QUAND GBD TAILLAIT UN COSTARD À COUTURE
Voici 42 ans dans BEST, GBD accompagné du fidèle Jean Yves Legras roulait jusqu’à Nancy pour rencontrer un jeune artiste a priori doué et en devenir qui était le tout premier français à avoir un 33 tours publié sur le label Island et de surcroit porté par un joli brin de hit « Comme un avion sans ailes » aussi évident que très très très décalqué d’un fameux « No Woman No Cry » de Bob Marley… les deux « compositions » ayant coïncidemment le même éditeur de musique. Flashback….
Publié dans le numéro 167 de BEST sous le titre :
L’ATELIER DE COUTURE
« À défaut d’un Charlélie Couture peu loquace, Gérard Bar-David et Jean-Yves Legras font parler les objets, souvent royalement inutiles, dont il aime à s’entourer dans sa cave nancéienne, et qu’il va même jusqu’à fabriquer de ses mains. »
Christian LEBRUN
Au bout, tout au bout de l’autoroute, il y a le lumbago qui guette et Nancy qui n’en finit pas d’arriver. La ville de Couture est à presque deux paquets de clopes (selon étalon Legras) de la capitale et 140 kilomètres/heure de moyenne au compteur de la Morris 1300 de GBD. Mirage au restauroute, pendant le plein d’essence, les Civils font la queue pour acheter des cigarettes et des bubble gums, avant de s’ensardiner dans leur minibus VW orange. Ce soir, ils seront à Metz, l’espace d’un concert. Un dernier péage et Nancy se cadre sur l’écran du pare-brise. Pour retrouver Charlélie, ça n’est pas très difficile, il suffit de dénicher l’unique studio huit pistes de la ville, au fond d’une cave, à deux ou trois encâblures de ce splendide nid à touristes qu’est la place Stanislas. A l’extérieur du studio, dans un minibus anonyme, un ingénieur s’active sur sa console 16 pistes de mobile en observant Charlélie et son groupe sur le moniteur de la TV en circuit fermé. Soulevez le loquet, tirez vers vous la porte de métal peinte en vert et une douzaine de marches de pierre vous entraînent jusqu’aux ténèbres. Couture et ses musiciens répètent aux confins de la cave. Une autre balade pianotée où les objets se racontent, ce qui est justement la raison de notre promenade nancéienne.
Charlélie, au piano électrique, offre une superbe démonstration de son sens de la poésie des lieux communs. Parfois, les choses simples savent être jolies. A la fin du morceau, on réécoute les dernières prises. Le boss doit être satisfait puisque tout le monde lève le camp. Couture enfile un pull en V jaune et se visse une casquette sur la tête. D’ailleurs, il est le dernier à quitter le navire… Dehors le soleil me fait l’effet d’un projo pour interrogatoires de la P.J. On embarque Charlélie dans la Morris, direction home sweet home pour son Top 10 des choses inanimées. Pas très bavard durant le trajet, il se roule de grosses clopes avec dextérité, mais ne les fume qu’à moitié. Lorsque nous débarquons dans sa maison, il émet une sorte de râclement, « …Mahhh », et une fille paraît. Elle disparaît aussitôt, tandis que Charlélie se débarrasse. Drôle de mec, mais aussi drôle d’univers : dans son living, on trouve aussi bien un planisphère poster que les outils imaginaires qu’il a lui-même fabriqués, des toiles signées Couture et tout un tas de bordel sans nom signé récupération. Sans dire un mot, la fille apporte des bières et du pastis unquement pour Charlélie, puis s’esquive à nouveau. Les outils imaginaires sont suspendus au-dessus du canapé où je suis installé : le marteau à taper dans les coins, le rabot parallèle ou une roue mètre-étalon. En partant d’une fonction réelle, il a joué sur l’irrationalité des choses pour créer tous ces objets. Inutile, pourtant, de les chercher sur la photo, puisque Charlé-lie a décrété unilatéralement leur inamovibilité. Il tourne en rond, la cigarette au bec, à la recherche de ses choses favorites en jetant un coup d’œil discret sur sa montre… et glapit de nouveau « …Mahhh, fais-moi quelque chose à manger, faut que je retourne au studio ». Je ne saurai jamais si « Mahhh » est la maman, la fille, la femme, la servante, la sœur ou la nounou de Charlélie, car il ne nous l’a pas présentée. Sans vouloir me mêler d’oignons qui ne sont, certes, pas les miens, je pense que cette fille mérite un peu plus de considération. Mais Charlélie est un homme simple, ses us le sont aussi. Il avale rapidement une salade composée tout en fouillant dans son capharnaüm pour en extraire sa sélection d’objets.
