc, Stevie se laisse ramollir comme une diva noire s’abandonne au chirurgien esthétique pour cause de lifting.
« Lorsque nous nous sommes rencontrés, voilà deux ans, tu m’avais confié que tu enregistrerais ton prochain LP avec un groupe. Or, celui-ci, comme « Arc of… », est encore une réalisation solitaire. Que s’est-il passé ?
Quand on s’est rencontré, je finissais tout juste « Arc of… », un boulot gigantesque qui m’a beaucoup appris à cause de mes erreurs successives. J’ai passé un temps fou sur cet album. Ma maison de disques et mon éditeur m’avaient prédit que ça ne marcherait jamais : il parait que seul on est beaucoup moins productif qu’avec les autres. Quand j’ai fini « Arc of… », après tout ce temps et toutes ces erreurs, je me suis dit qu’ils n’avaient peut-être pas tort : j’étais prêt à abandonner mes aventures solitaires. Mais après notre entretien, le disque, avec ses deux millions de vente, est devenu ma plus belle réussite.
Aucun Traffic n’a atteint un tel score ?
Pas même la moitié du score ! Voilà pourquoi je me suis dit : « Hé, une petite minute, c’est le premier album que j’enregistre ainsi, seul, et il a cartonné plus fort que tout ce que j’ai pu faire auparavant ». J’en ai tiré une leçon et j’ai décidé d’en faire un autre dans les mêmes conditions pour achever d’explorer ce monde solitaire d’enregistrement. Même si je n’ai pas envie de passer ma vie seul, j’adore cette sensation, je me sens comme un peintre ou un romancier, je me sens créatif.
Tu ne te sens pas plutôt comme Robinson Crusoe ?
Oui, mais l’espace d’un moment, c’est excitant. Et puis, tu peux te sentir Robinson au milieu des autres lorsque tu travailles ou dans la foule. Voilà pourquoi je me suis dit : « Allez, encore un I ».
Donc, c’est ton dernier album en solitaire ?
Heu… je n’ai pas encore commencé à travailler sur un nouvel album…
Non, mais tu as déjà commencé à réfléchir dessus.
Yeah, j’ai écrit un peu et j’ai commencé à réfléchir sur les compositions, mais avant de sortir un album, je veux déjà remonter sur scène.
Ça fait plus de deux ans !
Tu sais, c’est là où j’al commencé, ce sont mes racines et j’adore cela. Peut-être que je crèverai de peur le premier quart d’heure, mais j’ai déjà vu le film.
Justement, tes racines sont aussi d’ébène. Or, actuellement, en Angleterre, tous les kids retournent à la musique noire par l’intermédiaire d’ABC ou Haircut, comme ils pouvaient le faire il y a quinze ans avec le Spencer Davis.
Moi, je n’ai pas envie de reproduire simplement la musique noire. Après le Spencer Davis, j’ai refusé de me confiner au R and B. La musique noire a beaucoup apporté au rock and roll, mais j’aime aussi combiner d’autres éléments dans mes compositions : le folk, la country, la musique classique, le jazz, etc. J’espère simplement que cet attrait pour la black music est un peu plus qu’une made passagère.
Pourquoi ta voix est-elle aussi monocorde sur ton dernier album, alors qu’elle est si riche en possibilités ?
Je ne fais pas mes disques pour plaire à telle ou telle personne. Si je n’aimais pas « Talking back to Night » je ne le publierais tout simplement pas. Cela dit il est très possible, maintenant que je suis plus vieux, que j’aie envie de trouver autre chose. Peut-être ma musique n’est-elle plus aussi instinctive et directe qu’avant, c’est possible. De toute façon, je n’ai plus qu’un seul disque avant que mon contrat ne s’achève. Ensuite, j’ai envie de produire et d’écrire pour un jeune groupe.
Ce qui signifie qu’à la fin de ton contrat Island, tu vas cesser d’enregistrer ?
Ce sera pareil. Je continuerai d’écrire et de produire à travers quelqu’un d’autre. Beaucoup de chanteurs nouveaux pourraient utiliser mon expérience. Les nouveaux groupes ne manquent ni d’esprit, ni d’énergie, mais ils ne savent pas toujours l’exprimer à travers la machinerie du studio, moi, je sais que je suis capable de le traduire en langage technique. C’est ce qu’ont fait Martin Rushent et Trevor Horn : les groupes leur doivent beaucoup, mais ce sont des disques de Human League ou de ABC.
Depuis combien de temps es-tu chez Island ?
Depuis le début du Spencer Davis (1965, donc ! NDREC). Mais, de toute façon, le contrat qui me lie à eux est un contrat de production. J’ai ma propre boite, « FS Limited », et c’est elle qui est sous contrat avec Island, pas moi.
Donc, si tu produis un disque de quelqu’un d’autre, tu ne dois plus d’album à Island ?
Je crois que, dans les petites lignes du contrat, il est précisé que ce disque doit obligatoirement être une production de Steve Winwood… Or, je ne leur en dois plus qu’un. »
Incroyable mais vrai, Stevie W. est entré direct No 4 dans les charts anglaises et devient un artiste à succès devant lequel on de-roll le tapis rouge. De surcroit, Stevie bégaye moins qu’avant, il sait maintenant où il doit s’arrêter. Son « Talking Back To the Night » ne parvient pas totalement à me séduire, mais j’aime encore son écriture. Winwood a composé une chanson, « Silence (Is Your Song) », pour le film de Nathalie Delon (la compagne de Chris Blackwell le boss d’Island : NDREC), « Ils appellent cela un accident », et c’est encore assez réussi. Mais dans un an ou deux, sortira le premier LP d’un groupe inconnu qui atomisera les charts. Au dos de la pochette, on pourra lire : « Produced by Steve Win-wood »… et ça ne surprendra personne, n’est-ce pas?
Publié dans le numéro 171 de BEST daté d’octobre 1982