MICK FLEETWOOD LE BIG MAC
Voici 40 ans dans BEST, GBD rencontrait Mick Fleetwood le fameux explorateur à son retour du Ghana, où le leader de Fleetwood Mac venait d’enregistrer son tout premier 33 tours solo « The Visitor » comme un pont suspendu entre la West Coast, où son groupe avait si bien fait sa mue devenant l’archétype du groupe californien et l’Afrique des tam-tams intemporels. Flashback…
Six mois auparavant dans le BEST 151, j’avais déjà chroniqué le double LP « Fleetwood Mac Live» ( Voir sur Gonzomusic https://gonzomusic.fr/fleetwood-mac-live.html ), c’est dire combien je pouvais me montrer enthousiaste en découvrant six mois plus tard « The Visitor », le tout premier album solo du Big Mac ( Voir sur Gonzomusic https://gonzomusic.fr/mick-fleetwood-the-visitor.html ). Aussi lorsque WEA m’a proposé de rencontrer le fondateur batteur moissonneur du groupe, inutile de vous dire combien je pouvais être fou de joie…. Même si le lieu de sa villégiature parisienne me laissait un petit gout amer. En effet, je n’ai jamais aimé l’hôtel Meurice et pourtant ni son service ni son confort ne pouvaient être mis en cause. Juste, malgré son élégance, il me donne toujours un peu la gerbe. En effet, quatre ans durant de 40 à 44, il sert de QG au commandement militaire allemand et sert le logement de fonction au général Von Choltiz. Malgré son luxe ses rénovations successives, il flotte dans l’air quelque de déplaisant. Cependant, ce jour d’été 1981, même si j’y rentre à reculons, je finis par oublier même où je suis tant je suis heureux de tendre mon micro à un de mes héros dans la musique : Mick Fleetwood, le fondateur, celui qui a donné son nom à Fleetwood Mac qui incarnait alors à mes yeux- et donc forcément à mes oreilles- LA quintessence du rock de LA aux cotés des Eagles, Jackson Browne et autres America. Car en juillet 1975 après une dizaine d’albums au blues impeccable, Fleetwood Mac publie cet LP éponyme qui va tout changer. Emportée par ses hits à répétition, la formation avec Mick Fleetwood, Christine McVie, Stevie Nicks et Lindsey Buckingham percute la légende. Suivront « Rumours » en 77 puis « Tusk » achève cette trilogie dorée en 79. C’est dire si j’étais particulièrement heureux de rencontrer ce Big Mac d’1,95 m pour évoquer ses nouvelles aventures au Ghana, où il retrouve également son vieux complice le guitariste Peter Green. J’aimais assez la démarche de Fleetwood de se téléporter en Afrique pour échanger avec les musiciens locaux, plutôt que la solution inverse adoptée par les Talking Heads pour leur album « Remains In Light » où ils avaient déracinés des Africains à New York pour les faire enregistrer. De même, grâce au passage de Mick Fleetwood au Ghana, un syndicat indépendant de musiciens a pu se réer là-bas… preuve que la visite du « Visitor » n’aura pas été vaine.
Un an après cet entretien, en aout 82, pour la sortie de « Mirage » 4éme LP de Fleetwood Mac MK II – le 13éme depuis la formation du groupe en 67- enregistré chez nous à Hérouville je rencontrerai une autre Mac en la personne de Christine McVie… mais vous le savez déjà, c’est encore une autre histoire du rock….
Publié dans le numéro 157 de BEST sous le titre :
VISITEZ L’AFRIQUE
Ce samedi après-midi de juin, peut-être le plus ensoleillé depuis le début de l’année, Mick Fleetwood célèbre batteur du Mac, avait choisi les salons lambrissés du Trianon Palace, à Versailles, pour présenter «The Visitor», son premier disque solo. Le disque en question avait été enregistré au Ghana, le soleil extérieur jouait donc les adéquations du fond à la forme. Dans une petite salle, les journaleux d’Europe allaient pouvoir mener la conférence et harceler Mick sous le flot des questions : pourquoi l’Afrique, comment et dans quelle position ?
Fleetwood et sa tribu battent la mesure sur le bras des fauteuils et l’Afrique des villages déboule sur les HP : on écoute. Surprenant, Mr Fleetwood pour un Californien d’adoption, de faire ainsi le chemin vers les roots du rythme africain ! Moi, ce jour-là, je ne voulais pas suivre le jeu de la conférence : «The Visitor» m’intriguait assez pour que je décide d’en causer entre quatre yeux avec Mick. Incapable d’analyser ma passion pour le son West Coast, je peux quand même apprécier les efforts déployés pour le renouveler. Depuis cinq ans au moins, les charts US sont complètement imperméables à tout. Les mandarins du rock américain se sont accrochés comme des morpions aux sommets des hit parades et délayent la même sauce sans jamais prendre le moindre risque. Dur ! Mais heureusement cette année 81 a vu l’effet « Master Blaster » de Wonder forcer la porte et permettre au reggae de s’implanter. Si le même phénomène se produit pour la musique africaine grâce à Fleetwood, je crois bien que nous avons gagné le jackpot d’un renouveau sonore californien désespérément nécessaire. Je ne prétends pas qu’un séjour de six semaines en Afrique suffise à transmuter notre géant barbu en black bon teint, mais au niveau du feeling, je suis certain qu’il s’est passé quelque chose d’assez fort.
