NECHI NECH : L’EMINEM MADE IN ISRAËL

 

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Dans l’éclosion du hip-hop et du reggae en Israël, notamment grâce à l’apport des juifs d’Éthiopie et de leurs descendants, le rapper Nechi Nech  dont le nom signifie « plus blanc que blanc » en amharique, s’est imposé en tant que vétéran de cette scène en pleine ébullition parmi les Café Shahor Hazak les plus cool grooveurs d’Israël, Hadag Nahash les « the Roots » de Jérusalem ou le jeune rapper Tuna. Nechi Nech, l’Eminem hébreu est bien plus qu’une légende locale et il le prouve à nouveau avec son dernier album « Welcome To Petah Tiqva subtil mélange de rap et d’orient…forcément désorienté. Alors que le pays s’apprête à enterrer Shimon Pérès, le dernier héros de l’indépendance d’Israël, coup de projecteur sur l’un des nouveaux artistes le plus vibrant de ce pays.

 

welcome-to-petah-tiqvaC’est sur la radieuse plage de Gordon Beach à Tel-Aviv que je retrouve Nechi Nech et son manager. Vêtu de noir, un micro tatoué sur l’avant-bras, et la fière devise « Rise and never fall » ( émerge sans jamais chuter) sur l’autre, le rapper le plus célèbre d’Israël ne passe guère inaperçu, ce qui ne l’empêche pas d’être le plus cool des grooveurs hébraïques. Nous devisons joyeusement sous un ciel azur radieux et autour du traditionnel café turc. Portrait d’une star émergeante.

 

« Tu es originaire d’une toute petite ville, ce qui est original, car la majorité des artistes israéliens vient de Tel-Aviv ou de Jérusalem.

 

De Petah Tiqva, oui . En fait, la plupart des artistes qui sont basés à TA, sont en fait issus de petits villages ou de petites villes à l’extérieur. Il y a très peu d’artistes nés et élevés à TA. Car TA et Jérusalem sont des points de convergence pour toute la culture israélienne. Moi, au contraire, j’ai fait ce choix de ne pas m‘installer à TA et de demeurer dans ma ville d’origine où je me sens bien. Petah Tiqva  signifie « les portes de l’espoir », elle est située à 30 i à minutes à l’est de TA, en direction de Jérusalem. J’y suis né et j’y ai toujours vécu, chez mon père avec ma sœur ainée, car j’ai perdu ma mère à l’âge de 12 ans.

 

Et ton père est un célèbre chanteur israélien ?

 

Quoi ??? Heu non…pas encore ( rire). Peut être dans le futur…mais il n’est pas très musique. Par contre, il existe une vraie tradition musicale dans ma famille. J’ai un cousin qui fait de la batterie depuis quinze ans, et ma sœur était longtemps choriste dans des groupes.

 

Te souviens-tu lorsque tu as écrit ton premier rap ?

 

J’ai commencé à fréquenter un club, le G Spot, où les ados branchés musique black aimaient se retrouver. Il était justement situé ici où nous sommes, à Gordon Beach. Chaque week-end, on y organisait des soirées rap. Et durant les fêtes, Pessah, Pourim et toutes les célébrations juives, il y avait des nuits de folie, un rêve de jeune rapper. On buvait, on dansait, on bougeait sur les mêmes sons. C’était en 2003 et c’est là où tout a vraiment commencé pour moi. C’était le tout début de l’apparition de la scène hip-hop en Israël. À la fin de chaque soirée, il y avait ce qu’on qualifiait de « micro ouvert » où chacun pouvait balancer ses rimes pour montrer de quoi il était capable. J’avais quinze ans et j’ai commencé à me produire au G Spot. Là j’ai commencé à me brancher sur les acteurs du rap israélien. Chaque MC apportait son propre CD d’instrumentaux et pouvait ainsi rapper sur les rythmes de son choix. Mais tu n’avais droit qu’à une seule chanson. Cependant, si tu avais su toucher les gens, leur réaction et, aussi ce qu’ils racontaient sur toi après ta performance, accroissait ta notoriété. Et ainsi, à la soirée suivante, on t’accordait plus de place. Moi j’ai dû bosser six ou sept ans avant d’atteindre une réelle notoriété. J’ai dû faire mes preuves face au public. Et surtout avancer à la fois dans mon écriture, comme dans ma manière de rapper. Donc moi je n’ai pas instantanément rencontré le succès, tout cela aura été très progressif.

 

Quelle est l’origine de ton nom de scène ?nechi-nech-2

 

Nech, en éthiopien, signifie blanc. Nechi nech veut donc dire « plus blanc que blanc ». Car il y a de très nombreux juifs éthiopiens dans ce pays. Et le quartier et la ville d’où je viens, lorsque j’ai eu quinze ans, j’ai commencé à m’habiller dans le style hip-hop de l’époque, des pantalons baggys larges, des maillots de foot US très à la mode d’alors. On qualifiait cela alors de style New Yorkais. Et ces juifs éthiopiens me disaient : « mais toi tu es blanc, pourquoi tu t’habilles comme les noirs ? Tu es un nech ( blanc) ». Alors tout le monde a commencé à me surnommer Nech, le garçon blanc. C’est ainsi que je suis devenu « nechi nech », le plus blanc que blanc ?