- (Sculptures bois) (Le roi et la reine eskimos)
« Ça date de l’époque où je faisais mes outils imaginaires en bois. C’est plus très évident, parce qu’elles ont pris un choc, mais c’est une sculpture animée ; puisque les deux personnages se frottent le nez, ça m’a rappelé les eskimos. J’ai toujours aimé recycler les choses qui devaient disparaître, ça me fait de la peine de savoir qu’on allait brûler quelque chose qui pouvait encore servir. Un bout de bois vermoulu, moi, je trouve ça beau. Le bois travaillé a une odeur, c’est agréable parce qu’on sent que c’est vivant. Normalement, ces chutes
de bois partaient pour être brûlées; j’en ai récupéré un paquet en leur donnant une fausse fonction : objet artistique ou outil pour lesquels j’inventais une histoire. J’imaginais ces histoires où l’empreinte de la main de celui qui a tenu l’objet était marquée à force de l’avoir tenu. C’est une manière de marquer la présence humaine ».
- (Mobile)
« C’est un cadeau d’un ami, ce mobile de pêcheur à la ligne. Je ne le trouve pas très beau, mais comme c’est le cadeau d’un ami, j’y suis sensible Souvent, je partais pêcher au petit matin, j’y passais des journées entières. Maintenant, je n’ai plus assez de temps pour aller pêcher, alors je regarde cet objet et j’y pense ».
- (Jeu de cartes sexy)
«Quand j’étais môme, je passais mon temps aux fêtes foraines. Dans ce genre d’endroit, tu trouves toujours des distributeurs où, pour cent balles, tu tires une quincaillerie ou, avec un peu de bol, le jeu de cartes avec des bonnes femmes à poil. Tu étais censé ramasser un jeu tous les trois coups; en fait, c’était bien souvent une arnaque. Dès qu’un client avait tiré un objet ou deux, la tenancière remettait en douce des cadeaux Bonux dans la machine. De toute façon, il fallait tirer au moins huit fois avant de toucher le paquet de cartes. Alors, maintenant, je les collectionne. C’est drôle parce que, quand tu y penses, les nanas sur les cartes sont peut-être les modèles les plus célèbres du monde : ces jeux sont identiques dans tous les pays et ce sont les mêmes photos de nanas depuis des années : pense à tous les mecs qu’elles ont dû faire baver! Les nouvelles déesses de l’amour, ce sont elles ».
- (Stylo sexy)
« Celui-14 je l’ai trouvé un jour, par hasard, sur un marché. Je me souviens, il était emballé dans un sac plastique transparent. Il y en avait tout un stock; le forain m’a dit qu’il n’arrivait pas à l’écouler. Moi, je trouvais ça beau, alors je l’ai acheté. Normalement, quand tu écris, le stylo devrait s’éclairer, mais il n’a jamais marché. Je l’ai gardé à cause des nanas, pour les mêmes raisons que les jeux de cartes. En fait, je crois que j’aime bien les objets inutiles, ceux qui n’ont vraiment aucun autre usage que celui d’être regardés. De toute façon, je n’écris pas mes chansons avec ce stylo ».
- (Bouteilles d’encre, pinceaux)
« J’ai toujours aimé peindre et dessiner. D’ailleurs, il y a des tableaux plein la cave. Aujourd’hui, j’aide moins en moins le temps de peindre, alors je dessine à l’encre. J’en ai de toutes sortes, et la plupart sont encore de la récupération. En faisant les poubelles, un soir, j’ai trouvé tout un stock de vieilles encres. Il y avait aussi un paquet d’encre en poudre, ce qui m’a permis toutes sortes de mélanges. J’utilise aussi de l’encre de chine ou du colorant pour asticots Pour dessiner, j’ai un porte-plume en ivoire qui me suit depuis l’école primaire. J’ai dû stocker les plumes, car on ne les fabrique plus. En tournée, il y a toujours un moment où je me retrouve seul dans ma chambre. A ce moment, je me mets une feuille blanche et je commence à dessiner ce qui me passe par la tête. Quand je fais un faux trait, pour l’effacer, j’emploie de l’eau de javel avec un pinceau, c’est pour cette raison que celui-ci est complètement bouffé ».
- (Briquet-montre)
« Le briquet est un cadeau de mon manager, il y a quelques mois. Je ne me souviens pas qu’il me l’ait offert à une occasion précise. C’est con, mais je n’ose jamais y toucher : j’ai trop peur de le perdre. Pour moi, ce briquet est un objet noble, fait pour être regardé, je m’en sers donc pour savoir l’heure. Comme je n’y touche pour ainsi dire jamais, elle est encore à l’horaire d’hiver. A chaque fois, je retranche donc une heure lorsqu’on passe à l’heure d’été. En fait, la montre est à l’heure six mois par an ».
