L’ÉCLOSION DES HOTHOUSE FLOWERS
Voici 30 ans dans BEST, GBD pariait sur le futur radieux des Hothouse Flowers. Leur « People » était sans doute la meilleure surprise irlandaise depuis le « Boy » d’un certain U2. Blues celtique, passion incandescente et rencontre à Dublin avec Liam Ó Maonlai et Fiachna Ó Braonàin….Ó yeah…Flashback….
On peut tomber instantanément amoureux d’un groupe et de sa musique ; coup de foudre sonique et immédiat, la preuve par le rock chaleureux de Hothouse Flowers dignes et vibrants successeurs de Van Morrison. Certes la formation de Liam Ó Maonlai et Fiachna Ó Braonàin, n’a pas précisément explosé les records, toujours détenus par la bande à Bono, cependant à l’écoute de leur vibrant « People »- le premier album le plus populaire de toute l’histoire du rock irish- 30 ans exactement après sa sortie, on réalise alors que ces 15 chansons n’ont pas pris une ride, à l‘instar des irrésistibles « If You Go », mélancolique rupture amicale, de son alter-ego si justement baptisé « Don’t Go », ode à un pote disparu et du puissant « Feet On the Ground ». Porté par les cuivres et la voix rugueuse-blueuseuse de Liam, le rock des Hothouse Flowers a su traverser les décennies, puisque la formation de Liam Ó Maonlai et Fiachna Ó Braonàin ne s’est jamais séparée et continue d’être toujours active de nos jours. Largués par leur label London Record en 98, après dix ans et 4 albums, les Flowers publient « Into Your heart » en 2004 sur un label indé et le surprenant « Let’s Do This Thing » en auto-prod sur leur propre site internet https://hothouseflowers.com/. Le groupe sera d’ailleurs à l’affiche du bien nommé Forever Young Festival qui se tient à Kildare , en Irlande, du 5 au 7 juillet prochain, preuve que nos « fleurs » n’ont décidément pas fini d’éclore !
Publié dans le numéro 245 de BEST sous le titre
FLEURS BLUES
« Grâce à leurs racines profondes, les Hothouse Flowers ont su rapidement éclore entre le trèfle irlandais et le cactus de U2 » Christian LEBRUN
Ciel bleu aveuglant sur Balle Atha Cliath, la cité de la marée noire. Exotique comme une visite au Parthénon, l’alphabet irlandais donne au nom des rues de Dublin toute l’ivresse d’un dépaysement. Décor parfait de la splendeur géorgienne passée. Dublin ne se distingue aujourd’hui que pour son houblon et la richesse de ses décibels. Capitale mondiale et incontestée de la U2mania et de la Guinness sombre à couper au couteau, Dublin a pourtant bien d’autres airs dans son sac. Autour de l’hippodrome du Royal Dublin Society, les marchands de hot dogs, limonadiers et autres chevaliers du néo-merchandising se livrent à un pow wow d’enfer. 35 000 spectateurspour une ville d’un demi-million d’habitants, sur une telle concentration il faudrait étre fou pour laisser le monopole du beurre aux vaches. lrish burgers, irish T-shirts, irish coffees et le rock…irish qui s’échappe de l’enceinte. A l’intérieur, les stands d’Amnesty enrôlent les volontaires à tour de bras sur le gazon du champ de courses.
Hothouse Flowers, incontestable tête d’affiche du jour, devant Tracy Chapman, l’a prouvé fort, comme un météore : on peut s’arracher à la rue et déclencher émeutes et évanouissements de minettes deux ans plus tard. Histoire exemplaire de copains qui se rencontrent à l’école et qui prolongent leur rêve à tout prix, Hothouse Flowers se confond avec l’amitié de Liam Ó Maonlai et Fiachna Ó Braonàin, et cela ne s’invente pas. Un beau jour, ils décident de balancer dans la rue leur set acoustique. un exercice baptisé « busking » que Liam et Fiachna pratiquent en champions incontestés du macadam. Sous le pseudonyme des Benzini Brothers ils cassent la baraque d’un télé-crochet : les fleurs se sont mises à furieusement s’agiter dans la serre. Bono, devant son téléviseur, revissait ses yeux sur leur orbite. Ces gosses avaient une pêche incroyable, pourquoi ne pas les brancher sur mon Mother records? Le label de U2 avait déjà offert un premier 45 tours/première chance à des petits nouveaux comme In Tua Nua ou Cactus World News. Les Benzini saisissent leur chance et enregistrent «Love Don’t Work This Way», une ballade intense comme le nouveau patronyme qu’ils se sont choisi: the Hothouse Flowers. Et six mois plus tard, pour la sortie de leur premier LP, « People » la flowermania des fans en action leur vaut l’ouverture du journal télévisé. Jamais on n’avait vu un groupe local réussir aussi vite et aussi bien.
