POP MADE IN ENGLAND 1987
Voici 30 ans dans BEST, GBD explorait la nébuleuse des formations hétéroclites made in England du moment. Souvent boostés à la sauce funk mais pas seulement, parfois issus de la prestigieuse Saint Martin’s School of Arts, cette année 1987 aura vu passer nombre ensembles-météores aussi éphémères que Living in Texas- oui anglais malgré leur patronyme-, The Ward Brothers, Fountainheads, Well Red ou encore Living in a Box. Néanmoins, certains se sont distingués, à l’image des cool Swing Out Sister ou des camarades de Hipsway, ancêtres des Écossais de Texas, avec les inimitables Curiosity Killed the Cat. Plongeon dans le flashback de la pop bon chic bon genre !
Décidément, côté rock, les Anglais avaient cet inimitable talent de nous vendre leurs tendances météores capable de chasser la mode précédente pour se substituer à elle…jusqu’à la prochaine. Sans doute cette tendance était-elle en partie générée par le rythme hebdo de la machine à tubes d’Albion. Sounds, Melody Maker, NME mais également les émissions comme Top Of The Pops (TOTP) Old Grey Wistle Test (OGWT) et bien entendu les charts, tout ce petit monde se renouvelait chaque semaine. Et il fallait forcément mettre quelqu’un en couverture à chaque fois. Et pas toujours les mêmes, alors forcément cela créait un appel d’air. En France au contraire, les gazettes musicales BEST et ROCK & FOLK étaient des mensuels. Quant au Top 50, certes diffusé sur Canal depuis 1984, on y trouve « à boire et à manger », aussi bien du rock, de la pop hexagonale que des grosses daubes de variétés saumâtres, même si le phénomène radios pirates-libres-FM a bien expédié ad patres toute une génération de variéteux. Le pouvoir du rock au Royaume-Uni, contrairement à l’Hexagone, c’est aussi qu’il touche tout le monde, y compris la ménagère capable de danser au son des Clash en cuisinant son pudding. Cet été 1987, elle swinguait sans doute sur les vibes chaloupées des Swing Out Sister.
Publié dans le numéro 229 de BEST sous le titre :
BCBG
« L’outre-Manche n’est cependant pas peuplée que de monstrueux. En creux ou crête de vague, il y a régulièrement levée en masse chez les groupes britanniques. Dernière tendance : le Bon Chic décontracté et swinguant que viennent déjà contester de nouveaux irréductibles des six-cordes agressives. » Christian LEBRUN
Peintures de guerre et oi’ oi’ rock and roll, frous-frous dentelle et néo-romantiques sauce Barry White, chemises noires et révolution rock à la Clash, sans compter les skins, les rockies, les teddies, les alter-pompiers ou les revivalistes peace and love à la barbe fleurie, les couleurs du creuset british évoluent avec une fascinante régularité. Défilé de mode audiovisuel les livraisons d’Albion sont aussi variées que les petites culottes de Lady Di. Tendance météore comme Sigue Sigue Sputnik et leurs panoplies de Mad Max ou persistante comme les morpions heavy metal, le British rock est une jungle féroce où il faut régulièrement bourlinguer. Six mois dans l’enfer des décibels, plus fort que le chasseur de papilIons, l’ethnorock-critic vous convie à sa conférence bi-annuelle. Tout a commencé sous les voûtes encrassées du Marquee : cuirs, jeans déchirés et dégaines de flambeurs, les néo-héroïques Hurrah! incarnent avec les Silencers le retour en force des guitares qui tuent. À l’opposé, dans la moiteur musclée des clubs de fonk s’élabore le beat fou des ultra-grooves comme Well Red ou Living ln A Box. Au centre, on rencontre les soul-jazz néo-tuxedos des clubs hip de Londres comme les Curiosity Killed The Cat et même quelques guitar-heroes mutants à l’instar des Ward Brothers qui se livrent à de multiples perversités sur computer. Comment s’y retrouver lorsque le rock déchiré des Age of Chance pousse l’extrémisme jusqu’à vampiriser Prince ? On peut néanmoins ventiler quatre tendances sur le front de la prochaine invasion britannique. Choisissez votre (vos) camp(s). il est encore temps.
Flambeurs
Si Billy le Kid avait eu une guitare en guise de Colt, il aurait peut-être fondé Living in Texas. Plutôt épique, le rock de L.l.T. mord comme celui des Stooges et se fond parfois dans le brouillard définitif du spleen abyssal façon lan Curtis. Voix dans l’écho et guitares saturées, la froide pudeur de Joy Division et de Cure et le métal de Led Zep, drôle de Texas ! « The Fastest Men Alive », le titre de leur album n’est pas une bravade, ces flambeurs ont la force de se dépasser. Simple question de trempe. Matthew Fraser, leur batteur aux bras atrophiés incarne cette rage. Et si c’était ça la magie du rock and roll ? Stephen James, le chanteur héros-guitariste de Living ln Texas semble avoir tout le charisme qu’il faut pour convaincre. Avec Nicolas Denton, le triangle légendaire guitare/basse/batterie trouve en L.l.T. un écho déchiré comme le quotidien.
