SERGE GAINSBOURG VS LES VAUTOURS DÉCHAINÉS

Affiche Serge

Putain de 2 mars 91. 25 années écoulées et on s’en souvient comme si c’était hier. Ce samedi matin, un « gloomy saturday», comme aurait pu si bien le chanter Serge Gainsbourg, le téléphone de la maison n’a pas cessé de sonner. À cette époque pas d’internet, ni de chaines d’infos en continu. C’est en décrochant et en écoutant la voix de mon collègue Bernard Gely, qui assurait alors la rubrique musique au JT de TF1 que j’ai compris que Serge avait cassé sa pipe. C’était comme prendre soudain une douche de cubes de glace sur la tronche. Un Iced bucket virtuel avant qu’il ne soit inventé ! Bien entendu, ce n’était pas moi que cherchait Gély, mais ma femme Anne Patrigeon qui était alors l’attachée de presse télé de Serge et de Jane. On était samedi et Gely, ses collègue d’Antenne 2 et quelques autres, voulaient tous la même chose : des vidéos clips, du live, des images. Sauf qu’on était le week end et que les bureaux du label Phonogram boulevard Blanqui étaient fermés, donc ces images étaient inaccessibles avant le sur-lendemain, lundi. Bien entendu, mes collègues ne faisaient que leur job, mais j’avoue que déjà à l’époque j’avais eu du mal à l’encaisser.

Dedicace Serge25 ans plus tard, ce n’est pas de gaité de cœur que je célèbre ce triste anniversaire. Mais le bal des faux-culs hélas bat son plein et j’ai bien du mal à me taire. Sur telle radio, un type qui ne l’a manifestement peu ou pas connu,  mais que cela n’empêche nullement de publier un livre sur le sujet, assène ses pauvres doctes « convictions » : «  oui…Serge n’était guère populaire de son vivant. Cela a surpris tout le monde que sa mort affecte autant les gens. Brel, Brassens ont côtoyé la gloire lorsqu’ils étaient encore là, Serge l’aura connu après nous avoir quittés. ». Belle théorie, sauf qu’elle est erronée. Bullshit, comme disent les yankees. Serge Gainsbourg était un véritable trésor national et il le savait pertinemment. D’ailleurs, Jane raconte souvent que « lorsqu’ils pédalaient parfois juchés sur leur tandem dans les rues, les gens reconnaissaient ses oreilles décollées et les saluaient d’un « salut Serge, salut Jane ». Le même gusse, toujours sur la même radio, avec un petit air pincé : « oui…vous savez lorsqu’il était Gainsbarre… » sous-entendu…il n’était pas lui même….re-sous-entendu…il n’avait donc pas du tout le même talent ! Comme si un verre de trop suffisait à déclasser celui qui avait carrément lui-même inventé le terme « classieux ». Comme il paraît aisé de refaire le match, 25 ans plus tard. Mais non, désolé, mais le match ne s’est pas du tout déroulé comme vous le prétendez. Le Gainsbourg dont je me souviens était aussi cool que généreux, aussi sensible que romantique, aussi forcément attachant. Ma première rencontre avec Serge datait de 83. Je venais de décrocher mon émission de rock quotidienne sur RFI et j’avais décidé de consacrer une semaine d’émissions à chacun de mes deux héros qu’étaient Gérard Manset et Serge Gainsbourg. Et c’est ainsi qu’un après midi de septembre, j‘ai débarqué rue de Verneuil, le Nagra à l’épaule pour rencontrer l’auteur de « Melody Nelson ». Ce jour-là, après avoir été introduit par Fulbert, son fidèle majordome, j’ai du faire au moins quatre heures d’interview avec des bobinots de 15mn, dans le salon-musée de Serge, cela faisait un petit paquet de bandes magnétiques qui venaient déranger l’harmonie des lieux où chaque bibelot était très précisément à sa place. Mais Serge était Serge, lorsqu’il aimait il était incroyablement généreux, il ne savait pas compter, dans tous les sens du terme. Et puis, il y avait nos histoires communes de famille, qui sans doute nous rapprochaient. Odessa en Russie et la Turquie, l’étoile jaune et les nazis. Nos familles venaient exactement des mêmes lieux et avaient de la même manière échappées à la Shoah. Bref, avec Serge c’était comme si quelque part on s’était toujours connu. J’avais déjà une immense admiration pour l’artiste, sans doute le seul en France qui à mes yeux s’était hissé au niveau des plus grandes stars du rock. J’ai aussi appris à avoir beaucoup de tendresse pour l’homme, incroyablement attachant, même s’il n’était pas toujours facile.