34.997, 34.998, 34.999… Irlandais déchaînés dansent sur le gazon, les gradins, pour suivre les Hothouse Flowers dans leurs clameurs folko-spirituals à la croisée de la petite église de Harlem et de l’enclos de « Règlement de compte à OK Corral ». Cheveux longs sur les yeux, Liam Ó Maonlai chante le spleen et la mort. « Si tu t’en vas, j’espère que tu y vas/Si tu y vas j’espère que tu aimeras… » « lf You Go », comme le hit des Flowers « Don’t Go », a été écrite pour Eamon, un copain disparu dans le coma d’un crash en moto.Liam, malgré la distance, a un regard qui ne saurait tromper, il est brillant comme une poussée de fièvre. Tandis que ses lèvres déglutissent ce blues irlandais qui titre si fort, le chanteur des « fleurs en serre» trinque avec le phrasé imbibé whiskey d’un Van Morrison. Dommage que notre héros reste enchaîné à son clavier. Le chapeau sur les yeux, Fiachna Ó Braonàin, guitarise d’un bout à l’autre de la scène et au pas de course, comme pour exorciser le semi-handicap de son chanteur rivé à son clavier. Amplifiés par quelques milliers de spécimens, les Flowers balancent le blues blanc ravageur de « Feet On The Ground » et l’on songe immédiatement aux Them, leurs compatriotes, lorsqu’ils poussaient leur légendaire « G-L-O-R-l-A ».
Le lendemain. je retrouve Fiachna, -prononcer Firequena « le corbeau, en irlandais»-, s’il faut en croire le guitariste des Hothouse Flowers.
« L’lrlande est un pays fortement exotique », raconte Fiachna «la preuve, on trouve un peu partout des palmiers importés dans les jardins de Dublin. Et ils ont même appris à survivre. » Contrairement à ce que l’on pourrait croire, le groupe ne fait aucune fixation sur la botanique. Son patronyme est directement issu d’un vieux titre de jazz des 30’s.
Les nouvelles fleurs de Dublin ont pourtant ce parfum de « poetic champion » à la Morrison, qu’en pense notre corbeau ?
« C’est juste une coïncidence. Mais d’autres avant toi nous ont comparés a Van Morrison, Nul ne peut empêcher ce genre d’assimilation. Je peux même le comprendre, car nous suivons un peu les mêmes paramètres. Il est irlandais comme nous et balance entre ses racines celtes et l’attraction de la culture noire US. »
Le spirituel qui baigne les côtes d’irlande draine aussi le rock des Flowers. God n’est jamais très loin de Liam qui écrit tous les textes.
« Aucun d’entre nous ne pratique une religion de manière très régulée », explique Fiachna, « on n’est pas des enfants de chœur, mais je suppose que notre musique reflète un certain sentiment d’humanisme et de spiritualité par le bien-être qu’elle peut apporter. Car la musique est une évasion, il ne faut jamais l’oublier. Mieux vaut disparaître que perdre le sens du fun. »
On parle de Dublin et de la crise, de l’esprit « Self Aid ».
« Lorsque tant de milliers de jeunes décident de prendre leur futur en main à travers un concert comme le Self Aid, on se sent fier d’être irlandais. »
Paradoxe : les Flowers n’ont pourtant pas participé à ce méga gig anti-chômage…car ils pointaient à l’ANPE locale.
« Je crois que nous avons pourtant eu beaucoup de chance», reprend le corbeau, «juste après notre single sur Mother, on nous a offert d’enregistrer notre premier album sur London. Et notre clip offert par les Communautés Européennes est un vrai conte de fées. Le Grand Prix de l’Eurovision se tenait à Dublin et au lieu des traditionnelles mages cartes postales de la terre d‘accueil, Declan Lowney, le réalisateur de la soirée, nous a offert quinze jours de tournage à travers toutes les capitales d’Europe. Les images qu’il a utilisées pour traduire notre chanson « Don’t Go » sont un concentré tout en fondus enchaînés d’un certain esprit communautaire. L’Europe, c’est aussi ce synchronisme. »
Fiachna-le-corbeau avait dix-huit ans lorsqu’il s’est offert sa première copie de Stratocaster en bossant comme caddy sur un parcours de golf. Et si sa tronche de fleur recouvre aujourd’hui les murs de Dublin avec son groupe, il n’oublie jamais l’écho de ses pompes sur le pavé pendant toutes ces années de dèche.
« Cette chanson raconte exactement comment, où j’étais, lorsque j’étais enfoncé tout au fond de mon fauteuil à bascule… »
Quelques mots signés Hothouse Flowers pour comprendre que la dérision sucrée salée d’un Wilde, la démesure de Joyce hantent encore et toujours cette terre d’Irlande.