MICHELLE SHOCKED RETOUR AU TEXAS
Voici 31 ans dans BEST, GBD retrouvait Michelle Shocked, enfin de retour dans son Texas natal, où elle avait allumé ses premiers « feux de camp » ( Texas Campfire 🤪 ). Dans la foulée de la publication de son 3ème LP, « Captain Swing » où elle défendait les sans-abris et s’attaquait déjà à un certain…Donald Trump, la chanteuse de Dallas participait au légendaire show live Austin City Limits sur l’antenne de KLRU TV, Austin. Flashback….
En ce temps-là, notre folkeuse militante n’avait pas encore dérapé, victime de son bigotisme et d’un inintelligible racisme anti-gay – j’ai toujours cru que Michelle Shocked, sous son look de garçon manqué était, homosexuelle et assumée- développé durant un concert de 2013 donné à San Francisco. Une prise de position qui avait alors choqué tous ses aficionados. Auparavant, j’avais succombé à sa musique et je l’avais déjà filmée plusieurs fois pour la télévision, notamment sur sa péniche amarrée sur la Tamise. Il était donc tout naturel après avoir chroniqué son « Captain Swing » ( Voir sur Gonzomusic https://gonzomusic.fr/michelle-shocked-captain-swing.html ) que je m’envole la rejoindre à Austin, Texas pour lui poser quelques questions…
Publié dans le numéro 258 de BEST sous le titre :
GIRL-SCOUT
« Michelle Shocked a quitté son Texas natal pour venir quérir la gloire et le succès en Europe, passionaria furieuse des folkeuses modernes. Lorsque l’enfant prodigue revient, au pays, Gérard Bar-David est là pour recueillir ses impressions. » Christian LEBRUN
Dans la nuit texane, le DC9 de la TWA jouait aux montagnes russes dans le sillage tourmenté du cyclone Harry. Fort heureusement, sous les coussinets de mousse du walkman, le nouvel LP de Michelle Shocked « Captain Swing » balançait plus fort que le choc de la tempête. Retour a Austin en forme d’escale pour cette chanteuse folk émotionnelle qui a choisi de s’expatrier sur une péniche de la Tamise, pour cultiver sa révolte. On connait tous la genèse de son premier album, ces « Texas Campfire Tapes » enregistrées au walkman par un fan au cours d’un festival. Exportée a Londres, la cassette se métamorphose en vinyle et ces chansons toutes simples sur fond de grillons font un véritable tabac dans les brumes british. Effet boomerang, Michelle débarque en Europe pour enregistrer son premier album studio « Short Sharp Shocked ». Sur la pochette on découvre la chanteuse quelques années auparavant violemment alpaguée par les CRS de Dallas au cours d’une manif durant la convention démocrate. Sur sa péniche amarrée a Windsor, l’an passe, Michelle m’avait déjà livré la clef de son patronyme :
« À la fin de la Seconde Guerre mondiale », disait-elle, « des soldats sont rentrés du front; ils n’avaient pas perdu leur bras, ils n’avaient pas perdu leur jambe, ils n’étaient même pas blessés et pourtant ils n’avaient plus tout à fait leur tête: ils étaient en état de choc… shell shocked… Michelle Shocked, j’ai choisi ce nom par bravade comme on enflamme la mèche d’un cocktail Molotov. » Lorsqu’elle n’était encore qu’une ado, Michelle s’est retrouvée derrière les barreaux aseptisés d’un institut psychiatrique parce que sa mère n’avait trouvé aucun autre moyen pour briser sa rébellion. Sa majorité gagnée, « Chelle » se fait la belle et vagabonde sur notre vieux continent. Squatteuse a Amsterdam, musicienne des rues a Hambourg, violée en Italie, elle a forgé son sourire au fil des claques successives comme un symbole serein de maturité.
« Toi qui a vécu tes années de fac ici, comment expliques-tu qu’on y trouve une telle concentration de groupes ?
À la base, cette ville a deux fonctions, celle d’un dortoir pour les étudiants qui représentent plus de cinquante pour cent de la population et celle de capitale du Texas avec sa cohorte de fonctionnaires. Chaque bar possède au moins une petite scène ; et puis il faut compter avec tous les musicos qui décident de se déraciner de Lubbock ou d’ailleurs pour s’installer ici.
Tes influences country blues et swing se sont réveillés sur cet album, c’est à cause de ton environnement texan ?
Lorsqu’on appartient à la famille des musiciens texans, on a un héritage bien lourd à porter, car toutes ces musiques constituent tes racines, elles sont dans ton sang et ont Austin elles sont si diverses. En fait, avec « Captain Swing » je tente d’opposer deux arguments contradictoires. D’abord je puise dans un tas de musiques swing : le R and B, le mardi-gras mambo, le blues de Memphis, le be bop de NY et le Texas swing. Tous ne portent pas l’étiquette swing, mais le feeling de toutes ces musiques est extrêmement proche. Je suis incapable de te définir le swing, mais tu le sens. En fait, le swing est un feeling de la meilleure musique, quel qu’en soit le style. Et ce que j’aime surtout dans le swing, c’est qu’il constitue une base parfaite pour mes idéaux politiques.