Vindicatif et flamboyant, l’héroïsme forcené du Clash ou des Buzzcocks renaît à Newcastle avec le trio électrique Hurrah ! Moins trashy que L.l.T., Hurrah! balance avec force mélodies un rock impulsif et efficace dans la lignée des Kinks ou des Stones. À I’Astoria de Londres, dès le début du set, Hurrah! transforme la scène en champ de bataille dans l’implosion des riffs qui fusent de toutes parts. Imaginez trois mecs, flights inondés de lumière blanche, dans une parfaite attitude de bravados. Pete Townshend m’a dit un jour qu’il se battait dans le rock and roll, comme s’il s’agissait d’un champ de bataille. Avec Hurrah! il faut parler de blitzkrieg. Mélodique, leur hargne n’en est pas moins ravageuse; elle éclipse sans peine la frime et la gonflette des faux héros comme the Alarm. Signés par le label Kitchenware de Prefab Sprout et de Martin Stephenson and the Daintees, les Hurrah! gravent leurs textes au rasoir pour mieux nous faire saigner du fond du cœur.
Techo-guitar-heroes
Les nouveaux guitar-heroes s’enflamment au contact de l’ère électronique. Irlandais de choc, les Fountainhead Steve Belton et Pat O’Donnell allient la pèche de U2 à la technologie du Fairlight synthesizer pour créer un rock rageur et novateur. Bidouillant les radios ondes courtes, Steve et Pat commencent par réaliser des collages musicaux pour court-métrage . Mais l’espace de leur labo de la banlieue de Dublin devient bientôt trop exigu : l’appel du live est plus fort que tout. lls empoignent des guitares et se lancent à l’assaut des clubs. Kleran Owens, l’ex-manager des Virgin Prunes remarque le duo et lui décroche un contrat avec China Records, le label fondé par l’ex-boss d’A&M- Angleterre. L’an passé, au Self Aid, le « We are the world » monté à Dublin pour combattre la crise et le chômage -tous les fonds recueillis ont financé la création d’entreprises nouvelles en lrlande- Fountainhead incarne le futur du rock irish face à 30 000 mecs déchaînés comme l’orage. L’après- U2 de Steve et de Pat a quelques références Talking Heads/Talk Talk et un bon paquet de ces chères vieilles valeurs du rock and roll, même si les Fountainhead cultivent ardemment leur anonymat.
Mutation express, les Ward Brothers. alias Dave, Derek et Graham, conservent, eux, l’esprit guitar heroes en l’adaptant à la technologie poussée des synthés-ordinateurs. Originaires de Barnsley dans le Yorkshire, les frangins se sont déjà taillé une part de lion dans le circuit des clubs new-yorkais. Rock matiné de novo-funk, leur musique enregistrée de part et d’autre de l’Atlantique fait souffler un vent nouveau et dynamisent.
Tuxedos
Voici le courant essentiel du moment, la soul matinée de jazz et passée à la chaux vive. Supra-hyper production sur velours et succès dans les charts, tirés à quatre épingles, les soul-jazzy ont un tuxedo immaculé dans la tête.
D’abord Curiosity Killed The Cat– C.K.T.C. pour les Initiés- le groupe de Ben Volpeliere- Pierrot et son éternel béret vissé sur le crâne. Numéro UN des charts british alternativement avec Swing Out Sister C.K.T.C. s’est récemment produit à Paris au Rex Club drainant une armada de jolies poupées-modèles britanniques qui hurlaient comme aux temps bénis des Fab Four. Avec ses influences Johnny Guitar Watson et Funkadelic, funk soul et boogie. C.K.T.C. qui joue sur le confort des cuivres et le charme de ses quatre mignons a toute l’intensité qu’il faut pour faire crever les Duran Duran de jalousie. Night-clubbers forcenés, Ben et ses petits copains sont de toutes les parties, de toute razzia sur les filles. En deux hits, « Misfit » et « Ordinary Day », ils ont su imposer leur soul précieuse et technopopologique. Un phénomène qui rappelle étrangement Haircut 100 (remember ?), la brillante aptitude scénique en plus. Et si Ben et les autres ont à l’évidence écouté et retenu les leçons de la soul blanche US comme les Doobies et Steely Dan, qui saurait le leur reprocher ?