- (Masque mortuaire) « Lorsque j’étais petit, j’étais obsédé par l’idée de mourir sans rien laisser derrière moi. Je n’avais pas envie de simplement retomber en poussière, je voulais qu’il reste quelque part une partie de moi. C’est en pensant aux Égyptiens que je me suis fait couler ce masque en plâtre. J’avais seize ans à l’époque et c’est une expérience assez désagréable. On te passe de l’huile sur le visage, puis on fait couler le plâtre en te glissant des pailles dans les narines pour que tu puisses respirer. C’est assez affreux comme sensation lorsque le plâtre est sur toi. Heureusement, ça sèche assez vite. Je le conserve comme souvenir, parce que, de toute façon, il ne correspond plus à mon visage. Aujourd’hui, j’ai la tête bien plus grosse qu’avant, alors ça ne colle plus. Je crois que ça correspondait chez moi à une sorte d’angoisse, de ce côté-I4 je suis maintenant plus rassuré ».
- (Radio-réveil)
« Un objet important puisqu’il détermine mon rythme de vie. Je n’écoute pas souvent la radio, mais lorsque ça arrive, c’est toujours sur cet engin. Je le programme sur l’émission de Patrick Sabatier, parce que ce type m’exaspère assez pour que j’aie envie de me lever. Je déteste vraiment ce qu’il fait, donc ça me réveille vraiment. C’est un peu le système de la douche froide ».
- (Sac)
« Le sticker, c’est le service des douanes qui l’a collé quand je suis passé aux Bahamas pour le disque. Sur le côté, en bas d’une des poches, il y a une grosse tâche d’encre, parce que je me trimbale partout avec une bouteille d’encre de Chine et mon porte-plume. Partout et même à New-York où la bouteille s’est ouverte dans le sac. Tout à coup, je pose le sac par terre et je m’aperçois que je laissais des traces noires sur la moquette. Après, j’ai repris mon sac en sifflotant en l’air, mais j’étais bien emmerdé. En général, on trouve aussi dedans une boîte de cirage noir : je suis un maniaque des pompes cirées. Lorsque je ne porte pas de tennis, j’ai toujours aux pieds des grosses godasses noires et brillantes. Ce sac, en fait, c’est ma trousse de survie personnelle ».
Au bout d’un quart d’heure d’entretien seulement, Charlélie regarde une quinzième fois sa montre avant de se lever précipitamment. « Bon… ben, faut que j’aille bosser au studio ».
Ma dernière question est bien restée trente secondes en l’air avant de s’abattre lamentablement au sol comme un coucou, désormais sans ailes, balayé par un tir rageur de DCA. Dur ! Jean-Yves demande trois minutes, juste le temps de prendre deux ou trois poses pour finir le reportage. « Ah non… je n’ai pas le temps. De toute façon, un mec de BEST a déjà fait des photos, il y a quelques mois. Et puis vous pouvez toujours en acheter à l’agence S.. ». Dur, dur ! Jean-Yves insiste, Couture parle « du contrôle de son image » (sic !). Le photographe de BEST a quinze secondes pour tirer son portrait : Charlélie est vraiment quelqu’un de très occupé. Comme à son habitude, il se tient la tête comme pour lui éviter d’imploser.
« Mahhh, je m’en vais », crache-t-il en tirant la porte. Back to the studio ; dans l’auto, l’ambiance est à découper selon les pointillés. Okay, Charlélie est un monsieur très occupé : il préparait sa tournée de Mai, finissait des maquettes et achevait de produire le premier album de Tom Novembre, son frère spirituel. Mais s’il n’avait pas envie de voir nos tronches, il aurait pu refuser ou décommander l’interview… Tom est dans le mobile en train d’écouter une de ses chansons : « Gare à tes nougats ». Il a l’air d’un personnage très attachant avec ses gros yeux ronds qui tournent. Il mâche des cigarettes chewing-gum en se marrant, tandis que son frérot allume clope sur clope en silence. Les journaleux lèvent le camp. Le 19 avril dernier, j’étais membre du jury qui a décerné le « Bus (Palladium) d’Acier 82 »(Grand prix du rock français) à Charlélie Couture. J’avais voté Couture et je ne le regrette pas, car sa musique le mérite sans aucune limite. Jacky lui a officiellement remis son Prix dans son émission, Platine 45. Un objet de plus dans sa collection. Charlélie, à mon avis, devrait faire appel à un entrepreneur en maçonnerie pour élargir les portes de sa villa : s’il continue ainsi, il ne pourra plus les passer. Il avoue lui-même qu’il a « la tête plus grosse qu’avant », il ne saura jamais combien il a raison.
Publié dans le numéro 167 de BEST daté de juin 1982