Ton dernier combat swingue justement sur le problème des « sans-abris ».
En fait, il y a une trilogie de chansons sur ce thème. La première c’est « God Is A Real Estate Developer » et elle m’a été inspirée par un dénommé Donald Trump. Ce type est une célébritéjuste parce qu’il est promoteur immobilier. L’Amérique d’aujourd’hui est capable d’aduler un type qui a contribué à la lente transformation de quartiers new yorkais en tiers-monde. Ainsi ces nouveaux héros raflent des blocs d’immeubles pour une bouchée de pain. Tous les habitants sont ensuite virés pour que les classes aisées se sentent à l’aise dans ces immeubles « réhabilités » entre-soi. La seconde chanson, c’est « The Cement Lament » pour tous ceux qui parcourent inlassablement les rues, car le bitume est devenu leur seul foyer. Quant a la troisième, c’est la plus évidente « Street Corner Ambassador », la semaine dernière, plus de 200 000 personnes ont défilé devant la Maison-Blanche pour exiger des loyers décents, car ils sont si bas dans I’échelle sociale qu’ils n’ont aucun moyen de se payer un toit. Tu as tous ces pauvres mecs au coin des rues qui te disent « Can you spare a little change ? » – t’as pas cent balles ? – mais moi je me dis que par « change » ils ne veulent pas dire seulement monnaie, ils veulent aussi un changement radical du système. Tant de rock stars se glissent dans la peau de toutes ces causes comme Amnesty, elles oublient l’effet boomerang qui rendent les gens comme moi un peu cyniques face a leur opportunisme. Moi j’ose parler des problèmes du logement, car j’en ai eu une expérience directe. La solution ne viendra pas des politiciens ou d’une élite artistique. À chaque crise, a chaque cause son porte-parole et Sting avec sa gueule d’ange viendra nous parler des pluies acides. C’est très généreux de leur part d’assurer ces concerts de charité, mais si toutes ces rock stars offraient les royalties des ventes de leurs disques de platine au lieu d’un simple concert, là ce serait un vrai « benefit », Tracy Chapman a vendu 7 millions de disques grâce au concert pour Mandela et sa tournée Amnesty, pourquoi n’a-t-elle pas versé cette montagne de pognon aux causes qu’elle défendait ?
Et toi qu’est-ce qui t’empêchera d’être digérée par le système ?
Dans les années 60, Abbie Hoffman a inventé les Yippies en rentrant de vos barricades de mai 68 et en distribuant tant d’acides que les gens se laissaient enfin aller dans les meetings. Pour les médias, les Yippies et leurs successeurs directs les Hippies se sont fondus dans le système pour tenter de le changer de l’intérieur. Broyés par la machine, les Yippies se sont métamorphosés en Yuppies, tel est le mythe célébré par les médias. Moi je n’y crois pas, du moins tant que je n’ai pas moi-même essayé. Je sais que lorsque tu rentres dans le système il t’offre tant de privilèges que tu finis par te laisser corrompre par cet état de dépendance. La corruption pour moi ne viendra pas du pognon, mais de ce que tu tiens devant, moi ce micro… l’accès aux médias, le droit à la parole pour exprimer mes feelings et mes idées. C’est peut-être plus honnête, mais cela reste une forme de corruption lorsque tu n’as plus rien de fort à faire passer. J’adorerais dire a Pete Townshend ou à Jagger « la ferme vieux sac a pognon ». Mais le pognon n’est qu’un alibi ce qu’ils veulent, c’est la clameur d’un public auquel ils n’ont plus rien à apporter, quelle perversion ! »
Michelle n’a pas fini d’être choquée. Tant mieux. Le rock manque trop souvent de grandes gueules comme la sienne. Sur le plateau du Austin City Limits Show, Michelle s’empare de l’antenne de KLRU TV Austin sur la lancée de son swing enfiévré. Entourée par trois musiciens « Chelle » brouille les pistes de toutes ses influences texanes jusqu’au rappel où son père et son frère, débarqués de Dallas avec leurs guitares, balancent un blues d’une incandescente chaleur familiale. Lorsqu’elle avait huit ans, son père avait commencé à construire ce gigantesque voilier en plein coeur du Texas pour l’emmener avec son frère naviguer tout autour du monde. Papa Shocked n’a jamais achevé son navire, c’est sans doute pour cela qu’il l’avait baptisé le « En attendant Godot ». Aujourd’hui, face aux caméras, le visage rayonnant de Michelle Shocked prouve que tout finit par arriver, même « Godot ».
Publié dans le numéro 258 de BEST daté de janvier 1990