« Moi je ne connais pas la vieille garde, je connais l’avant-garde ! »Serge G

Au fil des interviews pour la radio, la télé ou la presse, des couves de magazines comme celles de VSD ou des tournages comme, par exemple, lorsqu’il réalisait le clip « Tes yeux noirs » pour Indochine et que je débarquais sur son plateau avec une équipe télé, Serge a toujours fait en sorte de rester aussi accessible que pro. Sans jamais avoir la grosse tête ou faire des caprices de Diva. Peut être ai-je eu cette chance de tomber à chaque fois au bon moment ? Par contre, et c’est assez limpide dans mon interview parue sur gonzomusic.fr (https://gonzomusic.fr/serge-gainsbourg-30-ans-love-on-the-beat.html) il apparaît clairement que Serge méprisait autant les artistes de variétés qu’il affectionnait la provoc :  « La pochette tout de même j’ai une belle gueule. », disait-il, « C’est William Klein une grande pointure de la photo. Mais c’était mon idée ; je l’ai mise en scène, pas pour déranger, mais parce que c’était ce que j’avais envie de faire. Et généralement ce que j’ai envie de faire, c’est ce que les gamins attendent de moi. J’ai du bol , mais c’est comme cela. En huit jours, j’ai fait disque d’or, c’est donc la première vente en France, voilà, tac ! Moi je ne connais pas la vieille garde, je connais l’avant-garde ! La vieille garde, cela fait chier. C’est des morts vivants, ils ne savent pas qu’ils sont déjà out. Non, ils sont out depuis longtemps. Ah, ne soyons pas méchants, ils se démerdent, ils font des cachetons. Mais ils restent dans un créneau, ils ont trouvé un créneau et ils restent là-dedans et ils se sclérosent là dedans, moi je n’aime pas cela, moi je me flingue plutôt. Évidemment cela va déranger, cela dérange déjà. C’est réussi parce que je suis un pro et je suis un pro et aussi faut pas déconner car je suis sincère, si j’étais faux cul, cela ne marcherait pas. ». De même, qu’il savait déjà que les anglo-saxons qui l’avaient boudé tout au long de sa carrière finiraient un jour par se revendiquer de Gainsbourg. Un jour, en rentrant de LA, j’avais trouvé une pile de son coffret intégrale « De Gainsbourg à Gainsbarre » au légendaire Tower records sur Sunset Boulevard. Tandis que je lui racontais, il ne pipait mot, mais ses yeux s‘allumaient comme ceux d’un gamin. Un petit gars, comme il le disait si souvent. Cette intégrale, lorsqu’elle était sortie, Serge avait débarqué aux bureaux de son label Phonogram, pour en dédicacer des exemplaires à ceux qu’il aimait parmi les gens de la boite. Anne a rapporté la sienne à la maison, paraphée d’un adorable « Amitiés à Anne et gbd : Gainsbourg » Trop fort, il avait su faire d’une pierre deux coups. Le Serge dont on se souvient était profondément humain, avant d’être une star. Il prenait toujours le temps d’offrir un verre à tous, même à ceux que l’on néglige souvent, les « petites mains » l’éclairagiste ou l’assistant et il leur serrait la pince. De plus, quand il offrait sa tournée, c’était toujours de ses propres deniers, car il ne laissait jamais un attaché de presse payer à sa place. D’ailleurs il avait toujours son fameux attaché-case en cuir beige à portée de main, avec sa cartouche de gitanes et sa liasse de billets de 500 balles. Moi je m’étais toujours dit que c’était une précaution au cas où… les allemands reviennent, histoire de pouvoir se tirer !

«  Tu vois, Jeannette, on est légendaires ! »

Serge G & Jane BLe Serge dont on se souvient avait les couilles d’affronter seul sur scène les paras  fachos déchainés contre sa reprise reggae de « La Marseillaise » en mettant Jane et ses musiciens rastas jamaïcains à l’abri dans le bus. Car le Serge dont on se souvient avait une véritable affinité- et la revendiquait pleinement- avec les musiciens noirs qui le lui rendaient bien. Le Serge dont on se souvient jouait avec la radio- jouet et l’appareil photo-jouet de mon fils lorsqu’Anne le trimbalait dans sa Fiat Panda pour aller à la SFP rue des alouettes ou sur d’autres plateaux télés. À Val d’Isére où il présidait un festival du film rock baptisé Val Rock, il m’avait fait un « Best of » de ses aphorismes les plus divers qu’on réinjectait comme des jingles au milieu du sujet quotidien qu’on diffusait sur France 3. Parfois carrément, il se mettait lui-même en scène pour une de mes interviews télé, m’expliquant où je devais précisément placer ma caméra pour obtenir un effet artistique comme une entrée et une sortie de champs permanente…en tournant autour de la caméra. Je n’étais pas le seul à bénéficier de sa créativité artistique puisqu’il dirigeait lui même les séances photo des photographes rock, les Gassian ou les Terrasson qui bossaient régulièrement avec lui. L‘image, le son, l’émotion n’appartenaient pas seulement à son métier, mais à sa vie, comme on peut être intrinsèquement artiste dans son ADN. Alors lorsque des crétins d’un hebdo que je ne citerai pas, nous a expliqué voici quelques années que « dans le fond, ce Sémite n‘avait pas tant de talent que cela et qu’on en faisait un peu tout un plat sur Gainsbourg », bien sûr que je l’ai Facebooké direct dans sa face, comme ont dit dans le rap. Souvent, il lançait à Jane «  Tu vois, Jeannette, on est légendaires ! ». Serge était parfaitement conscient qu’un jour les lycéens étudieraient ses textes en classe, voire qu’ils les présenteraient au Bac. D’ailleurs ces textes, l’an passé, Jane les a « joués » sur scène au cours d’un spectacle intitulé « Gainsbourg : poète majeur. » avec Piccoli et Hervé Pierre. Et si, à la fin de sa vie, il pouvait se sentir parfois un peu down, regrettant d’avoir perdu ses proches, comme ses parents, Jane ou Nana la chienne qu’il aimait tant, cette mélancolie slave, après tout n’était pas étrangère à celle de la littérature russe qu’il affectionnait autant. Bref, malgré toutes les allégations dont vous serez sans doute abreuvés ces prochains jours, ne croyez pas tout ce que les vautours déchainés racontent au sujet de Serge Gainsbourg, car le Serge dont on se souvient était bien au dessus de tout cela.

 

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