J’aime assez la démarche de Fleetwood : on embarque une console 24 pistes, on recrute des musiciens locaux, on mélange habilement les compositions yankees et locales pour vivre le trip jusqu’au bout. Moi. je trouve cela plus sain que l’expérience des Talking Heads qui ont préféré déraciner des Africains pour les faire jouer avec eux sur les scènes de l’Occident, en les plongeant au préalable dans le speed de la Grosse Pomme. Il paraît que les Heads sont aujourd’hui en Afrique et qu’ils nous préparent un nouvel LP. Peut-être, cette fois, sera-t-il enregistré en décor naturel ? On peut aussi citer l’exemple de Ginger Baker qui a tenté sans grand succès l’expérience africaine, mais Baker n’a pas le poids d’un Fleetwood Mac ou d’un Wonder: les Yankees ont désespérément besoin de locomotives auxquelles s’accrocher. « The Visitor » est un dosage subtil entre l’Afrique tribale et la pop californienne : même si c’est un peu easy, ce LP ne gêne personne, au contraire, et c’est là sa grande chance de percer. Comme Fleetwood Mac enregistrait à Hérouville, j’ai tenté d’aller y faire un tour. • Impossible » m’a répondu le management. Nous avons donc coupé la poire en deux et rendez-vous a été pris avec Mick Fleetwood, la semaine suivante, à Paris. Pendant la conférence, mes confrères ne se sont pas gênés pour soulever le délicat problème de l’éclatement présumé du groupe II faut dire que, sentimentalement parlant, tout se prête aux rumeurs du split : un LP solo et, surtout, le fait que les Mc Vie sont ex-mari et femme, tout comme Nick et Buckingham sont ex-boy et girl friend… sans compter les deux divorces successifs de Fleetwood avec la même femme ! A Versailles, dans le salon rococo, les Mc Vie étaient présents et je me suis même demandé si le groupe ne s’était pas scindé en deux avec Fleetwood-Mc Vie, les Anglais, d’un côté, et Nick-Buckingham, les Américains, de l’autre. Démenti formel !
Mick Fleetwood ne manque pas d’humour. L’an passé. Warner Bros a rejeté son projet pour « The Visitor » parce qu’il était trop onéreux à leur avis (après toutes ces années, mais où est donc passée la confiance?). Warner craignait surtout de financer les délires expérimentaux et a-commerciaux de Mick. Warner et ses frères, à mon humble avis, vont s’en mordre les doigts jusqu’aux sang. Toujours est-il que RCA a accepté sans sourciller le budget de 300 000 dollars, voilà donc pourquoi le LP sort sur ce label. Pour notre rendez-vous parisien, Fleetwood n’a rien trouvé de mieux que devant le 70 Champs-Elysées, siège de WEA disques, ô paradoxe de l’ironie! Marrant de voir ce grand mec très maigre, cassé dans une R 5 beige. « On se retrouve à l’hôtel Meurice, suite 302-304… tu nous suis… ». Mick Fleetwood a dû beaucoup regarder Mannix à la télé ! Avant l’interview, il se mouche consciencieusement…
« Tu as attrapé la crève en France?
Ouais, un rhume plutôt, mais je crois que ça n’est qu’une allergie à la poussière ou au pollen.
Après une telle aventure, songes-tu à revenir en France y enregistrer avec le Mac ?
Heu… je n’en sais rien. Mais nous sommes assez satisfaits de notre travail à Hérouville, puisque plus de la moitié des titres sont déjà en boite. (Il s’agit donc du LP « Mirage « : NDR)
Vous allez le finir en France?
Pour l’enregistrement, tous les morceaux seront faits en France. Mais pour le mixage, je crois qu’on choisira les States, parce qu’on vit presque tous là-bas… sauf moi. Après avoir passé plus de six ans aux USA. je me suis domicilié, voilà huit mois, dans votre principauté de Monaco.
Tu ne supportais plus tes voisins de palier?
(rire) Non. j’ai déménagé à cause de mes enfants Mon ex-femme vit avec eux en Angleterre. Mais le soleil n’y brille pas assez à mon goût, alors que les percepteurs par contre, jouent les chasseurs de prime. Donc j’ai choisi Monaco, la terre d’asile du contribuable, et comme ça d’un coup d’avion, je peux aller retrouver les mômes.
Donc tu es presque un compatriote désormais ?
Je ne suis pas certain d’avoir déjà obtenu la citoyenneté, mais j’ai acheté quelques immeubles et ça suffit pour y être domicilié Cela dit, il faudrait que je me décide à apprendre la langue C’est dur pour moi car j’ai quitté l’école à cause de la paresse je suis complètement imperméable aux études.