 

Après tes premiers micros qu’est-ce qui t’a déterminé à consacrer ta vie à la musique en général et au rap en particulier ?

 

En fait, je n’ai jamais senti que j’avais d’autres choix dans la vie. J’ai commencé le rap très jeune et je n’avais pas la tête à poursuivre de longues études. Après mon service militaire, je me suis dit « je ne veux pas aller à la fac, apprendre à coder ou devenir docteur, avocat ou que sais-je encore… et je ne sais rien faire d’autre à part faire du hip-hop. Alors, je ferai du rap jusqu’au bout ! ». C’était mon plus grand rêve.

 

Tu avais aussi une grande culture hip-hop, écoutant de nombreux artistes de rap à travers le monde.

 

Tout à fait. Je suis quelqu’un d’extrêmement curieux ; j’ai toujours envie d’apprendre. Je me considère comme un éternel étudiant de cette musique et je sais que j’apprendrai toute ma vie tout ce qui touche au hip-hop et au reggae qu’il vienne de la Jamaïque ou des USA, d’Angleterre ou de France. Et d’Israël bien sûr ! Je connais des tas de groupes de rap d’ici que la plupart des gens ignorent. Car j’ai grandi avec eux dans cette scène underground.

 

Parmi tous ces artistes, je présume que certains sont des héros pour toi…Bob Marley, James Brown ou Jay-Z…

 

Bien entendu. Mes idoles sont Bob Marley, les Fugees avec Wyclef Jean et Lauryn Hill, KRS One, Notorious B.I.G, Dr Dre, Eminem, 2 Pac,

 

Tu cites Emimen, qu’as-tu ressenti lorsque tu as compris qu’on pouvait être blanc et faire du rap, tout comme lui ?

 

Je n’ai jamais cru aux barrières de race ou de culture. J’ai toujours considéré que quiconque pouvait faire n’importe quel type de musique. Ce n’est pas un truc pour blanc, noir ou asiatique ou même américain ou israélien ou même  français, c’est juste une histoire d’émotion. La musique est un langage international. Qui n’a rien à voir avec l’origine des gens ou la couleur de leur peau. Je pense à Rick Rubin ou aux Beastie Boys,  petits juifs de NY. C’est vrai qu’en Israël au début tout le monde me disait «  tu es blanc alors pourquoi fais-tu du hip-hop ? ». Désormais, on ne me pose plus jamais cette question.

 

Tu as publié déjà trois albums…comment es-tu parvenu à sortir le premier et à remporter tes premiers succès ?nechi-nech-3

 

J’avais travaillé depuis déjà six années avant de publier mon tout premier album en 2011. Et comme je suis un « jeune » vétéran de cette scène hip-hop de Tel-Aviv, j’ai pu contenter sur une solide assise de 200 fans et plus qui aimaient ma musique et qui se sentaient prêts à me suivre, ils m’ont fait confiance dès le début. Et grâce au bouche-à-oreille, ils n’ont jamais cessé d’augmenter. Mais j’ai du me battre concert après concert, album après album pour parvenir à m’imposer. Le succès, la notoriété …tout cela ne s’est pas fait en un jour. Ce n’est pas comme si j’avais sorti un single, qu’il était passé à la radio et que du jour au lendemain je suis devenu une star. Mais cette notoriété progressive a été très positive pour moi.

 

Justement, le fait que cela ait mis du temps ne t’a jamais fait douter ?

 

Bien sûr que si. J’ai eu de grands moments de découragement, me disant que je ne parviendrai jamais à vivre de mon art. Mais en 2014, le rap m’a prouvé que je ne m’étais pas trompé et c’était une sensation magique. Arrivé à l’âge de 25 ans, je me suis même dit : le hip-hop , cela ne marchera jamais pour moi. Jamais je ne réaliserai mon rêve. Mais le travail finit toujours par payer, même si encore aujourd’hui je suis très loin d’avoir réalisé pleinement mon rêve. J’ai envie de rapper jusqu’à mes 70 ans ou plus.

 

Ton style de rap est très éclectique, mais on y retrouve toujours une vraie bonne dose d’humour. On y trouve également une petite touche orientale qui fait toute ton originalité. Mais au fait d’où vient ta famille ?

 

Pologne et Russie.

 

Donc tu n’as aucune racine sépharade ?

 

Non, mais c’est l’essence même de notre individualité israélienne, cet apport oriental mêlé à nos traditions d’Europe de l’Est. Nous sommes tous des réfugiés en Israël, nous ne l’oublions jamais, c’est ce qui fait notre unité, l’essence même de ce que doit être Israelien…dans la musique, dans la société, partout. Telle est ma conviction.

 

Parlons de la chanson « Le roi du rap du Moyen-Orient » ton coté « prophète » est une parodie n’est-ce pas ?

