ROY ORBISON LE CARUSO DU ROCK
33 ans précisément que l’immense Roy Orbison nous a quittés, un triste 6 décembre à seulement 52 ans. Pour célébrer cette disparition, l’ami Gérard Bertrand Kamdom-Motsebo dresse un portrait aussi informé qu’émotionnel du rocker de Vernon, Texas de ses débuts à Memphis en 56 à ses dernières heures lorsque le héros du rock décède dans la maison de sa mère à Hendersonville dans le Tennessee.
Par Gérard Bertrand Kamdom-Motsebo
Quand le public du Diamond Awards Festival d’Anvers découvre Roy Orbison le 19 novembre 1988, interprétant sa toute récente chanson « You Got It » (01), il lui réserve un accueil chaleureux. Sa voix douce et plaintive chargée d’un brin de nostalgie enflamme les esprits, aidée en cela par une mélodie millimétrée et le jeu en retenue des musiciens qui l’accompagnent. C’est une ovation que lui offre le public. Cette voix n’est pourtant pas étrangère, même si elle a pu paraître étrange. En effet un peu plus tôt, au mois de septembre de la même année, elle retentissait en support de celle de George Harrison dans le tube « Handle With Care » (02) du supergroupe et improbable fratrie d’armes : The Travelling Wilburys, où il officiait en tant que Lefty Wilbury.
Du haut de ses 180 cm, les yeux voilés par ses lunettes noires épaisses, habillé comme d’habitude en noir, son bolo tie bien en vue, on se demande quel regard il peut jeter sur cette foule, lui dont très peu connaissent le véritable regard depuis le milieu des sixties où il a commencé à porter ces lunettes sombres. Il ne sait évidemment pas qu’il livre sa dernière prestation publique. En effet, le 6 décembre 1988 son cœur le lâche dans sa 52ème année, clôturant une vie souvent marquée par de multiples drames. Le journaliste de BEST Bruno Blum l’avait interviewé quelques semaines auparavant et nous avions déjà re-publié cet ultime entretien avec Orbison ( Voir sur Gonzomusic https://gonzomusic.fr/roy-orbison-lultime-interview.html ). Outre sa déficience visuelle qui a forgé son look à jamais, Roy Orbison traversera des moments personnels tragiques. Sa femme Claudette Frady avec laquelle il venait de se remarier après un divorce houleux sur fond de tromperies (venant d’elle), dédicataire du titre « Claudette » qu’il composa pour Phil et Don Everly en 1958 (03) meurt le 06/06/66 dans un accident de moto (04) en provenance de Bristol (Tenn.)… Le chiffre de la Bête n’est pas loin… Un peu comme s’il y avait une malédiction. En effet, un peu plus tôt, lui-même avait été victime d’un accident de moto en Angleterre, se fracturant une jambe. La série noire ne s’est pas arrêtée pour lui hélas ! En 1968, alors qu’il était en concert à Bournemouth en Angleterre, un incendie s’est déclenché dans sa maison de Hendersonville (Tenn.) le 14 septembre 1968, emportant la vie de ses deux fils aînés : Roy DeWayne et Anthony King (05). Le benjamin, Wesley en sera l’unique rescapé. Autant d’événements qui peuvent expliquer le caractère à la limite taciturne de ce chanteur dont le répertoire fit les beaux jours de la maison de disques Monument Records, après un passage chez Sun Records de Sam Philips pour laquelle il créa son classique « Ooby Dooby » composé toutefois par Dick Penner and Wade Moore.
Une fois signé chez Monumental Records, il va aligner ses standards : « Only The Lonely », « Blue Bayou », « Oh Pretty Woman », « Blue Angel », « Running Scared », « In Dreams » etc., autant de titres marquants, qui ne lui assureront pourtant pas la notoriété qu’il méritait. Contemporain des monstres comme Elvis Presley, qui l’admirait et le craignait en même temps, Jerry Lee Lewis, Johnny Cash, Bill Haley, Bob Dylan, et bientôt l’invasion des Anglais avec les Beatles qui le vénéraient et qui avaient fait des premières parties pour ses concerts, les Rolling Stones, etc. sa carrière peut avoir vacillé sans jamais s’éteindre. Ce chanteur timide, presque pusillanime possédait une tessiture souple couvrant trois octaves. Ses ballades tranquilles et poignantes ont touché les cœurs et ont forgé dans l’imagerie populaire américaine, une image proche des tourments dignes d’un chanteur d’opéra, raison pour laquelle il a été affublé du surnom « The Caruso of Rock », bien avant son pseudo quasi officiel « The Big O ». Elvis Presley a dit de cette voix lors d’un concert à Las Vegas qu’elle était « the most perfect voice » et Roy Orbison était « greatest singer in the world ». Les mauvaises langues n’ont pas manqué de dire que c’est Elvis qui avait initié Roy Orbison aux sports mécaniques pour la suite que l’on sait. Malgré tous ces titres, Roy Orbison a failli passer à la postérité pour un chanteur un peu has-been, destiné à paraître dans les compilations bon marché des sixties. Mais l’amour et le respect que lui vouaient les artistes ont maintenu le culte vivant. Bruce Springsteen le cite nommément dans sa chanson « Thunder Road » (06) se référant à sa chanson « Only The Lonely » :
« The screen door slams, Mary’s dress waves
Like a vision, she dances across the porch as the radio plays
Roy Orbison singing for the lonely
Hey, that’s me, and I want you only
Don’t turn me home again
I just can’t face myself alone again »
Linda Ronstadt alors au zénith de sa carrière l’a repris, « Blue Bayou » notamment. Pareil pour Van Halen avec « Oh Pretty Woman ». Toutes choses qui ont maintenu la flamme allumée. En 1986, David Lynch le ramène sous les feux de la rampe en incorporant sa chanson « In Dreams » dans le Soundtrack de « Blue Velvet ». L’année suivante, Bob Giraldi fera pareil avec son titre « Cryin », en duo avec la chanteuse K.D. Lang (07) dans le film « Hiding Out ». Cette même année (1987), marque la consécration avec son intronisation au Rock And Roll Hall Of Fame, introduit par Bruce Springsteen (08) : tout un symbole ! Sur une idée de George Harrison le super-groupe The Traveling Wilburys verra jour, avec pour line up outre Harrison himself, Bob Dylan, Tom Petty (non partant au départ), Jeff Lynne, qui assure également la pproduction, et bien sûr Roy Orbison. Sa prestation sur le single « Handle With Care » fait mouche, tirant l’album « The Traveling Wilburys Volume 1 » vers le sommet. Roy Orbison retrouve la cime des charts. Le bon moment pour lui d’enregistrer l’album « Mystery Girl » dans lequel figure son tube « You Got It ». Il le jouera une seul fois en public, au Diamond Awards Festival d’Anvers. Le crooner à la voix suave, le chanteur des ballades mélancoliques à la limite du désespoir sera rattrapé par ses problèmes cardiaques et une hygiène de vie pas compatible avec son état, a-t-on dit (09). Le triple pontage coronarien de 1978 (10), n’a fait que retarder les choses. Le 06 décembre 1988, son cœur le lâche. Un pionnier du Rock quitte la scène. (11) Les plus jeunes auront une occasion inespérée de revivre un de ses titres phares en 1990 dans le film de Gary Marshall « Pretty Woman »… Lefty (le Gaucher) Wilbury a passé l’arme à gauche certes ! Peut-être continue-t-il à chanter certains soirs « For the Lonely » de l’autre côté. Sait-on jamais !?
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