Vous avez déjà un titre pour ce nouvel LP de Fleetwood Mac ?
Non, pas encore
Les nouvelles compositions du groupe ont-elles bénéficié de ton expérience africaine ?
Mon projet du Visiteur se place sur un tout autre terrain que le groupe, parce que la situation et les gens ne sont pas les mêmes. Fleetwood Mac fait depuis bien longtemps partie de ma vie Or, ce break de huit mois où j’ai pu tenter mon expérience en Afrique est le premier que je m’accorde depuis la naissance du groupe en 1967. La formule actuelle de Fleetwood Mac tourne depuis 6 ans et elle bat tous les records de longévité du Mac. On bosse comme des malades depuis cinq ans à tourner, jouer, enregistrer Les douze derniers mois se sont écoulés sur la route. Voilà pourquoi ce break était nécessaire. Chacun en a profité pour faire ce qui lui passait par la tête. Moi, je suis parti au Ghana, Christine a produit un album de Robbie Patton, Stevie a préparé son premier LP solo, Lindsey a fait de même et John a navigué au large de Tahiti… après ça, on se sent vraiment rechargé à bloc. C’est marrant, mais les gens sont sans cesse en train de parier sur le split du groupe. Lorsque les gens voient se profiler un disque solo, ils ont le réflexe «Attention, ça va casser ». Donc nos expériences personnelles auront été bénéfiques et c’est de cette manière qu’elles influenceront le nouvel album.
Ta manière de battre paraît assez innée, tu n’es pas vraiment un technicien?
Effectivement J’utilise beaucoup les caisses au feeling, au détriment des cymbales. Ecoute « Rhianon »… ou « Black Magic Woman », le vieux standard de Fleetwood Mac. Si ça sonne aussi tribal, c’est plus un concours de circonstances qu’une action préméditée.
Crois-tu parvenir à déclencher aux States un syndrome « Master Blaster » africain ?
Tu veux parler du « Visitor » ? J’avoue qu’en dehors de mes petites raisons égoïstes, j’espère vraiment que les gens vont écouter mon disque. Mais ce que je souhaite avant tout, c’est qu’il permette à la porte de s’ouvrir un peu pour que les gens aient envie d’écouter toutes ces musiques qui éclatent en Afrique. Or, avec les Américains, la manière dont on présente les choses est importante : il ne faut pas chambouler leur routine trop vite et trop fort. Si cet album avait été à 100 % africain, personne n’en aurait voulu. Il faut vraiment qu’il serve les musiciens du Ghana qui l’ont tait avec moi et tous les autres.
(2ème pause Kleenex)
Comment as-tu réagi au contact de la culture africaine ?
Au début, le problème N » 1 était effectivement la communication, pas le dialogue, puisque les Ghanéens parlent anglais, mais nos concepts blancs ne recouvrent simplement pas les mêmes mots. Ce pays superbe est aussi très riche en ressources naturelles pétrole, or, diamants, noix de coco. Mais les leaders des sixties-seventies s’en sont mis plein les poches et ont tout placé dans des comptes en Suisse. Aujourd’hui, ça commence à ressembler à de la démocratie et ils sont conscients des erreurs politiques précédentes, mais leur attitude face à la vie reste assez empirique.
En débarquant dans une petite république africaine, drapé de ton aura de rock star, n’as-tu pas eu l’impression d’être investi d’un certain pouvoir?
Non, au contraire, j’étais plutôt comme un poisson hors de l’eau. Je suis un musicien célèbre et j’ai beaucoup de chance de l’être, mais je ne raisonne pas ainsi. Je ne touche pas à la politique. Cela dit, à la fin du projet, la plupart des responsables politiques du pays se sont sentis concernés A Versailles, tu m’as entendu raconter comme, grâce au Visiteur, des syndicats de musiciens se sont constitués là- bas. Nous ne sommes pas repartis les mains vides et nous avons quand même laissé quelque chose.
(3ème pause Kleenex)
Comme le film que nous avons tourné en coproduction avec des techniciens locaux pour Public Broadcasting System, la chaîne non commerciale de télé américaine. « The ,Visitor » est un échange. Or, les musiciens du Ghana n’ont pas de matériel pour jouer, les guitaristes conservent des années leurs cordes, si bien qu’elles finissent par rouiller, ils n’ont pas le choix. Au moins ceux qui sont crédités sur le disque recevront leurs royalties et, à l’échelle du Ghana, si le disque marche, cela représente une petite fortune. Mon seul problème aura été ma rencontre malencontreuse avec le bacille de la dysentrie ; pendant dix jours j’ai pas mal emprunté le chemin des toilettes… »
Sur le palier du troisième étage de l’hôtel Meurice, j’abandonne Fleetwood à une interview pour la BBC. Le Big Mac aura vraiment été discret avec la presse et c’est, en définitive, le Visiteur qui aura fini par vraiment cracher le morceau… vous en reprendrez bien une tranche, à propos ?
Publié dans le numéro 157 de BEST daté d’aout 1981