 

Oui, je suis heureux que cela soit compris dans ce sens-là. (rire) C’est cool, car même si tu ne parles pas la langue, tu as compris tout l’esprit de cette chanson.

 

J’ai également été séduit ce coté tradition avec une petite flute exotique bien dépaysante. Il y a également cette chanson intitulée « Célébrité»

 

« Célébrité » est une métaphore pour raconter une histoire d’amour. Car en hébreu, le mot à deux sens à la fois, célébrité, mais c’est aussi un prénom féminin. Je parle donc d’une fille rencontrée lorsque j’étais ado. Et notre relation s’est achevée, c’est pour cela que je dis à la fin de la chanson qu’ elle ne m’intéresse plus…la fille, pas la célébrité, bien sur. Tout cela est une métaphore sur l’industrie de disque et la dictature de la célébrité. Quelles sont les conséquences directes de cette célébrité.

 

J’ai également été surpris par ton reggae intitulé « Sababa », un classique que l’on croirait capturé à Kingston.

 

Oui c’était le but du jeu, faire un authentique reggae en hébreu. Le sens de cette chanson c’est juste pour le fun, une chanson insouciante et joyeuse, pleine d’amour,  comme de toutes les valeurs incarnées par le reggae.

 

Ma composition favorite porte ce titre anglais « Coffee and Cigarettes », une tragique histoire d’amour manifestement.

 

Oui c’est une histoire de rupture. Je chante « je me suis levé ce matin en fumant une cigarette et en buvant un café ; jour et nuit je rêve de ton visage en songeant à ton amour. Quant au refrain il est emprunté à une vieille chanson israélienne orientale ; mishrahit tu sais ce que cela signifie ? C’est la musique sépharade type apportée du Yémen, Irak, par les émigrés, en tout cas son interprétation israélienne.

 

Comme Ofra Haza ?

 

Exactement.  C’est un mélange de toutes ces traditions orientales.

 

Ma seconde favorite est celle que tu dédies à ta ville « Petah Tiqva »

 

C’est une déclaration d’amour à ma petite ville, sans laquelle je ne serai pas moi-même. Je parle de notre relation amour/haine. Je veux la quitter, mais je n’y parviens jamais et je reviens toujours vers elle. Petah Tiqva  est comme une maitresse pour moi.

 

Il  existe une énorme différence entre toi et la plupart des rappers que j’ai pu interviewer dans ma vie, tes chansons ne parlent pas de fringues, de bagnoles, de drogue ou de filles faciles ?

 

Tout simplement parce que tout cela n’a rien à voir avec la réalité israélienne. Les rappers américains ont plein de petites amies, de dollars et de voitures. Pas moi. Je suis un type simple. Vos Français du Saian Supa Crew n’évoquent jamais les filles ou les autos dans leurs chansons. Ils parlent de leur vraie vie de tous les jours, pas d’une vie étrangère fantasmée. C’est pareil pour moi, il m’est essentiel de décrire le plus fidèlement possible notre vie en Israël. Il n’y a pas que l’argent, la richesse, la célébrité et toutes les filles qui vont avec. Ce qui compte pour moi c’est l’authenticité et l’honnêteté. Et au-dessus de tout pour moi il doit y avoir l’humour, la seule force qui nous permette d’affronter efficacement les terribles remous de notre existence. Et dans l’humour j’inclue l’auto-dérision bien sûr, car avant de se moquer des autres il faut être capable de rire de soi-même. Et mes chansons me ressemblent.

 

Parlons de ton dernier album.

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Il s’intitule « Bienvenue à Petah Tiqva », normal puisque c’est ma ville favorite au monde. Comme tous mes albums, il reflète l’époque dans laquelle il a été conçu. C’est sans doute l’album dont je suis le plus fier, car il réunit de nombreux styles musicaux comme le reggae, les sons du Moyen-Orient, le hip-hop et des tas d’autres styles. Pour moi chaque être humain est un monde en soi. Il n’a pas qu’un seul visage. Parfois il peut être triste, parfois il peut être heureux. Parfois il pense à des sujets graves, d’autres à des trucs futiles et drôles.

 

Tu n’évoques pas la politique israélienne ?

 

C’est une bonne question, mais je ne me sens pas beaucoup concerné par la politique. Cependant je sais que nous voulons tous aboutir à la paix avec les Palestiniens. On a tous envie d’une existence paisible et heureuse. Et il va de soi que nous sommes contre la guerre. Alors nous devons trouver une manière de vivre côte à côte sans se faire la guerre.

 

Tu travailles déjà sur un nouvel album, quels sujets vas-tu y évoquer ?

 

Le concept de l’album c’est le bien contre le mal, l’intérieur contre l’extérieur , le début et la fin, l’amour et la haine, la foi et les pêchés également. Bref il y sera question du ying et du yang, Je sais également que cet album sera encore plus personnel que les autres. J’espère qu’il sortira en mai prochain. Si Dieu veut…

 

 

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