Exit le congélateur Sade Adu, Corrine Drewery fait souffler sur les charts une soul/jazz torride et vive baptisée Swing Out Sister soit S.O.S. À Manchester, Martin Jackson fut batteur de Magazine et des Chameleons, pote avec Morrissey Smith et Mick « Red » Hucknall. C’est sa rencontre avec le A Certain Ratio Andy Connell qui décidera d’un radical changement d’univers musical. Corrine, de son côté, avait quitté les Beaux-Arts de Londres, la célèbre Saint Martin’s School of Arts pour monter sa propre ligne de fringues. Après un séjour éclair chez Laura Ashley, elle abandonnera les chiffons, collaborant un temps à Working Week, avant que ne débarque Julie Roberts. Martin et Andy fondent pour la belle Corrine et c’est ainsi que nait S.O.S. Depuis les Pistols, engendrant des dizaines de groupes, Saint Martin a constamment servi de catalyseur pour l’art, le rock et les chiffons; S.O.S. est un pur produit de ce Londres agité. Techniquement parfait, le son S.O.S. puise allègrement à la source des microchips comme de toutes sortes d’influences soulesques: George Clinton, les Supremes, le War d’Eric Burdon, et l’éternel Steely Dan pour son perfectionnisme animé. Et même si S.O.S. défend son identité british, nul ne pourra nier l’importance de ses assimilations. En tout cas avec Swing Out Sister, Londres retrouvera peut-être la flamme de son versant swinging, dear sisters and brothers l
Ultragroovistes
C’est vrai, je n’ai pas attendu ce concert à Birmingham où Wet Wet Wet ouvrait pour Lionel Richie pour mordre à cette formation funk écossaise. Depuis deux ans, je suis W.W.W. jusqu’à travers des maquettes comme cette reprise de Stevie Wonder, « Heaven Help Us All ». Sans fripe, ni frime, le funk nerveux et sophistiqué de ces kids de Glasgow, vrais compatriotes de Hipsway, est fait pour gagner le pari des charts. « Lorsque nous avons commencé voici quatre, cinq ans, en quittant l’école, la musique n’était qu’un hobby » m’explique Marti Pellow le chanteur/leader de vingt ans de W.W.W., « mais nous avons vite compris qu’elle représentait notre unique chance d’échapper au marasme économique qui frappe l’Écosse. » Noir ou blanc, Harlem ou Glasgow, le funk est une musique de crise. Directement influencé par Marvin Gave, Curtis Mayfield et le Philadelphia Sound satiné, le son Wet Wet Wet paraît taillé pour la danse et le groovy énergique qui vous vide la tête.
Retour au deep-south de Londres avec les ultra-groovistes choc de Well Red qui, après les Redskins, Red Box, the Reds et Simply Red, s’approprient à leur tour la couleur rouge pour la teinter du noir ébène du funkadélisme. Là les racines s’enfoncent profondément du côté de James Brown, Edwin Starr, les lsley Brothers et, plus proche de nous, the System et son techno-fonk. Well Red a le teigneux de la Go Go music et du retour en force des sources vives du rhythm and blues musclé. Ce duo noir et blanc est composé de Richard Stevens et de Lorenzo Hall qui partagent une fascination pour l’œuvre multifacette de Clinton, la nébuleuse Funkadelic/Parliament, et le Bootsy’s Rubber Band de Bootsy Collins. Le talent des funky brothers de Well Red consiste à nous faire presque confondre I’Hudson et la Tamise. Boy George, lui, n’y a vu que du feu puisqu’il puise désormais abondamment dans les compositions de Stevens et Hall. Well done, Well Red !
Tout ce remue-ménage ne va pas sans hésitations ni contradictions pour le business : costumes noirs et croisés, beaux gosses de surcroît, les Living In A Box et leur soul électronique, revivaliste du Motown Sound, nous viennent tout droit de Sheffield, ce qui n’est pas vraiment un hasard. Heaven 17 avait ouvert la voie, ABC s’y était engouffré en fusion pop/funk. Mais il paraît qu’aux tout débuts de L.l.A.B., Chrysalis leur label, avait caché leurs jolis minois d’albâtre pour éviter l’effet poupée de magazines! C’est vrai, les L.l.A.B. sont blancs comme neige mais ca ne les empêche guère de sonner comme une version électropop des Temptations et des Four Tops. Les Anglais auraient-ils oublié qu’il y avait aussi un look Motown ? Il est vrai qu’ils ont déjà tant de mal à mémoriser ne serait-ce que les noms de tous les groupes de chacune de ces inéluctables fournées d’idoles pop…
Publié dans le numéro 229 de BEST daté d’aout 1987
Discographie
LIVING IN TEXAS, « The Fastest Men Alive »
HURRAH, « Tell God l’m Here
FOUNTAINHEAD, « The Burning Touch »
THE WARD BROTHERS, « Madness Of lt All »
CURIOSITY KILLED THE CAT, « KeepYour Distance »
SWING OUT SISTER, « lt’s Better To Travel »
WET WET WET, maxi « Wishing l Was Lucky »
WELL RED, « Motion»
LIVING IN A BOX, « Living ln A Box »